Cendrillon vue par Anastasie

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Lorsque je vins m’installer dans la belle maison du nouveau mari de ma mère, quelle surprise de voir que ce brave gentilhomme était déjà pourvu d’une progéniture. Dans un premier temps, il m’apparut qu’avoir une nouvelle sœur pourrait être amusant. La mienne, ridiculement prénommée Javotte, était des plus insipides. Sa bêtise n’avait d’égale que son physique quel avait fort laid.

Ma nouvelle sœur possédait un regard doux et bon et je me réjouissais déjà de pouvoir partager mes conversations avec elle. C’était sans compter l'adorable caractère de ma chère mère qui ne put jamais souffrir la comparaison entre elle et feu l’ancienne épouse de mon beau-père. Elle déversa donc sa grande frustration contre la douce enfant.

La pauvre fille fut reléguée au grenier avec pour seul lit une vieille paillasse inconfortable. Assignée aux tâches domestiques les plus viles, je la croisais souvent genoux râpés à récurer les sols de mes appartements. Combien de fois je voulus l’aider ! Mais, mon caractère étant de ceux des faibles et n’ayant pas l’audace de me confronter à mon acariâtre mère, je n’en ai jamais rien fait.

La cruauté de ma méchante sœur apparaissait tout aussi sinon plus détestable que celle de ma mère. Tout ce qu’elle pouvait faire pour humilier celle qu’elle considérait comme sa grande rivale, elle ne s'en privait point : un seau renversé, des assiettes cassées, du linge propre tâché à dessein…Aucune humiliation ne lui était épargnée.

Elle supportait tout avec patience et courage. J’avoue qu’au fond, elle forçait mon admiration. Et même lorsque les deux méchantes femmes l’affublaient du surnom de Cendrillon (car elle se chauffait dans les cendres), elle ne répondait que par de douces amabilités.

De toutes les façons possible, Cendrillon se révélait bien plus belle que nous toutes réunies.

Quand l’invitation du roi fut portée à ma mère, celle-ci entra en ébullition. Elle voyait là une chance pour l’une de ses filles de faire le plus grand des mariages. Quelle vanité ! Cela me fit sourire. Ni moi, jeune fille boulotte très commune de visage, ni ma sœur aussi laide d’esprit que de face, n’avions la moindre chance de faire chavirer un prince. Pourtant, ma faiblesse, la faiblesse d’un cœur trop romantique, me fit rêver d’un destin où le prince deviendrait mon mari.

Pris dans le tourbillon, je me trouvais bien aise d’utiliser les services et les conseils avisés de ma demi-sœur qui malgré les multiples demandes exténuantes ne se départit pas de sa gentillesse. Dans sa bonté elle se proposa même de nous coiffer !

Alors qu’elle nous coiffait, je ne pus, au grand désarroi de ma sœur (qui grimaça à ce moment-là, terrifiante) m’empêcher de lui demander si elle ne désirait pas, elle aussi, venir au bal. Après tout l’invitation concernait « toutes » les jeunes filles à marier, sans exception.

Elle répondit que non, que sa place n’était pas là-bas. Mais je sentais bien au fond qu'il s'agissait d’un mensonge. Et Javotte, dans sa bonté habituelle, ne put s’empêcher une remarque acerbe sur son accoutrement qui attirerait d'inévitables moqueries.

Le soir du bal, après avoir revêtu mon plus beau manteau, celui à fleur d’or, et souffert des heures de martyre pour resserrer ma lourde taille (sans grand résultat je dois dire), je montais dans la voiture aux côtés de ma sœur et ma mère qui n’avait jamais eu l’air aussi jovial. Le chemin me laissa juste le temps de quelques rêveries où le prince prenait toute sa place.

La file de gens venus se rendre au bal étai s'étirait impressionnante. Nous mîmes près de quarantes minutes pour enfin pouvoir pénétrer dans la salle de bal.

Mes yeux se figeaient, émerveillés de toute cette splendeur qui se dégageait du lieu.

Toutes les jeunes filles du royaume s'entassait là. Je compris en cet instant que mon espoir était vain. Tant de jeunes filles au teint rose et frais, à la taille souple et fine se réunissaient là.

