Chapitre 38
2 mai, Pasadena - West Hollywood
Cheyenne Lovett vivait seule dans un mobil-home au nord de Pasadena. Sans famille ni attaches, elle n’accordait que peu d’importance aux biens matériels, à l’exception de sa Harley, qu’elle avait amoureusement customisée. Une vénérable Jeep Cherokee presque aussi âgée qu’elle, était garée sous un abri sur le côté. Elle ne lui servait que les jours de pluie intense ou pour transporter des objets volumineux, ce qui n’arrivait que très rarement. L’intérieur de l’habitation, à l’exception d’une petite chambre purement utilitaire, était consacré à ses équipements informatiques. Pour un néophyte, son matériel aurait pu se confondre avec celui d’un « gamer », mais dans des baies dissimulées étaient logés plusieurs routeurs lui permettant de se connecter, de manière complètement anonyme, à de multiples réseaux et ressources non autorisées ainsi qu’au monde sulfureux du « dark web ».
Cheyenne n’était pas une « hacker » au plein sens du terme et ses recherches étaient exclusivement destinées à l’exercice de sa profession, mais elle avait néanmoins développé un ensemble de connexions avec des profils peu recommandables à qui elle devait tout de même de temps en temps renvoyer l’ascenseur.
Elle avait acquis les bases de son savoir à Quantico, l’académie du FBI. Elle avait ensuite développé son expérience au contact de ces individus, ce qui avait fini par lui coûter son job et un bannissement des agences fédérales et des forces de police officielles. Tracer le portrait « web » d’un individu faisait partie de sa routine et dès qu’elle fût rentrée de Malibu, elle lança quelques programmes et s’offrit quelques heures de sommeil pendant que ses machines travaillaient pour elle.
Au petit matin, après une douche et un café, vêtue d’un simple tee-shirt XXL, elle s’installa devant sa console principale pour examiner les résultats. Les informations les plus récentes ne lui apprirent pas grand-chose de plus que ce qu’elle avait déjà découvert à partir de son téléphone la veille.
Le Docteur McLay apparaissait comme un médecin brillant, soucieux de sa réputation professionnelle, très actif depuis quelques mois dans les cercles mondains. Ce que Facebook et LinkedIn ne disaient pas, mais que Cheyenne avait également trouvé, c’est que le Docteur McLay avait aussi son Mister Hyde, qui fréquentait les milieux du jeu, misait gros et perdait tout autant. Cela aurait rapidement dû le mettre sur la paille, mais curieusement, la séquence se reproduisait à intervalles réguliers, depuis plus de six mois. McLay honorait toujours ses dettes, rubis sur l’ongle et en cash. Cheyenne prit note d‘étendre les recherches pour identifier les bénéficiaires de ces parties royales.
Au-delà de six mois, elle ne trouva plus trace de ces soirées et après un an, le nom de McLay n’apparaissait plus dans les gazettes californiennes.
Les recoupements effectués entre les profils de McLay et de Samantha Page lui permirent de faire remonter le début de leur relation régulière à moins de trois mois. McLay était visiblement fier de se montrer aux côtés de l’ancienne starlette qui lui avait ouvert les portes d’Hollywood. Ceci aurait pu passer pour une simple opération de relations publiques intéressées si des événements tragiques n’avaient mis fin à cette séquence. Le profil du Docteur McLay ne faisait que peu de référence à la clinique Sunny Vale, hormis sur son curriculum vitae.
En remontant la piste professionnelle, Cheyenne fût assez surprise de découvrir un trou de près de 15 mois, précédent son entrée dans l’équipe de Sunny Vale, uniquement décrit comme une période sabbatique à des fins humanitaires en Thaïlande, activité louable mais assez peu cohérente avec le style de l’individu. Plus avant, le parcours remontait vers quelques années de pratique de la chirurgie plastique dans un établissement privé d’El Paso, au Texas et à un cursus à l’école de médecine de l’université Tulane de la Nouvelle-Orléans. A contrario de sa période californienne, la vie sociale du Dr McLay au Texas, ou tout du moins sa transcription digitale, paraissait plate et terne. Le compte Facebook ne présentait aucune activité significative avant le retour d’Asie. McLay semblait avoir résolument changé de vie. Les journaux d’El Paso ne faisaient aucune référence au médecin et le site de l’université mentionnait McLay dans les listes d’étudiants sans aucune activité notable autre que strictement scolaire.
