Cette fois-ci, je ne suis pas triste ou perdu, je bouillonne de rage. Il faut que je trouve un exutoire avant de croiser quelqu'un, sinon je vais exploser sur cette personne sans raison. Une salle de sport, c'est ce dont j'ai besoin. Un punching-ball fera définitivement l'affaire !

Je suis encore perdu dans ce dédale. J'ouvre une à une toutes les portes au hasard. Des toilettes, des salles de cours, la piscine, une salle de musique, mais où est la salle de sport ? Où pourrais-je aller courir ? Non, je ne peux pas sortir de cet enfer. Je suis bloqué ici jusqu'à nouvel ordre, prisonnier de ce lieu que j'ai découvert il y a deux jours. Je déambule depuis plusieurs heures maintenant et je n'ai toujours pas trouvé la salle de sport.

• J'en ai marre, putain !, je crie dans les couloirs. Pourquoi toutes ces merdes m'arrivent ? Bientôt je vais devoir sauver le monde ? Il va falloir que je porte des collants et une cape ? On m'appellera Warlockboy ou je ne sais quoi ?

Un rire résonne dans le couloir. Je pensais pourtant être seul. Je me retourne, personne aux alentours.

• Qui est là ?, je demande.

Aucune réponse. Pourtant, j'ai clairement entendu quelqu'un se moquer de moi. Je deviens aussi barge que la folle de Violane.

• Je t'ai entendu rire, montre-toi.

Toujours aucun son. Tant pis, j'ai dû rêver. Je me retourne et me retrouve face à face avec un vieillard grisonnant, le dos courbé, s'appuyant sur un bâton pour se tenir debout.

• Oh, pu... Mais vous êtes fou ? Vous voulez ma mort sur la conscience ? Tiens, Hécate n'aurait pas vu venir ça. Le prophète, mort avant même d'accomplir sa quête à cause d'un vieillard lors de sa recherche d'une salle de sport.
• Le prophète ? C'est mignon. Tu penses être un prophète. Tu n'es rien de plus qu'un vulgaire pion, tout comme je l'ai été bien avant toi, mon enfant, marmonne le vieillard.
• Un pion ? Que voulez-vous dire ? Et d'ailleurs, qui êtes-vous déjà ?, je demande.
• Cela importe peu, je viens simplement te prévenir. Ne commets pas la même erreur que moi. Suis ta propre destinée, personne ne peut te dicter tes choix, pas même Hécate ou qui que ce soit d'autre. Jusqu'à présent, ta vie a été dictée par d'autres, beaucoup se sont joués de toi. Mais ne te laisse plus faire, brise les règles, prends position, suis tes convictions. Entoure-toi de personnes qui te soutiendront et non de ceux qui te manipuleront. Sinon, tu finiras comme tous les autres pions du destin, sur un bûcher, asservi par un roi, crucifié ou plongé dans des situations tout aussi lugubres les unes que les autres. Un mage complet doit avoir sa propre volonté, ne doit pas se cacher derrière l'idéal d'un autre.

Avant même que j'aie le temps de poser des questions, l'individu se transforme en fumée et disparaît sous mes yeux. Qu'est-ce que c'est encore que ça ? Des esprits venus d'outre-tombe qui me donnent des conseils ?

Pourtant, ce qu'il a dit m'intrigue. Il sait que je suis un mage complet et semble me comparer à Jeanne d'Arc et Merlin. Le bûcher fait référence à la mort de Jeanne, tandis que la mention de l'asservissement à un roi évoque l'histoire de Merlin et du roi Arthur, je suppose. Il me prévient que je vais finir par mourir ou devenir un esclave pour le reste de mes jours ? Super, il ne manquait plus que ça. Cependant, sa solution me plaît. Je vais écrire mon histoire, même si j'avais déjà l'intention de le faire auparavant. Fini le Silu qui pleurniche, qui s'apitoie sur son sort. Je vais me battre et trouver des réponses. Si je ne les trouve pas, je fouillerai encore plus profondément. Je découvrirai qui a tué mon père, je blanchirai mon frère et je me vengerai. Je ferai éclater la vérité sur les manipulations de Zélia et Nate.

