La vieille Ecosse
Une bourrasque de vent surgit derrière moi et attrapa mon grand chapeau haut-de-forme. Alors que je tentai de le retenir dans un élan désespéré, un souffle puissant l’emmena dans les hauteurs et mon précieux couvre-chef s’échappa en tourbillonnant au dessus du lac. J’abandonnai.
Fichtre.
Profondément assis dans un banc creux au verni écaillé, j’étais alors en train de me perdre tranquillement dans mes pensées quand ce vent avait surgi de nulle part pour chaparder ce très beau chapeau noir acheté aux Galeries Lafayette de Paris. Quelle maladresse ! Mes cheveux un peu trop longs de romancier se soulevèrent désormais, comme rassérénés d’être libérés.
Il me sembla entendre un rire mais le clapotis léger de l’eau rendait la perception des sons plus hésitante. Après avoir scruté les environs d’un air soupçonneux, je repris ma méditation tout en remettant mon col haut et ma veste noire comme il faut, les sourcils froncés. Ma cravate brochée tenta de s’échapper à son tour mais je la saisis fermement pour la glisser dans un pli de mon manteau.
Contre mon flanc était posée ma canne d’aubépine et je laissai avec morosité mes doigts gantés glisser sur sa surface lisse et polie. Tout était si mélancolique. La perte de ce chapeau n’était pas en reste… Irrité, je balayai la surface du lac de mes yeux gris et sondai les profondeurs obscures à la recherche d’une éventuelle créature. Quelques algues laissaient supposer des formes hasardeuses mais l’eau était si trouble que seules des bulles groupées révélèrent la présence de faune dans ce climat hostile. Songeur, je me renversai en arrière, la cheville droite sur le genou gauche pour contempler le relief vert et brumeux des contours du lac. L’Ecosse est d’une beauté sauvage.
Inspiré, je sortis un petit carnet de ma poche intérieure et griffonnai quelques mots poétiques qui me vinrent à l’esprit. En tant que gentilhomme, il était de mon devoir d’avoir toujours quelque chose à dire dans n’importe quelle circonstance, et le souvenir humide d’un lac dans une des plus belles régions de la Grande-Bretagne me semblait être une parfaite introduction. Je notai donc soigneusement tout ce que mes yeux voyaient, ce que mes oreilles entendaient et ce que mon nez fin sentait. Puis je signai. Et remis mon recueil à sa place, au dessus de mon cœur. Rien de tel que les mots pour épater la gente féminine.
L’Ecosse.
Un si bel endroit trop souvent résumé au lieu où je me trouvai actuellement : le Loch Ness. A chaque lieu ses légendes, me direz-vous, certes, mais pourquoi en faire une généralité ? Chacun sait que le monstre censé vivre dans ce lac n’est que pure folie, même pour un écrivain qui aime à se plonger dans l’imaginaire et le féerique. Bien sûr, je pouvais toujours imaginer un immense serpent d’eau, le voir fendre les flots et bondir dans l’écume en lançant des gerbes ça et là. Mais n’empêche que cela ne le rendra pas plus réel pour autant !
Pourtant, cela m’intriguait. Quel avait été le passé tumultueux de cet endroit pour qu’une telle légende naquît ? Le brouillard en coton qui parsemait le centre du point d’eau devait y être pour quelque chose. Retirant l’un de mes gants, je triturai ma moustache élégamment taillée, des interrogations plein la tête. Taraudé, je ne tenais plus en place et me levai précipitamment. L’eau présente dans l’herbe, plus verte que nulle part ailleurs, monta dans mes chaussures en cuir comme le café monte dans un carré de sucre. Le chuintement agaçant de mes pas et le froid qui commençait à m’envahir me firent frissonner. Je marchai.
J’étais seul, et cette atmosphère vide de toute vie poussa mon regard vers le lac une énième fois. Rien ne semblait avoir changé, si ce n’est la brume qui s’était densifiée. Des mèches se collèrent à mon large front et des gouttes de condensation perlèrent au dessus de mes sourcils broussailleux. Tout cela était très étrange comme climat, bien plus qu’en Bretagne où les vents aiment à malmener les nuages. Battant des cils, j’avais l’impression fort dérangeante de flotter dans les airs.
Soudain, un cri rauque jaillit du centre du lac. Puissant et long, il s’éternisa quelques instants avant de mourir dans la pénombre du soir. Tous mes poils étaient dressés et ma respiration s’était arrêtée. Le silence qui suivit fut plus terrifiant encore. Mes yeux écarquillés se voilèrent malgré moi et je sentis mon corps s’affaisser sous mon poids. Assistant à ma propre chute, j’atterris lourdement sur le sol spongieux des rives. Il me semblait distinguer du mouvement entre mes paupières à demi-closes. Paralysé, j’hoquetai d’incompréhension. Puis ce fut le trou noir.
Le Loch Ness gardait ses secrets.
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