Tablette Karantez
À perte de vue et sans rien pour en briser le calme, un océan émeraude sans fin s’étalait atour d’Ashron. Seul et sans raison d’être dans cette endroit, ses yeux se perdaient dans la monochrome verdure. Malgré le calme, Son être frissonna et la raison lui échappait.
A l’assombrissement du ciel azur, son regard fixa les noirs nuages en formation. Rapidement, l’Heolar s’était caché, comme si l’astre d’Era lui-même s’éclipsait de peur. Le clair paysage devenu pénombre, Ashron avança droit devant, sans savoir où il allait.
Soudain, une délicate main se posa sur son bras. La douceur de cette dernière se répandit dans son être, poussant ses yeux à se tourner vers le visage de celle qui le retenait.
Mayelle.
Maculé de sang carmin, les yeux rougis par les larmes, elle le regardait en serrant sa main devenu brulante de rancœur.
« Qu’est-ce que ça fait ?»
Incapable de répondre, Ashron voulut l’enlacer dans un élan de repentance. Mais une douleur lui transperça les côtes. Hoquetant de souffrance, ses yeux fixèrent la lame fumante de glace plantée dans son buste. Ruisselante d’un sang qui se frayait un chemin vers le sol par goutte, l’autre main de Mayelle serrait le manche de l’arme.
« Qu’as-tu ressenti à ma mort ? De la tristesse ? »
Mayelle poussa l’arme pour agrandir la plaie, accompagnant son geste d’une étreinte avec son autre main toujours menaçante.
« Ressens la vie qui s’échappe. Ressens ce que j’ai ressentis.»
N’arrivant pas à surmonter les assauts que son être subissait, Ashron laissa son corps aller à la peine. Soudain, Vallia se dressa en face de lui pour saisir la main de Mayelle. Son opalin visage était taché du carmin de son sang et ses iris semblaient fuir la vie.
« Tu ne peux en sauver qu’une. »
Les yeux d’Ashron se perdirent dans la folie enveloppante de la Via qui se matérialisait autour de lui. Son esprit sembla se scinder en deux, chacun combattant au salut d’une des deux eraiéés.
Mais seul un vaincrait.
Ashron empoigna Ragnarok derrière lui et embrocha Mayelle, ses yeux bleus azurs vierges de pupilles et sclérotique la fixant. L’arme gelée s’envola en éclat de flocons gelés qui enveloppèrent son visage au sourire reconnaissant.
Enfin libérée.
« Ashron ! Ashron ! »
En sueur et affolé, l’eraié bouscula Vallia en se redressant brusquement. Les yeux ouvert mais caché par ses mains, il cherchait à éviter le cauchemar qu’il venait de vivre. Soudain, une main chaude recouvrit l’arrière de sa tête et une autre effleura doucement son dos. Puis, d’un mouvement ferme, elles entrainèrent son corps contre le sien.
Vallia.
« Tout va bien »
Au son de son cœur battement à rythme régulier mais rapide, le sien se calma pour s’accorder à sa cadence.
« Un cauchemar…
— De quoi as-tu rêvé ? »
Ashron releva la tête pour perdre ses yeux dans le regard interrogatif de Vallia.
« Elle est morte à cause de moi.
— Ce n’est pas toi qui as usé d’une lame pour lui ôter la vie.
— J’ai fait un choix. J’aurais pu rester auprès d’elle mais…
— N’en dit pas plus, s’il te plaît. »
Vallia releva le visage d’Ashron pour le prendre dans ses mains délicates. La tristesse émanant de ses iris masquaient leur beauté habituelle.
« Ton choix m’a sauvé. C’est à moi de porter la responsabilité de sa mort.
— Je ne pouvais pas faire autrement. »
Vallia porta le visage d’Ashron sur son épaule, et de nouveau apaisa son cœur avec ses douces mains qui effleuraient son visage et son dos.
Un long moment s’écoula.
Puis Vallia desserra son étreinte et recula légèrement le visage pour voir celui d’Ashron encore livide.
« Toi aussi tu m’as sauvé. Tu m’as trainé ici depuis Solaris Urania. Tous ces risques que tu as pris...
— J’imagine que tu vas maintenant me dire que j’aurai dû te laisser dans les décombres ? Te laisser te faire capturer ou mourir ?
— Qu’est-ce que je mérite d’autre ?
— Mon poing dans ton visage !»
Sans qu’il n’en saisisse la raison, Ashron laissa un sourire amusé remplacer sa tristesse. Rapidement suivit par Vallia, les deux eraiés évacuèrent légèrement la peine qui enveloppait leur esprit.
« Nous devons trouver de quoi manger, dit Ashron en se levant.
— As-tu une idée d’où nous sommes ?
— Ishria… Je connais bien cet endroit.»
Vallia balaya son regard autour d’elle afin d’imaginer les deux heoles qu’Ashron avait passé ici avec Serath. Puis elle le suivit pour traquer le gibier et cueillir de quoi manger. Et après une chasse fructueuse, tous deux rentrèrent à l’abri avant que l’Heolar ne se cacha derrière l’horizon d’Era.
