Chapitre 3
19 février, Hôpital Privé de Versailles
Philippe finit le dernier point et reposa la pince sur la desserte.
— Apportez-moi les radios de contrôle dès que possible, je vais prendre un café.
En sortant de la salle, il jeta blouse, calot et gants et se dirigea vers son petit bureau. Il avait opéré deux patients dans la matinée, posé une prothèse de hanche et reconstruit un ligament croisé. Il avait besoin d’un moment de repos. Il profita de la pause pour prendre connaissance des derniers messages. Il avait remarqué que son ami John Freeman l’avait contacté mais n’avait pas pris le temps de lire le mail avant d’entrer au bloc.
Comme il ouvrait la correspondance, une jeune instrumentiste vint lui apporter son café, comme il l’aimait, noir et sans sucre. Elle était plutôt mignonne, pour autant que la tenue verte puisse en laisser juger, mais Philippe, depuis la fin de l’internat, avait choisi de ne pas mélanger travail et bagatelle.
Kaïs, l’assistant de Philippe, entra ensuite avec les clichés demandés. Après un rapide coup d’œil, satisfait du résultat, Philippe renvoya le jeune médecin en précisant qu’il passerait voir les deux patients un peu plus tard, après leur réveil.
De nouveau seul, Philippe prit le temps de lire le mail reçu plus tôt.
John Freeman était un chirurgien américain dont Philippe avait fait la connaissance lors d’une résidence postdoctorale au Kaiser Permanente Los Angeles Medical Center près de Hollywood.
Les deux hommes avaient fréquemment opéré ensemble et étaient devenus inséparables durant tout le séjour de Philippe en Californie.
John avait étudié la médecine à l’UIC, Université de l’Illinois à Chicago et après avoir obtenu son diplôme de chirurgie, il était venu pratiquer à Los Angeles. Après le départ de Philippe, il avait choisi de s’orienter vers la chirurgie plastique et avait intégré une clinique spécialisée en chirurgie esthétique dont il était maintenant l’un des principaux associés.
Le courrier de John annonçait deux nouvelles importantes. Il s’était marié avec Shaina et avait acheté une nouvelle maison sur les hauteurs de Malibu. Des photos étaient jointes et Philippe se demanda de quoi son ami était le plus fier. Il faut dire que dans les deux cas, on pouvait l’envier.
La photo de Shaina la représentait sur une plage, silhouette sportive, une planche de surf sous le bras, de longs cheveux sombres mouillés. John précisait qu’elle était originaire de Hawaii, qu’elle pratiquait le surf à haut niveau, et qu’elle était accessoirement la directrice financière de la clinique.
La photo de la maison présentait une villa bâtie sur plusieurs niveaux, des terrasses avec vue sur le Pacifique et une grande piscine en contrebas prolongée par une pelouse.
Le texte se terminait par une invitation à venir faire connaissance de la première et profiter de la seconde, et ajoutait avec un smiley, « ou bien l’inverse ».
Philippe choisit de ne pas répondre immédiatement et se consacra à la suite de son courrier.
À quarante-cinq ans, Philippe de Loubennes était un chirurgien reconnu. Il avait renoncé à la carrière universitaire au désespoir du Professeur Leblond qui voyait en lui son successeur et aurait aimé le voir préparer l’agrégation. Philippe avait préféré opter pour le secteur privé, plus lucratif, et opérait maintenant à l'Hôpital Privé de Versailles, l'ancienne Clinique des Franciscaines.
Issue d’une vieille famille aristocratique dans laquelle le service de l’Etat était une tradition, il avait tourné le dos à la Marine, au quai d’Orsay et à Polytechnique au grand désespoir de son père et de ses oncles.
Il avait brillamment réussi le concours d’internat et avait pu obtenir un rare sésame pour se perfectionner aux Etats-Unis. À son retour, il avait fait la connaissance de Brigitte, une rousse pulpeuse et volcanique lors d’un dîner chez ses parents. Brigitte était avocate, et avait elle aussi fait un pied de nez à sa famille en défendant des causes improbables, comme la dernière en date, une femme ayant tué son mari violent, pour laquelle elle avait obtenu la relaxe en justifiant la légitime défense. Cette dernière affaire lui avait d’ailleurs valu un joli succès médiatique. Aucun des deux n’avait cru au hasard de leur rencontre mais ils avaient tous deux joué un moment le jeu avant de s’éprendre sincèrement l’un de l’autre.
Ils vivaient dans une belle maison de style ancien dans la vallée de Chevreuse, leur seul regret étant de ne pas avoir d’enfant.
À l’heure du déjeuner, Philippe appela Brigitte comme il le faisait souvent. Il aimait entendre sa compagne lui raconter les potins du Palais, ce qui le changeait un peu de l’ambiance de l’hôpital.
Cette fois, Brigitte lui proposa d’inviter son amie Julie pour le week-end suivant.
Brigitte et Julie ne s’étaient pas perdues de vue depuis la fin de leurs études, et lorsque la journaliste leur avait présenté Ange, les deux hommes avaient tout de suite sympathisé.
Philippe accepta immédiatement, se réjouissant à l’avance d’une soirée toujours agréable avec ce couple charmant.
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