Chapitre 3 : Un repas pas comme les autres
Point de vue de Joanne
— Je meurs de faim, pas toi ? demande soudainement Isuke en se relevant.
— C'est déjà l'heure ?! je m'exclame de surprise en fixant ma montre.
— Je vais prévenir mes parents que j'ai une invité surprise.
— Je suis embarrassée à l'idée de ne pas m'être présentée avant... je veux dire.
Au lieu de ça, je me pince le bras gauche fortement et secoue la tête en le suivant. Arrivés dans la cuisine, Isuke frappe gentiment contre la porte et embrasse sa mère qui nous prépare un bon gratin de pomme de terre.
— Bonjour m'an !
— Oh coucou mon grand ! Tout c'est bien passé avec papa ? demande-t-elle en changeant la casserole de place.
— Tout c'est déroulé comme sur des roulettes !
La mère rit à sa blague, je dois avouer que ce jeune homme à de l'humour.
— On a même eu le droit à une belle surprise ! dit Isuke en me provocant.
J'ai envie de lui tirer la langue.
— Ah bon ? Laquelle ? suffoque-t-elle, concentrée à verser la préparation dans un plat.
— Regarde, derrière toi.
Avant de me parler, elle enfourne le joli plat et monte la température en enlevant ces gants. D'un simple regard, elle me sourit en se débarrassant de son tablier tissée de lin.
— Bonjour mademoiselle ! Comment appelez-vous ? me salue-t-elle en me faisant la bise.
— Joanne madame.
— Ravis de vous rencontrer « Joanne », s'enchante-t-elle en jetant un coup d'œil à son fils, coquine.
— On passe à table dans combien de temps ? change Isuke de conversation.
— Dans trente minutes !
— Avez-vous besoin d'aide pour mettre un couvert ?
— Avec plaisir, Isuke ?
— Oui ?! appelle-t-il venant du salon.
— Peux-tu mettre le couvert avec ton petit frère et aidez Joanne à trouver les couverts s'il te plaît ?
— J'arrive m'an!
Il blottit sa mère contre elle, l'embrasse tendrement et vole un petit bout de pain qu'il met sur la table.
— La nappe est dans le panier.
Effectivement, je vois un bout de tissu dépassé. Je la prends et la dresse avec maladresse sur la table, mais Isuke m'aide de l'autre côté.
— Ichico, tu peux m'aider ?
— Nan !
— Pff, les derniers font toujours rien dans cette maison ! grogne son grand frère en apportant les verres.
— C'est toi qui fais la bonniche aujourd'hui ! nargue-t-il en faisant des grimaces.
— Maman ! Ichico ne veut pas m'aider !
— Ichico, aide ton grand-frère s'il te plaît ! ordonne-t-elle en lavant les plats.
Je ris bêtement en le voyant ronchonner et se diriger vers la cuisine.
— Il manque les services, tu peux les mettre ? je demande avec un sourire tendre.
Il secoue la tête et les met convenablement.
— Je n'ai pas le droit à mon petit bisou ? pose la mère comme question au petit dernier en tendant la joue.
— Non ! Je veux en donner un, mais que sur la jolie fille !
On éclate de rire et me penche pour qu'il m'embrasse.
— Elle s'appelle Joanne, andouille, se moque Isuke gentiment.
On entend la porte d'entrée se refermer. Un drôle de bonhomme apparaît, tendant les bras à son petit fils adoré.
— Viens me dire bonjour !
Il court et se jette dans les bras de son père. Je suis touchée par leur relation.
— Tu rentres tard Justin ! Où étais-tu ?
— J'étais à la ferme en train de m'occuper d'une vache, elle avait un bel abcès à percer. Je vais faire venir le vétérinaire, je pense qu'elle a un autre problème...
— Grave tu penses ? s'inquiète Isuke en déposant les serviettes sur les assiettes.
— Non non, je ne pense pas... mais je pense qu'elle a chopé une belle maladie.
— À cause de sa maigreur ? remarque-t-il en s'approchant de lui.
Il soupire de désespoir.
— À mon avis, c'est un vilain virus qui traîne depuis quelque temps, c'est la troisième fois qu'une vache meurt.