Voilà mon objectif, voilà pourquoi je vais me battre. Et si cela signifie perdre Zélia, qu'il en soit ainsi ! Après tout, elle m'a manipulé depuis le début. Je ne vois pas pourquoi je devrais être triste de l'effacer de ma vie. Elle ne mérite pas d'y avoir une place, pas après tout ce qu'elle m'a dit, pas après toutes ses manipulations, pas après avoir essayé de tuer Jake. Ce crétin ne mérite pas de mourir.

Enfin, je trouve la salle de sport. Elle est vide, et un punching-ball trône au milieu de la pièce. Parfait. Je retire mon uniforme de l'université de magie. Plus de chemise, plus de pantalon. Je suis torse nu et en slip, faute de short. J'évacue toute ma colère en criant à chaque coup, des insultes sortent de ma bouche, je libère toute ma frustration.

• Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?, crie une voix derrière moi.

Je me retourne et constate, stupéfait, que la salle de sport est sens dessus dessous. Rien n'est à sa place. Les appareils de musculation sont gelés, les ballons de foot sont éclatés, le sol est fissuré et le punching-ball est marqué de brûlures.

• Qu'est-ce que j'ai fait ?
• Va falloir m'expliquer aussi, Silu, me réprimande Jake. Pourquoi es-tu à moitié nu ici alors que tu es censé te reposer ? En plus, tu as utilisé tes pouvoirs, mais tu es fou ? Tu veux encore faire une overdose ?
• Eh bien quoi ? Ça te ferait quoi ? fulminé-je. Tu aurais un fardeau en moins dans ta vie. Qui se soucie de moi de toute façon ? Suis-je vraiment si important ? Qui pleurerait si quelque chose m'arrivait ? Hécate ? Oui, elle n'aurait plus son foutu nouveau jouet de prophète ?! Elle serait la seule à se souvenir de moi.

Je vois son visage se décomposer à mesure que mes paroles vindicatives atteignent leur cible.

• Ton frère et ton père seraient tristes là-haut de te voir gâcher ta vie et d'entendre ce que tu dis.

Ses mots me touchent au plus profond de moi. Il sait où toucher pour me raisonner.

• Et moi... moi, je me souviendrai de toi. Moi, je pleurerai pour toi. Alors arrête, tu vas te faire mal... Tu es en train de prendre feu, Silu...

Je regarde mes bras, entourés de flammes turquoises. Elles dansent jusqu'à la moitié de mon corps.

• Calme-toi, s'il te plaît, Silu... Quand un mage de feu s'énerve trop, il court le risque de s'enflammer spontanément, surtout les novices.

Je panique. Les flammes continuent de grandir.

• Aide-moi, Jake, je ne les contrôle pas. Ne me laisse pas mourir, je ne veux pas mourir.

La terreur se lit sur mon visage, je n'ai jamais été aussi effrayé de ma vie. Je sens chaque battement de mon cœur dans ma poitrine enflammée d'un bleu éclatant. Jake tente de m'arroser avec de l'eau, mais cela ne sert à rien. Elle s'évapore au contact de ma peau.

• Recule, je ne veux pas te blesser, lui dis-je. S'il te plaît, tu es l'une des seules personnes que je ne veux pas blesser...

En guise de réponse, il enlève ses vêtements et s'approche de moi. Je recule.

• Arrête, Jake, je vais te brûler, je suis dangereux...

Je me retrouve coincé dans un coin, incapable de m'éloigner davantage de lui. Il continue d'avancer, tendant les bras.

• Arrête, idiot ! Jake, je vais te brûler...

Il est à seulement trente centimètres de moi, je vois la sueur ruisseler sur tout son corps. Je ferme les yeux, terrifié à l'idée de ce qui va se passer. Je ne veux pas blesser les personnes que j'aime. Et puis, je sens soudain une étreinte autour de moi. Rien de plus. La chaleur se dissipe. Sauf celle de la peau de Jake contre la mienne.

J'ouvre les yeux. Son visage est juste en face du mien. Et puis merde, le vieillard a dit que je devais décider de ma vie, prendre des décisions. En voilà une de décision que je prends tout seul ! Je l'embrasse. Mais ce n'est pas un baiser fugace comme dans mon rêve. Je n'ai jamais embrassé quelqu'un avec autant de passion, je n'ai jamais ressenti ce que je ressens en ce moment. Mon rythme cardiaque s'emballe encore plus qu'au moment où je prenais feu.

Il est surpris mais finit par m'embrasser à son tour, profitant autant que moi de ce moment suspendu.