Qu’est-ce qui avait pu provoquer un tel changement chez cet homme ?
Cheyenne mit en route un ordinateur relié directement à une série de boîtiers destinés à interdire tout pistage. La machine n’était connectée à aucun réseau local, accédant directement à internet au travers d’une liaison satellite non localisable. La machine démarra directement sur le navigateur Tor. Une fenêtre donnant accès à une messagerie cryptée apparût sur laquelle elle s’identifia comme « Pocahontas ». Immédiatement, une liste de messages en attente s’afficha, mais Cheyenne les ignora. Elle écrivit un court texte à un contact intitulé « LoneStar ». Quelques secondes plus tard, la réponse arriva.
# Salut l’indienne, qu’est-ce que je peux faire pour toi
# Pourrais-tu me trouver des infos inédites sur un certain Docteur Steve McLay, qui a exercé comme chirurgien à El Paso
# Qu’est-ce qu’il a de remarquable pour intéresser Pocahontas
# C’est justement ce que j’aimerais que tu me dises
Cheyenne n’avait jamais rencontré LoneStar et ne souhaitait pas le connaître. La règle était de ne pas trop poser de questions indiscrètes. On se rendait service en répondant à une demande, rien d’autre.
# Donne-moi un peu de temps, je vais voir ce que je trouve
# OK, je me reconnecte dans un moment
Elle mit fin à la connexion, par réflexe plus que par nécessité, et pour éviter la tentation de se laisser entrainer dans la lecture de son courrier en retard. Elle vit que le soleil se levait et se dit qu’elle pouvait contacter John Freeman. Le chirurgien répondit immédiatement.
— Bonjour John, j’ai commencé mes recherches sur votre confrère et je trouve son profil assez atypique. J’aimerais en parler avec vous, mais pas au téléphone. Pourrais-je vous rencontrer rapidement ?
— Bien sûr, avec plaisir. Je n’opère pas ce matin, voulez-vous passer à la clinique ? J’y serai dans une heure.
— C’est parfait, à tout à l’heure.
Cheyenne ôta son tee-shirt et regarda avec satisfaction son image, nue devant la glace. Elle n’avait plus la silhouette arrogante de ses vingt ans mais conservait un corps athlétique, qui savait encore donner du plaisir aux hommes comme aux femmes. L’avocate française l’avait surprise par sa fougue érotique, mais elle n’était pas la première, et elle espérait bien qu’il y en aurait encore beaucoup d’autres.
Elle passa rapidement sous la douche et s’habilla d’un jean et d’une chemise d’homme portés à même la peau. Elle enfila ses bottes, prit son blouson et son casque et sortit après avoir activité un système d’alarmes et de caméras sophistiqué.
John la reçut immédiatement dans son bureau et ferma la porte derrière elle.
— J’aimerais que vous me disiez ce que vous savez du Dr McLay, comment vous l’avez recruté, avez-vous fait des recherches sur son passé ?
— Et bien, je crois que cela fait à peu près un an que McLay travaille avec nous. L’un des praticiens qui opéraient ici a eu un accident de voiture et nous avons dû trouver rapidement un remplaçant. Je ne sais plus qui a suggéré son nom. Je l’ai reçu et il m’a présenté un dossier solide, sinon brillant. Il revenait d’un séjour en Asie où il avait voyagé et pratiqué un peu pour une ONG, en Thaïlande je crois. Auparavant il exerçait au Texas, il m’a soumis deux lettres de recommandation. Je l’ai pris avec moi quelques jours et j’ai pu constater qu’il travaillait très bien. Le conseil a validé son profil et il est rentré dans l’équipe. Après six mois, comme notre collègue n’avait pas pu reprendre sa place, nous lui avons proposé un poste permanent avec une option de montée dans le capital de la clinique.