Un long silence plane dans la salle à manger. La mère frappe dans ses mains pour couper ce moment et me présente au père. Je le salue en empoignant sa main et nous finissons par nous installer à table.
* * *
Après les trente minutes écoulées, la mère de Isuke transporte le plat principal. Le petit frère se précipite pour se servir en premier. Puis, c'est à la mère ainsi qu'au père. Le plat vient vers Isuke mais la mère l'interromps en donnant une petite frappe à sa main.
Mais pour qui elle se prend ?
— Nous préférons que ça soit toi qui te sers, parle la mère d'une drôle de façon.
Je prends les services et verse le gratin dans le plat. Nous commençons à dîner tous ensemble.
— Maman, tu sais où est Atsuko ? prend Isuke la parole.
La mère semble l'ignorer et me frotte les paupières, interloquée.
Je ne comprends pas son comportement... Pourtant, elle semblait si gentille...
— Alors Joanne, d'où viens-tu ?
Surprise de voir que Isuke a été rejeté, je me racle la gorge pour mieux parler.
— Je viens d'un autre village.
Il grogne et remet sa coupe de cheveux en ordre.
— Maman, elle est où Atsuko ? demande le dernier fils.
— Elle doit être chez ses amis, répond-t-elle avec un grand sourire.
Il y a quelque chose qui cloche...
— Et sinon, comment se fait-il que vous vous êtes rencontrés alors que mon fils n'a jamais eu d'ami ? s'obstine la mère en roulant des yeux.
Je reste offusquée. Comment ose-t-elle dire ça devant son fils ?
— Maman, ce ne sont pas tes affaires, s'emporte Isuke en grinçant la mâchoire.
— Comment est ce que vous vous êtes rencontrés ? rajoute le père en l'ignorant.
Mais qu'est ce qu'ils leur prends ? Je désire défendre Isuke mais la famille semble vouloir m'écouter.
— Et bien je... c'est une vieille connaissance à l'école primaire... je mens en regardant mon assiette.
— Depuis si longtemps ? Apparemment, notre fils n'a pas de culot...
— Maman ! gémit-il en donnant un coup de poing à la table.
— Que fais-tu dans la vie ? continue le père en étant focalisé sur ma vie.
Je n'arrive pas à me décider entre le fait que Isuke se fasse interrompre toutes les deux secondes ou que la famille me demande sans arrêt des questions sur ma vie privée ! J'hésite en voulant fuir de cette table, mais je reste posée. Je devais arranger les choses.
— J'ai décidé de faire mes études à l'université, je réponds en voyant la tête d'Isuke se relever.
— Oh mais c'est une super bonne idée ! Tu es la bienvenu dans cette maison, se réjouit la mère.
Isuke lui, serre de toutes ses forces la fourchette au point, qu'elle se replie. Je comprends soudainement que j'ai fait une énorme bêtise. Pourquoi j'ai dit ça ? Non ! Je ne pouvais pas retomber dans la même erreur !
— C'est très gentil, mais...
— Elle ne veut pas rester ici, me coupe Isuke hors de lui.
— Ça ne va pas de dire ça ?! Si elle veut rester, elle le peut ! Mais toi si tu veux dégager, dégage ! proteste le père en se levant brusquement.
— De toute façon, je n'ai jamais eu ma place dans cette famille... marmonne Isuke un peu fort.
— Pardon ? Tu dis que tu n'as pas ta place ici ? On a fait des efforts pour toi, alors c'est à ton tour d'en faire jeune homme ! rage le père en étant derrière lui.
Isuke braque les yeux pendant que le père lui fait la leçon sur la politesse. L'homme fort s'installe de nouveau parmi nous.
— Je n'ai jamais vu un gamin aussi mal élevé. Après tout, il tient de son père, ricane le beau père en grommelant.
Isuke a les lèvres tremblantes et les dents serrées. Il est à deux doigt de sortir de cette table. Quant à la mère, je remarque qu'elle laisse son mari l'insulter. Je n'arrive pas à croire... Comment ose-t-il protester contre Isuke ? Même s'il n'est pas son véritable fils...