• Silu, je pense qu'il est temps de te rhabiller, dit-il en pointant du regard vers le bas.
• Jake, je pense qu'il est temps que tu te rhabilles aussi, dis-je en jetant un coup d'œil vers son slip en riant.

Nous remettons nos vêtements, un peu gênés par cet instant. C'est la première fois que cela se produit, que je ressens une réaction physique si forte avec un simple baiser. Même la première fois avec Zélia, cela ne s'était jamais produit.

Alors que j'enfile ma chemise, je remarque que la chemise est brulée au niveau de mon torse.

• Je pense qu'il faudra passer par notre chambre pour que je puisse me changer, dis-je. en passant mon bras par le trou.
• Ou tu peux rester ainsi et me permettre d'apprécier la vue, réplique-t-il en souriant.

Je le regarde, surpris par ses paroles, mais en même temps amusé de le voir aussi taquin.

• Pardon, pardon, je n'aurais pas dû dire ça. C'est sorti tout seul...
• Alors, tu apprécies la vue, chuchoté-je à son oreille tout en prenant sa main droite pour la faire glisser sur mon torse.

Si nous étions dans un manga, Jake aurait certainement de l'air qui lui sort des oreilles et serait en train de saigner du nez.

• Ah ah, tu devrais voir ta tête en ce moment, m'exclamé-je.
• C'est cruel ce que tu fais en ce moment, dit-il gêné.
• Ah bon, tu sembles pourtant apprécier.
• Oui, j'apprécie, mais c'est quand même difficile de me contrôler en ce moment.

Je recule légèrement pour lui laisser de l'espace et lui permettre de reprendre ses esprits.

• Pourquoi m'as-tu embrassé ? Et pourquoi ce changement soudain dans ta façon de te comporter avec moi ?, demande-t-il.
• Parce que j'ai décidé de vivre ma propre vie, de prendre mes propres décisions et de ne plus laisser les autres dicter ma vie.
• Et donc, ton premier choix dans cette nouvelle vie a été de m'embrasser, rougit-il. Je le prends comme un compliment.
• Hmmmm, oui, c'est ça. Et je pense que c'est un très bon choix, souri-je. Même si mon tout premier choix a été de frapper un punching-ball, de détruire la salle de sport et de presque prendre feu. Soyons honnêtes, ce n'était pas un très bon choix."

Il prend ma main et murmure :

• Je suis content d'être ton premier très bon choix alors.

Il m'embrasse à nouveau et m'enlace avec passion. Son corps brûle de fièvre.

• Est-ce que ce premier baiser dans la réalité est plus convaincant ?, lui demandé-je alors que nos corps s'entrelacent toujours.
• Beaucoup mieux qu'un baiser volé dans le rêve de quelqu'un d'autre, en tout cas. Sinon, je ne l'aurais pas réitéré aussi rapidement.
• Tes critères ne sont pas très exigeants, ris-je.
• Les tiens le sont bien plus, alors que tu as une érection après mon premier baiser, qui ne devait pas être fameux ?

Je rougis et ne sais pas quoi répondre.

• Euh... Tu sais... Enfin... Ce baiser était vraiment... Très bien.
• Il en faut si peu pour déstabiliser un prophète auto-proclamé, dit-il en me souriant.

Il est clair qu'il me déstabilise depuis un certain temps. Il ne fait aucun effort pour ne pas me déstabiliser non plus, avec son sourire charmeur et ses yeux turquoises remplis d'étoiles après ce qui vient de se passer. En guise de réponse, je lui attrape la main et lui lance :

• Bon, arrête les discours mielleux et aide-moi plutôt à ranger la pièce. Je ne vais pas pouvoir décongeler les appareils de musculation tout seul, et en plus j'ai mal partout.
• Je ne pourrai pas réparer toute la salle. Réparer le sol fissuré est au-delà de mes capacités.
• Et au-delà des miennes... En tant que personne saine d'esprit et calme, du moins.

Nous commençons à ranger un peu la salle tout en continuant à discuter.