Ashron fit naitre un feu crépitant, tandis que Vallia rangeait et préparait les vivres récoltés. Puis ils mangèrent en parlant de tout et de rien, évitant d’aborder Soris Urania, la Komunozhra et l’Harzerezh. Leur esprit se devait d’oublier pour ne pas sombrer.
Au moment d’aller dormir, Ashron indiqua son ancien lit à Vallia, puis il s’éloigna pour rejoindre celui de Serath.
« Je n’ai pas envie de dormir seule. »
Ashron se retourna pour ancrer son regard dans celui de Vallia.
« Tu penses toujours à elle ?
— Oui.
— Est-ce que tu l’aimais ?
— Pourquoi cette question ?
— J’ai toujours voulu savoir ce que tu ressentais pour elle.
— Je tenais à elle. Ses sentiments m’ont aidé à surmonter celui que j’étais. Mais je ne pouvais pas l’aimer en retour. J’ai profité d’elle pour me sentir mieux, répondit Ashron en baissant les yeux par honte »
Doucement, Vallia s’approcha pour lui prendre la main. Sa chaleur enveloppa la sienne et sans réfléchir, il se laissa entrainer.
Le temps fut cours avant qu’ils ne s’endorment.
Les acec’hwelds s’écoulèrent paisiblement depuis le naufrage de leur drako sur Ishria. Ashron et Vallia s’étaient réfugiés dans une routine rassurante qui organisait leur vie à deux. Au levé de l’Heolar, ils se préparaient pour rééduquer leurs corps meurtris par les derniers combats. Après avoir réalisés étirements, exercices et entrainements, ils retrouvaient leur abri pour se restaurer.
Dés le déclin de l’Heolar vers l’horizon, ils se consacraient à la chasse ou à la détente sur la plage. Et à l’hweld’acec, le feu les réchauffait de ses braises ardentes pendant qu’ils se remémoraient leurs aventures passées.
La complicité qui les liait se renforçait de puissants liens, à mesure que le temps s’écoulait.
Un acec’hweld, Ashron se réveilla seul. Encore un peu endormi, il partit à la recherche de Vallia vers la petite crique proche de leur abri. Au bruit de la chute d’eau alimentant le lac, il s’arrêta et se remémora la dernière fois que ce son caressa ses oreilles.
Ses yeux n’avaient pas osé regarder.
Soudain, ces derniers l’aperçurent au loin, dans une scène identique à son doux souvenir. Elle lavait ses longs cheveux bruns derrière une cascade translucide, l’empêchant de la voir distinctement. Gêné, il détourna le regard pour ne pas transgresser son consentement.
Mais ses pensées et sa confiance étaient toujours pour elle, quel que soit l’instant. Jamais il ne s’était résolu à lui faire du mal, au point d’en rejeter Skyva et son pouvoir. A chaque fois qu’il se rejouait la scène avec Mayelle, l’issue était la même. Le sourire de Vallia illuminant son opalin visage était l’azur qui lui permettait d’endurer ce qu’il avait été.
Derrière la cascade, Vallia aperçut Ashron lui tournant le dos. S’amusant du souvenir de le voir ainsi, elle attrapa le drap adossé au rocher et s’enveloppa dedans pour le rejoindre.
« Encore en train de reluquer ? » lui demanda-t-elle, amusée.
Ashron se retourna et posa ses yeux sur elle, gêné.
« Jamais je n’aurais osé... »
Sans lui laisser le temps de répondre, Vallia s’approcha et l’embrassa. Le contact de ses lèvres aux siennes emballa le cœur d’Ashron qui lui rendit tendrement ce baiser tant attendu. Cet instant provoqua une chaleur enivrante qui irradia tout son corps pour en figer le temps. La douceur de ses lèvres, les courbes de son corps qu’il ressentait en l’effleurant de ses mains maladroites, et l’incandescence qu’elle dégageait provoquèrent un sentiment indescriptible tant il perturbait ses sens.
Même la Via ne provoquait pas ça.
Tout aussi bouleversée par la concrétisation de ses sentiments, Vallia entoura le cou d’Ashron avec ses bas mouillés, puis laissa le vide s’installer dans sa tête en se collant contre lui. Leur corps en contact dégagea une légère aura de Via azurée d’habitude invisible.
Leur première étreinte terminée, tous deux reculèrent leur visage rougis, le regard électrique plongé dans celui de l’autre. Le drap de Vallia avait disparu et voyant son corps nue et parfait, Ashron ne détourna pas le regard.
Mais tandis que son cœur calmait ses embardées, les mains de Vallia lui ôtant ses habits le firent repartir de plus belle. Sans plus rien pour cacher leurs corps, Ashron la prit délicatement dans ses bras pour la porter. Puis il posa de nouveau ses lèvres sur les siennes. Durant cet instant hors du temps, seuls eux deux existaient dans ce monde de leur création.
Leur baignade s’éternisa jusqu‘à figer le cycle de la Via d’Era.
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