Une vérité - partie 2

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Les ailes naquirent dans le sang. Sa plainte déchira les cieux et la souillure se mêla à la pluie qui trempait la foule. Lorsqu’il retrouva ses sens, l’aile gauche embrochait le crâne de l’Ancien. Il l’entendit murmurer quelques mots avant de s’éteindre, mais n’y prêta pas attention, car à sa droite se trouvait Uriel.

  • Luci, c’est terminé.

Sa voix était basse, presque inaudible. Elle posa sa main sur son front et l’observa une nouvelle fois, avec la même curiosité qu’à l’accoutumé.

  • Tu as mal ? lui demanda-t-il, l'air inquiet.

Elle lui sourit sans le quitter des yeux

  • Non.

Comment la croire ? L’aile droite transperçait son sein, du sang commençait à couler, ce devait être grave. Lucifer regarda autour de lui, appelait à l'aide, mais n’eut pour toute réponse que le son berçant des gouttes de pluie.

  • C'est étrange.
  • Je vais chercher un mèdecin, tiens bon !

Mais personne ne pourrait plus sauver Uriel, il le sentait, la vie l’avait quitté. Des murmures s'élevèrent de la foule ébahit.

  • Ils ne bougent plus.
  • Elle était comme une mère pour lui…
  • L’Ancien disait vrai, il faut nous en débarrasser, où nous serons les prochains.

Quelques ailés firent un pas en avant, d’autres suivirent avec une hésitation qui se transformait peu à peu en aplomb. Bientôt, ils progressaient à l’unisson, formant une horde destructrice qui n’avait plus qu’un objectif : anéantir la singularité. Dans leurs yeux scintillait un éclat similaire à celui du vieil homme. Les plus agressifs attaquèrent sans attendre, l'un d'entre eux, un ailé particulièrement imposant, ramassa le poignard avant de l'agiter en direction de l'enfant. Ses attaques, pareilles à celles d'un pantin désarticulé, brassèrent le vent. Il trébucha sur le corps d'Uriel et s'enfonça l'arme dans l'oeil gauche. Lucifer, pris de panique, s’envola. Les ailes noires le portaient sans qu’il n’ait besoin de réagir, épargnant ses membres blessés. Elles l’emmenaient loin, bien au-delà de ce qu’il connaissait, mais toujours à porté de ses poursuivants. Le poignard lancé par l'un d'entre eux atteint sa cible, l'épaule droite se teignit de rouge.

Ne trouvant nulle refuge dans les cieux, il se pensait perdu. Mais c’est alors que la bruine, toujours intense, se transforma en un véritable ouragan, qui dispersa la horde vengeresse pour n’épargner que l’enfant en son centre. Il flotta, hagard. jusqu'à tomber sur une curieuse grotte. Son contenu drapé d’épais ténèbres n'encourageait pas à l’aventure, mais la perspective de se retrouver nez à nez avec les ailés tueurs ne l’enchantait pas davantage.

Le silence de la pierre l’apaisait, il pouvait presque entendre un cœur caverneux battre à travers la parois rocheuse. Le jour s'évanouissaient et Lucifer avançait à taton, ne sachant que penser, il se concentrait uniquement sur sa progression. Seulement, à force de marcher, il en vint à douter de son avancée. Quelle distance avait-il parcouru ? Jusqu’où devait-il aller ? Comment savoir s’il ne rebroussait pas chemin ? Une lueur apparut à l’horizon, presque imperceptible. Elle l’aveuglait pourtant. Il courut en sa direction et un spectacle saisissant s’offrit à lui : des myriades de gemmes phosphorescentes éclairaient une immense fresque. Peinte il y a des siècles, elle représentait de petits êtres, certains ailés et d’autres non. Ils semblaient vivre en communion, partageant connaissances, remèdes et sentiments, jusqu’au jour où une créature monstrueuse, guidé par un être cornu, se mit à semer la folie. Au terme d’une coûteuse bataille, la bête fut maitrisée, et son maître jugé.

Soudain, un grognement fit trembler le sol, qui se déroba sous les pieds de l’enfant. Lorsqu’il reprit conscience sur un amas de gravats, il l’a vit, la bête ; où ce qu’il devina être sa carcasse : un gigantesque squelette dont la structure défiait l’imagination.

