2 mai, Pasadena

Après avoir reçu l’appel de Brigitte, Cheyenne se remit à ses recherches. Sa vie privée était limitée et en dehors de son travail, elle n’avait que quelques rencontres avec des bikers civilisés. Elle ne voulait pas se trouver mêlée à la vie « border line » des grandes organisations mafieuses mais elle aimait la camaraderie des motards et les conversations dont la machine était le cœur. Elle fréquentait un ou deux bars où se rencontraient hommes et femmes amoureux de leurs deux roues, pour boire un verre et développer son réseau de contacts, mais ne s’engageait pas davantage. En dehors d'Antonio Vargas, personne ne connaissait l’adresse de sa tanière et elle n’y recevait jamais de visite. Quand le besoin s’en faisait sentir, elle se mettait en quête d’un ou d’une partenaire pour un coup sans lendemain. Cette vie en marge de la société lui convenait et elle n’avait nulle envie d’en changer.

Elle n’avait donc rien d’autre à faire pour cette soirée que de retracer la vie du Docteur Joan Smith, anesthésiste à la clinique Sunny Vale, et supposée maîtresse du faux Docteur McLay.

Sa première tâche fut de reconstituer la carrière de Joan Smith, ce qui ne lui posa pas de problème et lui permit de remonter à ses études dans une université de la côte Est. Elle fut toutefois surprise de constater que le Docteur Smith avait travaillé pour de nombreux établissements, en changeant à chaque fois d'État. Après quelques années dans le Connecticut, elle avait exercé à Charlotte en Caroline du Nord, puis à Lincoln, au Nebraska, à Seattle, dans l'État de Washington et enfin à Los Angeles. Elle était employée par Sunny Vale Sunny Vale depuis trois ans.

Cette frénésie de changement éveilla l’intérêt de l’ancien agent du FBI. Ce pouvait, bien sûr, être associé à la mobilité professionnelle d’un conjoint, un militaire par exemple, mais elle ne trouva pas trace de mariage dans les bases de données. Son expérience au Bureau, passée à traquer des criminels retors, lui avait appris à détecter ce type de comportement et elle entreprit aussitôt de rechercher des corrélations avec des crimes non élucidés rapportés dans les villes où elle était passée.

Comme un chien en chasse, elle se mit à compulser les archives des journaux locaux, les bases de données de la Justice et des polices locales ainsi que les réseaux sociaux reliés aux établissements où elle avait exercé. Elle s’interrompit à minuit après avoir constaté qu’il lui faudrait une aide pour ne pas tomber de sommeil. Elle échangea quelques mots sur sa messagerie sécurisée puis partit dans la nuit sur son engin. À un carrefour sombre, elle s’arrêta, laissant le moteur tourner, sans descendre de sa machine. Une jeune femme sortit d’une vieille Toyota stationnée dans l’ombre et s’approcha.

— Tu as ce que je t’ai demandé ? Ne t’avise pas de me refiler de la merde ou je te fais coffrer dès demain.

— Pas de problème, ça vient d’une pharmacie officielle.

Cheyenne sortit un billet de 20 dollars qu’elle échangea contre un petit flacon de pilules blanches, puis repartit dans le rugissement du moteur de sa bécane.

À trois heures du matin, elle avait un schéma plausible qui pouvait relier le Docteur Joan Smith à une série de morts inexpliquées dans les villes où elle avait séjourné. Dans tous les cas, le décès était associé à une dose anormalement élevée de substances anesthésiantes injectées en intra-veineuse. À ce moment, elle fut convaincue d’avoir remonté la trace d’une serial killer. Il n’était plus question de garder cette information privée. Il lui fallait communiquer l’information aux enquêteurs du LAPD. Il était trop tôt pour appeler Vargas, elle décida de s’octroyer quelques heures de sommeil avant de lui faire part de sa découverte.