Etendu dans une douce herbe lui rafraîchissant le corps, Ashron laissait son esprit à la vagabonde, ignorant la faune qui s’exprimait autour de lui. L’espace boisé dans lequel il avait pris place se situait au centre d’Alaris. En son intérieur étaient entretenus des carrés d’herbes géométriquement parfaits, des rangées d’arbres fruitiers bien alignés, et de profondes allées bordées par de majestueux conifères. Aucun eraié ne déambulait pour le déranger, seuls ses habitants naturels perturbaient son repos.

Depuis un heolkard, Alaris Valhal était libérée de toute présence exetras, chassés par l’Harzerezh depuis la destruction de leur apalez et la décapitation de leur Exetra Prime par une bête écaillée. Depuis lors, l’Harzerezh passa de groupe de résistants à pouvoir en place.

De nouvelles responsabilités incombaient maintenant aux harzerezhiés. Devant assurer l’organisation de l’eskemman, le maintien de la sécurité et les affaires courantes d’une citée de la taille d’Alaris, Ashron avait peu d’occasion de voir ses compagnons.

Il s’ennuyait.

Mais la Komunozhra allait bientôt réagir, et la quiétude qui s’installait serait de courte durée. Ashron se surpris presque à espérer une attaque des exetras, tellement ses acec’hwelds se suivaient pour se ressembler. Seule Mayelle venait souvent briser sa lassitude. Depuis son incarcération, Ashron cherchait à l’apaiser et à l’aider de se souvenir.

Mais rien n’y faisait.

Ce temps passé ensemble les avait considérablement rapprochés, au point que l’eraiéé parvint à voler quelques baisers à l’ancien Exetra Prime qui n’esquivait plus. Ashron appréciait passer du temps avec elle, même si ce temps n’occultait pas ses envies parfois dérangeantes de bataille. Cette appétence pour le combat était accentuée par le regard des autres harzerezhiés et les alarisiés.

La peur et l’hostilité.

Il avait beau comprendre ce besoin de vengeance animant chaque eraié le croisant, il supportait de moins en moins ce rejet.

« Alors, on glande ? lui demanda Vallia en surgissant derrière lui»

Après avoir sursauté à ses mots, ses yeux la regardèrent durement, son cœur encore battant au rythme de sa surprise.

« Je te dérange peut être ? reprit-elle.

— Que fais-tu ici ? Tu n’as pas d’orphelin à recueillir ou de blessés à soigner ?

— Tes mots suintent le sarcasme. Si je te gêne, je peux repartir ?

— Désolé, l’ennui me rend désagréable, s’excusa Ashron en se relevant. Autant profiter de ce calme, ça fait du bien après tout.

—Yvalis semble bien lointaine.

— J’ai l’impression d’avoir débuté ce voyage depuis si longtemps… dit-il en repensant au début de son périple, et à tout ce qu’il s’est passé depuis. Je me rends compte que je n’ai jamais pris le temps de te remercier.

— Me remercier de quoi ? demanda Vallia, surprise.

— D’avoir fait de moi autre chose qu’un exetra. De m’avoir aidé à redevenir eraié.

— Tu es le maître de tes choix, je n’y suis pour rien.

— Sans toi, j’errerai encore sur Aliard sans but, l’Exetra Prime d’Adrais déchu. Tu m’as poussé à être autre chose.»

Vallia fixa un instant l’eraié sans répondre. Ce dernier lui répondit par un sourire d’une rareté éclatante. L’instant d’après, c’est elle qui lui souriait, illuminant son visage et rappelant à Ashron la beauté qu’elle dégageait.

Aucune autre ne pouvait rivaliser.

« Il y a quelque chose que je souhaite faire, reprit-il en assombrissant légèrement son regard. J’aimerai que tu m’accompagnes.

— Très bien, répondit-elle en se levant. Alors allons-y. »

D’un bon assuré, Ashron se leva et devança Vallia pour se rendre hors delà cité. Après une longue marche à s’éloigner d’Alaris, les deux eraiés arpentaient les vertes plaines d’Alaran, encore plus émeraude que celle d’Adrais, et ils s’arrêtèrent dans un vaste lieu isolé de tout.

« Tu te souviens de ce mot : La Via?

— Vaguement. Durant le purgat, la voix a mentionné ce terme.

— Je m’en souviens. Et Hatameth en a également parlé pendant notre combat contre Iluna et l’inconnu masqué.

— Et que cherches-tu à faire ici ? Quel est le rapport ?

— Recules-toi et, quoiqu’il arrive, n’ai pas peur. »

Vallia fixa Ashron et son inquiétude alla à l’encontre de la demande de ce dernier. L’eraié concentra son être et dans un écho à peine perceptible, Hatameth fut murmuré, et les filins d’azur enchevêtrèrent son corps pour le réchauffer et le galvaniser.

Soudain, un craquement sourd ébranla la verte plaine, faisant fuir la faune qui foisonnait depuis leur arrivé. Chaque animal présent, comme apeuré, s’élança pour mettre le plus de distance entre eux et les eraiés. Dans le ciel, l’Heolar si majestueux avait disparu derrière de sombres nuages parsemés d’azur.

