Encore alourdies par un sommeil agité, les paupières d’Ashron peinèrent à laisser la lumière de l’acec’hweld caresser ses iris. Après plusieurs infructueuses tentatives, ses yeux se posèrent enfin sur le plafond immaculé le surplombant. Mais son corps se refusa à bouger, encore las de ce même rêve qui agitait ses nuits.

Ses lointains souvenirs d’Ishria, dié heoles auparavant, continuaient à le tourmenter. Ils représentaient ses uniques réminiscences avant l’Exetranen, qu’il mena en tant qu’Exetra Primera Rafn. Et comme d’habitude, ce songe s’achevait sans lui rappeler comment tout avait débuté. Rien dans ses souvenirs n’expliquait sa participation à l’acte le plus meurtrier de l’Histoire connue d’Era.

L’Exetranen, songea-t-il en se relevant enfin. Cette sombre période ayant bouleversé la vie des aliardiés et des autres peuples. La sanglante prise de pouvoir par dix puissants eraiés et eraiéés, les Exetras Primeras Rafn. Maniant la mystérieuse hahud, le pouvoir ordonnant aux éléments, ils menèrent une guerre qui fit tomber le gouarme Aliardié, la Peniezhun Isyliardié et les batens d’Omiard.

D’après les écritures aliardiéés narrant la grande Histoire d’Era, l’hahud se manifesta lors de l’Epinijane, l’unique grand conflit entre les trois continents. Mais depuis ces temps lointains, aucun hahudié ne s’était manifesté.

Par la suite, l’Exetranen conclut dans un final carmin, une nouvelle et unique puissance, la Komunozhra, naquit des cendres encore fumantes d’innombrables vies eraiéés. Les continents d’Era furent partagés entre les Exetras Primes, contraction utilisée pour nommer les Exetras Primeras Rafn, et Adrais lui fut confiée.

Plongé dans ses souvenirs, Ashron traversa sa chambre à grandes enjambées. Seul un lit et un petit bureau fait de bois udrané la composait. Sur la chaise pendait une longue chaine métallique. L’unique décoration brisant la monotonie de l’endroit était un cadre aux ornements complexes. A l’intérieur, les xié axiomes de la Komunozhra y étaient inscrits, comme les commandements que chaque eraié devait respecter. Ashron consacra un instant à les fixer :

Uié : Les Exetras ont droit de vie et de mort sur tout eraié,

Dié : Il est interdit de contester ou de critiquer la Komunozhra,

Trié : Il est interdit, pour un eraié autre qu’un exetra, de tuer un autre eraié,

Krié : Toutes les denrées produites devront être cédés à la Komunozhra qui les redistribuera équitablement,

Cié : Tout rassemblement de plus de cié eraiés est interdit, sans autorisation préalable de la Komunozhra,

Zié : Toutes formes de communication ou de partage culturel sont interdites ; Les apelligomzi sont à l’usage unique de la Komunozhra.

Ptié : Il est interdit de voyager d’un continent à l’autre sans autorisation de la Komunozhra, seule apte à contrôler les nijvames.

Hié : Chaque eraié âgé de plus de xiézié heoles devra intégrer l’armée de son Exetra Prime pour zié heoles,

Nié : Il est interdit d’instaurer une économie autre que l’eskemman,

Xié : Il est interdit de se distinguer de quelque manière, que ce soit par ses croyances, ses habits, ses habitudes ou ses discussions.

Edictées par la Komunozhra, ces axiomes assuraient la sécurité des eraiés. Seuls les exetras, sous les ordres de l’Exetra Prime, avaient autorité pour les faire respecter. Et si l’un d’entre eux était enfreint, la mort dans une Purgatoré rendait justice.

Après s’être lavé, Ashron enfila ses habits sombres et usés par les âpres combats de l’Exetranen. Puis il attrapa sa chaine d’acier pour la nouer autour de sa taille, prenant soin de laisser ses extrémités pendre de chaque côté.

Les cliquetis qu’elle produisait suivirent ses pas en direction du mur. Ragnarok, sa grande lame d’acier, y était accrochée. D’une taille rivalisant avec un aliardié, cette arme pesait le poids des vies qu’elle avait fauchées. Son côté émoussé arborait plusieurs orifices scrupuleusement alignés par l’eraié l’ayant façonné. A l’inverse, l’angle aiguisé restait vierge d’ornement, et sa large garde comportait d’incompréhensibles inscriptions pour l’Exetra Prime, tout comme l’origine de son obtention.

Encore un mystère de son passé qu’aucun songe ne résolvait.

Lame vers le bas, Ashron glissa son arme d’acier entre la chaine et son dos, en biais. La sentir contre lui le rassurait.

Il était prêt.

Hors de sa chambre, il emprunta le long couloir sombre qui s’offrait à lui. Sur le chemin, un exetra le croisa et, arrivé à sa hauteur, s’écarta du chemin en baissant la tête.

« Memac’htiern! » lança-t-il en se raidissant sur ses jambes fébriles.

Aucune réponse ne vint d’Ashron qui continua sa route sans prêter attention à l’eraié. Dans son bureau, ses yeux fixèrent l’imposante table sculpté dans le bois massif issu d’Alaran, sur laquelle un skrammia éteint et son apelligomzi étaient posés. Il marcha directement vers sa chaise, s’assit et commença ses fastidieuses tâches d’Exetra Prime.

Les murs autour de lui, vidés de leur décoration, laissaient apparaitre d’anciennes marques. Un grand nombre d’œuvres avait jadis richement embelli l’endroit. Ne voyant pas l’intérêt de conserver ces futiles objets, Ashron avait tout jeté.

L’Exetra Prime parcourut rapidement une liste de rapports, sans réellement y prêter attention. Ces derniers étaient soumis par ses exetras et listaient les arrestations de l’acec’hweldro passée. Bien que maîtres de leurs agissements, Ashron validait chaque mise à mort soumises par ses exetras. Les adraisés le voyaient ainsi comme le bourreau des proches perdus dans le Purgatoré.

Mais l’Exetra Prime se moquait éperdument de la peur mêlée de haine qu’ils éprouvaient envers lui. Seuls les axiomes de la Komunozhra avaient une importance à ses yeux azurés. Tout son être y était consacré, même si parfois, leur sens pouvait lui échapper.