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Gaspard referme doucement la porte, abandonnant la plus belle femme du monde, à son goût. Pendant qu’il foule l’épais tapis du couloir, il se remémore les derniers mois de sa vie. Si à un moment, il a douté de ses choix, maintenant, il ne les regrette plus, même s’il sait que les prochaines heures vont être difficiles, et sans doute périlleuses.
Sa réussite, jusqu’à présent, ne lui doit pas grand-chose. Maintenant, il va devoir prendre des décisions, agir et prendre des risques. Que de changements survenus en si peu de temps ! Que de péripéties inattendues !
Tout a commencé à son arrivée à Paris. En montant dans l’ascenseur, il se reprend, car tout a vraiment débuté avec cette lettre sombre.
Six mois avant…
En ouvrant sa boite, Gaspard est surpris d’y trouver une enveloppe noire. D’abord, il ne reçoit jamais de courrier, ou si peu. Ensuite, une lettre de couleur noire, il n’en a simplement jamais vu. Son nom et son adresse ont été tapés avec la bande rouge d’un ruban. C’est quasi illisible et il est admiratif des préposés aux postes, téléphones et télégrammes d’avoir réussi l’acheminement de cette étrange missive. Cette couleur est quand même de mauvais augure. Il attend d’avoir refermé sa porte pour oser décacheter l’enveloppe. Le papier de la lettre est également de cette couleur noire et angoissante, avec la même frappe illisible. Il parvient à déchiffrer une convocation, l’invitant à se présenter à la capitale. Pour qui, pour quoi ? Le noir absolu ! Il sourit de cette image, mais cela l’inquiète, car cela parait un ordre impératif. Depuis son retour à la vie civile, il doit reconnaitre qu’il s’ennuie. Cette injonction tombe bien, quelle qu’elle soit. De plus, les termes sont militaires et il a appris à obéir, même si cela va lui prendre la journée, avec les trois ou quatre heures de trajet en car.
Le jour à peine naissant, il descend vers la nationale. Sa conformation de montagnard l’aide pour cette marche rapide dans le froid qui commence à glisser le long des pentes, alors que ses yeux clairs montent vers les cimes qui se détachent dans la lueur orangée de l’aube. Ses yeux et sa couleur de cheveux sont hérités, lui a-t-on dit, de lointains ancêtres septentrionaux qui avaient réussi à traverser la mer pour s’installer dans ces contrées. Pourquoi pense-t-il à ces origines lointaines, alors que l’ahanement poussif du car qui rétrograde à chaque virage annonce son approche.
Il se cale, encore frigorifié, sur un siège de cuir rouge et ferme les yeux, se fondant ainsi parmi ses semblables, peut-être l’odeur de chèvre ou de mouton en moins.
Encore abruti du voyage, il arrive en fin de matinée dans cette grande ville dans laquelle il n’est jamais venu, malgré sa trentaine d’années. Les énormes bâtiments et les larges avenues l’impressionnent. Un peu déboussolé, il demande à droite et à gauche. Personne ne connait cette rue. Il n’est pas loin de la place centrale, avec la Grande Poste où il peut trouver les indications : c’est dans le quartier européen, à côté de la vieille ville, à une demi-heure de marche. Il finit par se repérer, trop en retard maintenant pour avaler quelque chose.
L’adresse le conduit dans une petite rue, sans aucune plaque indiquant son nom. Au numéro indiqué, il y a un grand bâtiment, apparemment une administration du temps des colonisateurs. Une simple porte lui permet d’entrer, de traverser un long couloir sonore pour arriver devant une table qui barre le passage. Derrière se trouve un garde en uniforme, qui ne lève les yeux qu’après un toussotement.
Il montre sa lettre. Le garde la lit longuement, alors qu’elle ne contient que quelques lignes, même indéchiffrables. C’est dire son importance ! Sur la table trône un téléphone avec des touches, ce qui est très moderne. Le garde ouvre un tiroir, en retire un cahier, tourne les pages vides doucement avant de trouver la ligne qu’il cherche. Son doigt appuie fort sur le papier tandis que d’un autre il enfonce l’une des trois touches colorées. Gaspard comprend qu’il est dans un lieu important et qu’il va voir quelqu’un d’important. Il admire le garde qui assure son service avec sérieux.
Après une longue attente, le garde écoute une voix énervée, s’excuse et raccroche. Il refait glisser son doigt sur la ligne et enfonce une autre touche. Cela semble très compliqué, tandis que Gaspard attend calmement.
Le garde raccroche en paraissant soulagé. Il signifie au visiteur qu’on va venir le chercher, avant de ranger son cahier et se remettre bien droit derrière sa table, le regard au fond du couloir pour ne pas manquer le prochain quémandeur. Gaspard est gêné, car maintenant, il se tient trop près de la table. Il tourne la tête, sans apercevoir aucun siège. Il pense que se reculer risque de vexer le garde. En même temps, rester près de lui peut l’incommoder. Il fait quand même un petit pas en arrière, puis reprend son attente.
Au loin, il discerne un bruit qu’il finit par attribuer à l’utilisation d’une machine à écrire, malgré les longs blancs entre le bruit des touches. Gaspard, qui connait la dactylographie, en déduit que c’est un débutant. Il ne sait pas pourquoi, mais il est certain que c’est un homme et non une femme. Gaspard adore tirer des conclusions inutiles de ce qu’il observe, depuis qu’un exemplaire délabré de Sherlock Holmes lui est tombé dans les mains.
Enfin, un homme vient le chercher, habillé en civil.
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