— Vous êtes tous les même de toute façon. Vous n'êtes que des anti-négatives*. Faut voir la réalité au bout d'un moment. Le monde a été fait comme le président nous l'a dit et il faut l'accepter ! Je ne comprendrais jamais pourquoi ton sale vaurien de père a estimé le contraire. Je n'ai qu'une seule chose à te dire. Que c'est bien fait pour ton père ! Il mérite d'être derrière les barreaux, crache le père en riant nerveusement.
Isuke lâche ces couverts et a les yeux grossissant de colère. Il reste immobile un petit moment, le regard vide.
— Chéri, arrête s'il te plaît...
— De quoi ? Hein ? De toute façon, le président a été clair. Les anti-négatives doivent fermer leur bouche ! Et pourtant, il le fait bien hein ? Ce sale imaginable ! Il n'est même pas capable de voir la réalité. Un moment donné, il faut dire les choses ! Il faut toujours qu'il trouve une excuse. Pff, tu veux nous sauver de quoi ? De rien ! Le monde a toujours fonctionné comme ça et pourtant, regarde ! Nous sommes tous heureux à pars toi ! L'imagination, c'est terminé et je suis bien content que le président ai fait passé cette loi. Au moins, on est tranquille et on pense tous comme les autres. Tu es encore le seul pathétique à te dire qu'on a besoin d'imagination ! Mais c'est terminé mon petit bonhomme ! Notre pensée est meilleure que la tienne ! se déchaîne le père.
J'ouvre grand les yeux. Il parlait bien d'Imaginarium* et me frotte nerveusement les mains. Apparemment, Isuke était le seul à voir la réalité. Ils vivent tous dans un rêve... Ils pensent que leurs pensées sont placées au meilleur endroit...
— Pfff, faut arrêter de jouer de la guitare. Tu nous casses les tampons avec ! Je ne veux plus entendre de musique ! Est ce que j'ai été clair ?! rage le père.
Outré, le jeune homme quitte sa place et part en courant.
— C'est ça, quitte la table, pfff.
La mère fixe légèrement le père. Elle secoue la tête en souriant.
— Heureusement que tu es là pour l'aider... j'espère qu'il comprendra qu'un jour, le véritable bonheur est ici et que cet Imaginarium, n'existe pas ! constate la mère.
Je suis recouverte de peur. Je n'arrive pas à croire... Ils sont sérieux ? Pourquoi continuent-ils de le rabaisser alors que chacun peut avoir ces propres opinions ? Ils sont allés beaucoup trop loin...
J'aurais du fuir avec vous enfin de compte...
En repensant à sa phrase, je comprends soudainement son envie de partir...
— Nous sommes sincèrement désolés Joanne... ce n'est pas ce que tu crois. Tôt ou tard, il finira par comprendre que nous sommes là pour le protéger... Tu ne le diras à personne ? demande la mère toute angoissée.
Je hoche la tête délicatement.
— Soupire, ce n'est pas ce qu'il voulait dire... tu peux rester ici si tu en as envie, soutient le père en me souriant.
— Si tu veux, on peut aussi t'aider à entrer à l'université, s'indigne la mère en ne voulant pas que je dise le secret de son fils.
— Vous savez je...
— Non non, ne t'en fais pas, on t'aidera à aller à l'université, m'interromps le père en assistant.
— Si vous le dites... je murmure.
Je comprends qu'ils soient angoissés pour leur fils, mais pourquoi ne peuvent-ils pas s'expliquer autrement ? En continuant le repas en silence, je fixe mes patates pendant un bon moment.
Je repense aux paroles du père. De toute façon, il y a toujours eu des désaccords dans chaque famille... Et pourtant, c'était un gros problème s'ils étaient contre Imaginarium... Mais le monde est devenu comme ça malheureusement... On ne peut plus rien faire...
Après avoir terminé le délicieux repas, je monte doucement dans la chambre de Isuke.
— Isuke? je l'appelle avec une voix d'ange.
La chambre semble vide, les rideaux sont tirés. Je me mordille la lèvre inférieur. Mais où-est-il parti ?
Anti-négatif : ceux qui sont contre la société et qui pensent autrement.
Imaginarium : un monde imaginaire dans lequel des personnes peuvent retrouver l'imagination.
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