— Avez-vous mené des recherches sur son passé ?
— Non, je n’en voyais pas la nécessité.
— Bien sûr, pourquoi l’auriez-vous fait, vous n’êtes pas confronté au vice comme nous le sommes.
— Qu’avez-vous découvert ?
— Rien encore, mais je trouve que votre collègue a beaucoup changé entre le Texas et la Californie. Son année sabbatique semble l’avoir transformé. Concernant sa liaison avec Sam Page, vous étiez au courant ?
— Non, mais je dois avouer que les hommes sont aveugles là-dessus. J’ai depuis posé quelques questions aux assistantes et aux secrétaires et il semble bien que ce fût un secret de Polichinelle.
— J’ai cru comprendre que le Dr McLay avait proposé d’investir dans la clinique. D’où venaient les fonds selon vous ?
— Je ne sais pas, je n’ai pas demandé. Vous pensez qu’il aurait pu solliciter la générosité de Sam ?
— Je ne pense rien, je cherche.
— McLay est-il à la clinique aujourd’hui ?
— Non, pas pour le moment, pourquoi ?
— Pourriez-vous me procurer un objet intime lui appartenant ?
— Oui, bien sûr, il a une salle de consultation privée mais j’ai la clé. Que cherchez-vous ?
— Une empreinte digitale.
De retour chez elle, Cheyenne relança la messagerie sécurisée. Une enveloppe clignotait devant « LoneStar ».
# Je crois que j’ai quelque chose pour toi.
Cheyenne activa le chat.
# Vas-y, envoie
# Ton McLay n’a pas fait parler de lui ici, mais il a brusquement disparu il y a deux ans
# Comment ça disparu
# Un matin il n’est pas venu travailler, le lendemain il a envoyé un mail disant qu’il démissionnait, il n’a plus donné signe de vie ensuite
# Personne ne s’est inquiété
# Il n’avait pas de famille ni d’amis dans le coin
# Merci
# Tu ne veux pas m'en dire plus
# Non, je t’en dois un, à plus
Elle coupa la communication et prit dans un tiroir un téléphone jetable. Elle envoya un SMS.
Rappelle-moi. Pocahontas.
Quelques instants plus tard, le téléphone sonnait, numéro inconnu.
— Salut, qu’est-ce qui t’arrive ma belle, ça fait un moment non ?
— Je sais, mais j’ai été obligée de prendre un peu de distance avec le Bureau. Tu n’es pas obligé de faire ce que je vais te demander, mais ça me rendrait service.
— Secret Défense ?
— Non, pas à ce point, je cherche juste à lever un doute. Peux-tu passer une empreinte dans tes bases de données et me dire si elle est connue ?
— Normalement je devrais raccrocher et signaler cet appel, mais je te dois bien ça. Envoie-la à l’adresse que je vais te donner. Je te réponds dans quelques minutes.
Cheyenne transféra la photo prise à la clinique d’une empreinte prélevée sur le mug du Dr McLay vers un ordinateur sûr et l’envoya à l’adresse indiquée. Quelques minutes plus tard la réponse arriva en même temps que le téléphone sonnait à nouveau.
— L’empreinte figure dans la base de données de la TSA, les services d’immigration. Elle appartient à un ressortissant néerlandais, Jan Van Oït, médecin, entré sur le sol américain à Houston il y a un peu plus de deux ans avec un ESTA, jamais ressorti. Adresse déclarée, un hôtel à El Paso au Texas. Je t'ai envoyé la fiche.
— Merci, cette information est précieuse. Je crois que le Docteur Van Oït exerce maintenant en Californie, à Los Angeles sous une identité usurpée.
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