Chapitre 4

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Emma pénétra dans la salle de bains qui jouxtait sa chambre et communiquait par un autre côté avec celle de sa sœur. Une double vasque surmontée d’un large miroir et une cabine de douche habillaient cette pièce, autrefois lieu de moments complices, d’échanges et de rires.

Avisant son reflet dans le miroir, Emma détailla ses boucles rebelles qui l’horripilaient tant lorsqu’elle était gamine. Elle qui rêvait de longs cheveux lisses comme ceux des barbies avec lesquelles elle jouait ou des mannequins qui remplissaient ses pages de magazines.

En découvrant ses crolles dorées, Loïc s’était extasié, lui rappelant, une fois encore, qu’il la préférait au naturel. Il se plaisait alors à enrouler ses accroche-cœur – comme il aimait à les appeler – autour de son index, tout en la dévorant des yeux, nue qu’elle était dans les draps soyeux.

Pour chasser ces souvenirs intempestifs, Emma détourna les yeux de son visage pour les reposer sur les tatouages qui recouvraient la totalité de son bras gauche : une tête de lionne coiffée de fleurs prenait naissance sur le haut de son épaule et s’étendait jusqu’à son coude, la crinière continuant ensuite de descendre dans un entremêlement harmonieux de feuilles, de papillons et d’arabesques. Son autre bras était épargné si ce n’est qu’une minuscule vague se terminant en soleil ornait l’intérieur de son poignet. Le premier tatouage qu’ils s’étaient fait Mathias et elle.

Le soucis avec les tatouages c’est qu’ils ancraient plus profondément encore les regrets qu’on avait.

Emma se débarrassa de ses vêtements et fit couler l’eau de la douche. Elle resta de longues minutes sous le jet brûlant, laissant une vapeur moite envahir le miroir jusqu’à ne même plus rien distinguer de la pièce dans laquelle elle se trouvait.

Après avoir passé une robe noire et dompté sa crinière, Emma descendit, trouvant sa mère affairée en cuisine.

— T’as dévalisé la boucherie ? Ça va jaser dans le quartier !

— Tsss ! Amène plutôt ça par là au lieu de dire des âneries.

À cet instant, la sonnette retentit.

— Oh ! J’vais plutôt aller ouvrir, le devoir m’appelle ! répondit-elle en s’éclipsant, un sourire au coin des lèvres.

C’était l’une de leurs spécialités à Sarah et elle lorsqu’elles étaient plus jeunes. Chacune redoublait d’excuses et d’ingéniosités pour s’extraire des maigres tâches ménagères qu’exigeait leur mère. Mauricette avait beau protester, les menacer de les priver de télé, elle se retrouvait la plupart du temps seule pour débarrasser, l’une prétextant un devoir important, l’autre une colique soudaine. La mère de famille leva les yeux au ciel pour la forme mais un sourire éclaira son visage en pensant que ses deux filles seraient réunies au moins le temps d’une soirée.

Emma ouvrit la porte à Sarah qui la dévisagea un poil trop longtemps avant de lui claquer une bise sur la joue.

— T’as fait bon voyage ?

Sa voix monta dans les aigus en disant cela. Emma n’était pas dupe, sa sœur avait répété mentalement cette phrase tout le temps de la route et fabriqué ce sourire un peu trop exagéré qu’elle affichait niaisement.

— Emma ! Alors c’est vrai t’es rentrée ? Viens là !

Gabriel était aussi chaleureux que Sarah était froide, ce qui mit du baume sur le cœur d’Emma lorsqu’il l’entoura de ses bras.

— Mais où est passé ton anneau ?

— J’lai inhalé !

— Dommage ça cachait bien ton horrible nez…

— Salaud ! s’esclaffa Emma en lui assénant une tape sur l’épaule.

— Bon, on va pas rester plantés là ? les interrompit Sarah.

Tous les trois s’avancèrent dans le salon et une ambiance joyeuse se diffusa dans la pièce au contact des embrassades de leurs parents. Mauricette tenait un plateau d'apéritifs et somma la petite troupe d’aller s’asseoir sur la terrasse tandis que Bertrand allumait le barbecue. Gabriel taquina Emma sur les allures de Parisienne qu’elle se donnait toujours et Bertrand riait franchement de ses imitations pour le plus grand plaisir de Mauricette qui voyait sa cadette se prêter au jeu des boutades. Seule Sarah arborait un air renfrogné, remettant son mari en place dès que l’occasion se présentait. Le repas achevé, celle-ci prétexta une douleur au ventre et se leva pour aller chercher un comprimé. Ne la voyant pas revenir, Gabriel se leva à son tour pour s’enquérir de son état.

Mauricette et Bertrand débarrassèrent les restes des assiettes et Emma emporta les plats vides en cuisine. Depuis le couloir, elle entendit sa sœur chuchoter un peu trop fort avant que la voix de Gabriel plus forte encore ne lui parvienne.

— Tu me fais chier Sarah !

En entendant les pas qui se rapprochaient, Emma s’éclipsa en cuisine et fit couler l’eau. Sarah la rejoignit en reniflant avant de s’affaler sur une chaise.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Pff. On ne se comprend plus.

Emma haussa les sourcils mais n’ajouta rien de plus. Elle se garderait bien de dire qu’avec le côté psychorigide de sa sœur, ça l’étonnait même que leur mariage ait tenu autant d’années.

— Il va partir… Qu’est-ce que je vais devenir ? demanda t-elle, la voix enrouée de sanglots.

Emma serra les dents mais son agacement était si important qu’elle fit tinter les verres qu’elle malmenait sous la mousse à défaut de les laver correctement. Il lui coûtait de relever sa chiffe-molle de sœur par le colback et de lui demander si c’était bien auprès d’elle qu’elle se plaignait.

Au lieu de ça, Emma inspira longuement et joua le parfait rôle de la sœur réconfortante.

— C’est sûrement qu’une mauvaise passe… Ça va s’arranger.

— Qu’est-ce que t’en sais ?

Les yeux larmoyants de Sarah brillaient de fureur. Emma la toisa et laissa tomber le masque de sympathie qu’elle venait de s'accrocher pour lui cracher :

— T’as raison, j’en sais rien et puis j’m’en fous. Pour moi aussi c’est difficile en ce moment, mais moi je ne me plains pas !

— Em, je suis…

— Te fatigue pas. Sèche tes larmes et essaie de faire bonne figure. Maman était contente qu’on se retrouve ! Fais semblant, au moins pour elle.

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