Le prince arriva enfin, il était d’une beauté à couper le souffle. J’ eus mon premier vrai coup de foudre à l’instant où je l’aperçut. L'envie qu’il me regarde et qu’il m’enlève pour m’amener au loin sur son fier destrier, occupait mon esprit.

Le prince fut le plus prévenant des hommes, prenant soin d’avoir un mot, une danse pour chacune des jeunes filles réunies ici. Quand vint mon tour, il complimenta l’élégance de mon manteau tout en prenant ma main pour me guider sur la piste. Quelle décharge lorsqu’il posa sa main dans le bas de mon dos ! Je crois que je n’avais jamais ressenti ça. Malheureusement, l’instant de magie ne dura point. Un des gardes vint lui murmurer à l’oreille qu’une grande princesse venait d’arriver. Il s’excusa auprès de moi et sortit précipitamment.

Les chuchotements qui emplirent la salle me forcèrent à tendre le cou pour voir ce qu’il se passait. Le grognement de haine de ma sœur me fit mettre sur la pointe des pieds plus curieuse que jamais.

Alors je vis le prince au bras d’une jeune fille extraordinaire de beauté, habillée d’une soie si éclatante qu’elle avait dû être filée par un ange.

Le prince, comme il l’avait fait pour les autres, l’entraina sur la piste de danse. Ils commencèrent à virevolter dans une cruelle perfection qui je l’avoue me fit ressentir une extrême jalousie. Ma mère qui s’était rapprochée, pestait entre ses dents. Elle voyait son rêve de mariage volé en éclat.

Le premier coup de minuit venu, la belle princesse inconnue se mit à courir pour s’enfuir à travers la foule, le prince à ses trousses.

La musique s’était arrêtée et tout le monde se regardait incrédule.

Lorsque le prince revint, il tenait une délicate petite chaussure de verre dans sa main tel un joyau inestimable. Dès cet instant, le prince ne fit plus aucun effort et ne chercha plus la compagnie de toutes ces jeunes filles qui ne possédait plus qu’une seule ennemie commune.

Alors il fallut bien rentrer. Une Cendrillon ensommeillée nous ouvrit la porte et la sotte Javotte se mit à babiller d’une voix haut perchée, racontant l’apparition de la belle princesse qui avait instantanément touché le cœur du prince. L’épisode de la pantoufle oubliée ne fut pas épargnée et si ma mère n’était pas intervenue pour interrompre ce pénible bavardage, je crois bien qu’elle aurait pu y passer la nuit.

L’exaltation de cette histoire entra dans son paroxysme lorsqu’on apprit que le roi ne ménagerait pas ses efforts pour retrouver la belle. Il avait pour idée, un peu folle, de faire essayer la chaussure perdue à toutes les jeunes filles du royaume, de la princesse à la plus petite servante.

Le jour où vint notre tour, je vous avoue m’être pris, dans l’ambiance hystérique familiale, à rêver de rentrer mon pied boudiné dans la délicate chaussure. Bien sûr, il n’en fut rien. Ma vilaine sœur s’acharna tant bien que mal de faire entrer son pied, qu’elle avait fort grand d’ailleurs, dans le bel escarpin. Cendrillon qui regardait la scène avec attention un balai à la main, laissa échapper un rire cristallin, éveillant ainsi l’attention de l’émissaire du roi, et se permit de demander la permission d’essayer l’objet de tous les espoirs. Je ne pus, méchante que je fus en cet instant, m’empêcher d’unir mon rire à celui de Javotte. Ma mère, elle, fulminait de rage.

Le gentilhomme ne vit pas d’objection à la demande et présenta la chaussure de verre qui se glissa parfaitement au pied de la demoiselle.

Vous ne pouvez pas vous imaginer les visages de ma cruelle famille alors que Cendrillon sortait de sa poche la sœur jumelle de la jolie pantoufle. Je me trouvais alors pétrie de jalousie, imaginant griffer le doux visage de celle qui n’avait fait que nous retourner la monnaie de notre pièce de la plus glorieuse des façons.

La suite, comme tout le monde, vous la connaissez et je n’ai nul besoin de m’en épancher.

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