• Je vais m'arranger pour finir les réparations plus tard. Je vais informer M. Brick de l'incident pour qu'il ferme la salle. Tu as choisi la plus petite salle de sport, donc cela ne devrait pas causer de problèmes majeurs.
• En réalité, je n'ai rien choisi du tout. C'est juste la première salle que j'ai trouvée après avoir déambulé pendant des heures, dis-je.
• Un jour, tu arriveras à te repérer, rit-il.
• Ou bien j'aurai besoin d'un guide. Il serait temps qu'ils inventent un GPS pour cette école.
• Désolé, mais tu serais le seul à l'utiliser. Tout le monde arrive à se localiser ici, sauf toi.
• Comment faites-vous ? C'est un véritable labyrinthe.
• Normalement, le bâtiment se modifie pour te guider vers ta destination, mais apparemment, cela ne fonctionne pas pour toi.
• Tu te moques de moi, ou ça fonctionne vraiment comme ça ?
• Non, non, c'est la réalité. Pour te trouver, j'ai juste pensé à toi, puis j'ai marché. Ensuite, j'ai couru en entendant tes cris, mais c'est une autre histoire.
• Et pourquoi me cherchais-tu ?
• Je voulais simplement te proposer de regarder un film ce soir avec Léo, Alec et moi."
• Seulement s'il y a du popcorn, alors ! m'exclamé-je.
• Sucré ou salé ? Ne dis rien, un garçon aussi doux que toi ne peut qu'aimer le popcorn sucré, dit-il en lançant un sourire qui fait fondre mon cœur.
• Si nous n'étions pas en train de nous embrasser il y a quelques instants, je pourrais penser que tu essaies de me draguer.

Il rougit instantanément.

• Tu vas rougisr dès que je te fais un compliment ou que je remarque que tu me dragues, ris-je.
• Hmmm, pour le moment, oui.
• J'essaierai d'être plus discret en public alors, sinon tu seras grillé, dis-je en lui caressant la joue.

Je brûle d'envie de l'embrasser à nouveau, mais je freine mes pulsions.

• En parlant de ça..., commence-t-il.
• En parlant de quoi ?
• J'ai discuté avec Léo et Alec tout à l'heure. J'ai suivi tes conseils et je leur ai dit que j'étais... gay, dit-il à demi-voix.
• Tu sais, ce n'est pas une insulte, tu n'es pas obligé de le dire tout bas. Surtout avec moi.
• Je sais, je sais, mais c'est juste que le dire tout haut, ça concrétise tout le concept. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire, et je ne me sens pas encore totalement à l'aise avec ça.
• Je comprends, prends ton temps. Mais au fait, qu'est-ce qu'ils ont dit ?
• Qu'ils étaient déjà au courant. Je ne devais visiblement pas être très discret, rit-il.
• Ou bien ils te connaissent bien, vu le temps que tu as passé avec eux.
• Peut-être. En tout cas, tout s'est bien passé et je me sens vraiment soulagé. Ce que tu m'as dit tout à l'heure m'a vraiment aidé.
• De rien, ça fera 50 euros pour la séance de psychanalyse, plaisanté-je.
• Je pense que je vais devenir millionnaire si on commence à faire payer les séances de psychanalyse entre nous.
• Aïe, touché, rigolé-je en mettant ma main sur le cœur et en feignant de tomber dans les pommes.
• Arrête ton mélodrame. Sinon, tu ne m'as pas répondu, sucré ou salé pour le popcorn ?
• Sucré, tu avais bien deviné, Casanova.
• Bon, tu dois choisir le film aussi. Léo et Alec veulent juger tes goûts cinématographiques.
• Vous me mettez la pression là ?
• Un peu, on va dire que ça pourrait être un vice rédhibitoire.
• Je vais y réfléchir alors. Y a-t-il des genres de films que vous n'aimez absolument pas ?
• Je déteste les westerns et les films de guerre personnellement.
• Hmm, je ne suis pas un grand fan non plus. Et les films d'horreur ?
• Ça dépend, si je peux te tenir la main pendant les moments stressants, ça ira.

J'ai toujours été un grand fan de films d'horreur, mais je n'aime pas les regarder seul. À chaque fois, j'ai l'impression que ma maison devient hantée et que le moindre grincement est un meurtrier assoiffé de sang ou un fantôme qui veut me hanter. En revanche, quand je les regarde avec des amis, je ris aux éclats en voyant la tête des personnes effrayées.

• Conjuring ? proposé-je.
• Hmm, pourquoi pas ? Je ne pense pas que les garçons l'aient vu non plus.

Nous finissons de ranger la salle de sport et nous nous dirigeons vers notre chambre pour que je puisse me changer.