C'est long 19 minutes.
Il ne s'est écoulé que 16 minutes...
C'est trop long.
C'est trop trop long.
C'est si long que je veux dormir.
Je ne suis pas à l'aise sur cette table collante.
Et mes crayons prennent le tiers de ma table.
J'ai déjà mangé tout ce que j'avais à manger.
J'ai faim.
Terriblement faim.
Dessinons.
Dessiner quoi ? Tiens. Un trait ovale et un autre trait presque perpendiculaire. Ensuite, une espèce de trait spiral pour faire la première mèche de cheveux. Si je rajoute un cou aussi long que celui d'une girafe, j'y colle deux petites épaules carrées dénudées. Les mains sont croisées sur la poitrine. Enfin, des patates déformées. Il faut que j'allonge la taille pour lui donner un air sexy et enjoleur. Faire descendre sa chevelure en une cascade divine. Ses yeux doivent être aussi saisissants que ceux d'une biche, avec de la lumière éclatante.
Il me faut mon crayon noir pour le cerner. Si je rajoutais une fleur bizarre dans ses cheveux ? Une fleur tirée de mes délires. Je la dessine avec application et au final, il lui pousse des ailes majestueuses et déchirées. Son sourire est drôlement diabolique et pour rajouter une couche à l'exentricité du dessin, je lui colle un chapeau haut-de-forme sur la tête avec des poupées cousues à la main. Je lui fais croiser les jambes et ses pieds viennent caresser une surface dont la couleur ne peut être définie.
Bon, j'ai quoi comme crayon de couleurs ? Tiens, j'ai même des feutres. C'est cool d'avoir vidé sa trousse, surtout lorsqu'on anticipe l'échec total d'un examen. Du coin de l'oeil, je vois mes amis loucher sur mon chef d'oeuvre terrifiant et ceux qui ne me connaissent pas chuchotent. Ils admirent ma princesse glauque. Bien, j'avoue, ça fait plaisir alors je vais les laisser la regarder un peu plus longtemps.
Ah ! J'ai oublié les boucles d'oreilles ! Je veux des anneaux luisants. Peut-être quelque chose de délicat qui vient caresser son cou et hypnotise le regard. Elle doit lécher ses lèvres au final et ajoutons-y du rouge vermeille.
J'en viens même à dessiner une deuxième femme dans une position plus audacieuse. Elle porte une espèce de tunique fine et transparente. Elle ne peut pas cacher la courbe de son corps et je lui fais des cheveux courts et au carré. Si je lui dessinais un regard hautain sous lequel s'offrait sa gorge d'un blanc nacré ?
De fil en aiguille, je dessine une troisième femme, debout, en arrière-plan, qui me fixe sans ciller. C'est ma Joconde.
Elle est tellement belle que je lui offre une chevelure noir de jais. Elle brille et une queue de serpent lui sert de jambes. Ses doigts caressent quelque chose d'invisible dont la courbe est enchanteresque.
Bien, maintenant, si je faisais un brouillard ? Il me faut ma mine fine. J'en viens à faire les ombres sur les trois femmes pour leur donner du volume. Je leur donne un décor instable et surchargé. J'y ajoute du rouge vermeil, du bleu nuit, du violet et du vert émeraude.
J'en ai plein les mains. Je ne sais pas si mes mains peuvent être considérées comme une oeuvre d'art. J'ai de nouveau mal au poignet.
Je suis satisfaite de mon travail. Je signe et date. J'attends encore et regarde ma montre. Il reste cinq minutes.
Je vais corriger des petits détails qui me dérangent. Alors que je relève la tête, je vois quelqu'un fixer avec envie ma feuille. Je lui souris et lui demande s'il veut mon dessin. Il accepte et je lui donne discrètement.
J'attends encore un peu et quand il est l'heure de partir, je cours chercher mon sac, range mes affaires et me barre en me disant que même si je n'ai pas réussi, j'ai essayé et c'est tout ce qui compte.
Sois dit en passant, j'aurais peut-être dû garder mon dessin et le revendre ...
Je devrais le reproduire ... Si j'y arrive.
Ce n'est pas tous les jours que j'ai un examen de philosophie.
Je laisse tomber.
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