  • Te voilà, Luciole

Lucifer sursauta, il n’y avait personne autour de lui.

  • Oh oh oh, je suis là, juste devant toi.

Impossible, le cadavre lui parlait.

  • Je l’admets, je ne suis pas en grande forme. Celà fait si longtemps que j’attends ta venue, j’ai peut-être perdu un peu de poids.

Il observa son interlocuteur avec attention, au centre de ce qui semblait lui faire office de cage thoracique, se trouvait un organe gélatineux et mouvant.

  • Je suis heureux d’enfin te rencontrer, mais j’ai bien peur que nous n’ayons pas beaucoup de temps. L’autre est en mouvement. Écoute, tout ira très vite, je ne te dirai donc que ceci, conserve cette arme et prend mon coeur. Ils te seront utiles, et lorsque tu ne sauras plus vers qui te tourner : cri et transperce-le.

Lucifer retira le poignard de son épaule.

  • Je…
  • Oh, on dirait que nous ne sommes pas seuls, je vous laisse. N’oublie pas le cœur, Luciole.

Il n’eut pas besoin de se retourner pour deviner l'identité de celle qui l'avait suivi.

  • Pourquoi parles-tu à ce fossile ? lui demanda Gabrielle.
  • Je ne sais pas, il s’est mis à discuter… Une sensation étrange. Je n’ai même pas pu finir de lire la fresque.

Elle voyait son corps, tuméfié par endroit, ensanglanté par d’autres, pas une parcelle de son être n’avait été épargné. Il lui fit face et poursuivit d’une voix chevrotante.

  • Regarde Gabi, finalement, je suis comme toi. Je peux voler !

Sur l’aile gauche se trouvait le sang de l’Ancien et sur celle de droite, celui de sa mère. Gabrielle s’était saisi d’une branche particulièrement pointue en chemin, espérant mettre fin à ses tourments, mais ne pouvant s’y résoudre, elle s'en délesta.

  • Je ne peux pas…

Lucifer, qui avait compris les intentions de la petite ailée, s’approcha d’elle et replaça la branche entre ses mains.

  • Tu es en colère ? Si c’est ce que tu veux, vas-y. Si c’est toi, je ne lutterai pas.

Mais elle la jeta violemment au sol.

  • Non, je ne le veux pas non plus. Je sais que tu n’y es pour rien, je l’ai bien vu, mais tu ne peux pas rester ici. Ils ne sont plus eux-mêmes, s’ils te retrouvent… Qu’est-ce que tu fais ?
  • Je ramasse le cœur. Elle m’a dit que ça me serait utile.
  • Tu es sûr que c’est une bonne idée ?
  • Non, mais c’est la seule que j’ai.

A l’instant où ses mains touchèrent l’organe, l’air se tordit en un point jusqu’à créer une fissure, puis un trou. Lucifer y aurait été aspiré si Gabrielle ne l’avait pas retenue.

  • Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria-t-il, déboussolé.
  • Seul Leader serait capable d’un tel prodige !

Leader, lorsqu’il interrogeait les ailés à son sujet, les mêmes mots revenaient toujours. Un sauveur, un juste, un bon. Son apparence demeurait un mystère et nulle n’avait jamais entendu sa voix. Lucifer inspira profondément, l’ouverture n’affectait pas Gabrielle, pas un caillou ne quittait ce monde, il s’agissait de la décision de Leader. A travers l’étrange fenêtre se dessinaient des nuages, les mêmes que ceux de ce monde-ci.

  • Gabi, tu peux me lâcher.
  • Quoi ?
  • Il a pris sa décision, je ne vous apporterai rien de bon.

Ses yeux ne laissant paraître aucun doute, elle comprit qu’il était vain d’essayer de le retenir. attristée, elle lui répondit.

  • Au revoir Luci.

***

Il chutait, irrésistiblement. Rien ne le ralentirait ni n’amortirait le nécessaire impact. L’air appuyait sur son visage comme pour lui signifier le rejet, il n’appartenait pas à ce monde et devait retourner d’où il venait. Ses ailes, lourdes comme du plomb, ne lui seraient d’aucun secours en ces lieux. Elles s’enflammèrent et l’incendie l'asphyxia jusqu’à ce qu’il perde connaissance.

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