Un grondement émergea du néant pour prendre de l’ampleur, au point de faire vibrer le sol que foulait Vallia. L’eraiéé regardait autour d’elle, mais plus aucune faune, ni aucune flore ne s’exprimait. Tout à coup, elle leva les yeux pour voir une imposante bête faites d’écailles transpercer le voile azuré, déployant ses ailes pour ensuite léviter au-dessus d’eux.

Par reflexe, elle recula et tout son corps voulu tourner les talons pour fuir. Mais de par sa carrure imposante et la puissance qui se dégageait de la bête, Vallia n’osa pas bouger. Elle la fixa lourdement se poser sur ses deux imposantes pâtes, manquant de faire tomber les deux eraiés.

Les iris acides de la créature la fixaient, laissant transparaitre de la curiosité dans son regard. Malgré une apparence agressive et un regard transperçant, Vallia calma sa peur et plongea son regard dans le sien.

« C’est toi, murmura une voix sombre et rocailleuse, Vallia.

— Qui parle ? se surprit à penser l’eraiéé dans sa tête. Qu’est-ce qu’il se passe ?

— C’est Hatameth, la créature qui te fait face, répondit Ashron dans l’esprit de Vallia.

— Je ne comprends pas, je t’entends mes tes lèvres ne bougent pas.

— Tout comme les tiennes, ironisa Ashron en fixant ensuite la créature.

— Parle-moi de la Via : Qu’est-ce que c’est ?

— Que t’est-il arrivé ? répondit la bête en fronçant ses iris sur Ashron. La Via est tout ce qui permet d’être sur Era.

— Je ne comprends pas.

— C’est le résultat du parfait équilibre entre les astralians et les abyssiens, les forces de création et de destruction qui régissent notre univers. La Via permet à tout de se créer, d’exister et de se détruire. Et dans sa forme ultime, elle décrit un cycle qui permet à une planète d’émerger et de vivre.

— Et sais-tu qui sont ces entités qui possèdent les eraiés ?

— Les Axems, des êtres ayant jadis existés il y a plusieurs millions d’heoles. Leur planète Are et leurs connaissances leur octroyaient une grande maitrise de la Via. Mais ils sombrèrent dans une guerre destructrice qui détruisit leur monde et leur existence.

— Ils ne sont pas si détruis que ça apparemment, ironisa Vallia.

— Grâce à leur savoir, ils ont survécus comme êtres immatériels dans l’ArvIlIA En dEn. Depuis, ils recherchent un moyen de retrouver leur existence dans le trErvIlIA En dEn.

— l’ArvIlIA? Le trErvIlIA ? Je suis perdue.

— Ce savoir m’a été transmis par Ashron. Tout ce que je sais, tu le sais, répondit Hatameth en fixant Ashron, Tu as vraiment tout oublié ?

— Il semblerait. répondit Ashron en levant les yeux au ciel, comme résigné. Mais comment veulent-ils revenir dans le trErvIlIA ?

— En absorbant votre Via. C’est le but des purgats. Tout eraié qui entre dans un Purgatoré est réduit à néant et sa Via est collectée par les Axems.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu es ? D’où viens-tu ?

— Je ne suis que le fruit de la manifestation de ta Via, matérialisée part le cycle de la Via d’Era. Je sui un mélange de beaucoup de choses, d’êtres, ayant peuplé Era jadis, possédant ma propre conscience et issue de ton imagination. J’existe parce que tu existes. Je peux te parler parce que tu m’as créé et je peux parler à Vallia car vous êtes liés, expliqua Hatameth en fixant Vallia.

— Mais je ne me souviens pas de toi avant Alaris, rétorqua Ashron en éludant les derniers mots de la bête.

— Peut-être que j’existe pour te la rappeler alors ? Ecoute-moi bien. Nos vrais ennemis sont les Axems. Et celui que tu dois craindre le plus est Serath. »

— Que lui est-il arrivé ?

— La dernière fois que tu m’as appelé, c’était pour te battre contre lui. Et nous avons perdu.

— Je ne me souviens de rien. répondit Ashron en baissant les épaules, las de ne pas réussir à se rappeler.

— Sa puissance dépasse la tienne. Sa maitrise de la Via est inégalable.

— Mais pourquoi me serais-je battu contre lui ? Pourquoi je ne me souviens de rien ?

— Je n’en sais rien, répondit la créature en fixant Ashron qui commençait à fatiguer. Tu vas avoir besoin de temps pour recouvrer toute ta puissance. Ta Via peine à maintenir ma matérialisation. »

La puissante créature déploya ses ailes pour prendre son envol. Son décollage souleva un épais nuage de poussières, les forçant à se couvrir les yeux. Seule Vallia pu les rouvrir et voir la créature disparaitre dans un nuage de poussières azurées.

Puis le calme revint peupler la plaine, laissant Vallia et Ashron se regarder, sans rien dire, comme sonnés par ce qu’ils venaient d’apprendre. L’Heolar commençant à percer le voile provoqué par Hatameth, tous deux tournèrent les talons pour rejoindre Alaris.