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Quelques heures après, ils se posent. Le choc est brutal et l’avion ne semble pas s’arrêter. Épuisés, nauséeux et nauséabonds, les quatre compères, enfin libérés, descendent. Le froid est glacial et la nuit profonde. Alors qu’ils suivent les autres, un cerbère les arrête et les fait se diriger vers un avion militaire qui semble les attendre. Ils sont une dizaine, déjà tassés sur les bas flancs, séparés par des caisses. Leur odeur leur permet de trouver une place. Le confort n’est plus celui d’un avion de ligne, mais l’absence de chauffage évite le pire, malgré les trous d’air qui leur font remonter les tripes. C’est dans un état comateux qu’ils prendront un autre appareil. Ils sont une trentaine à débarquer dans ce camp d’entrainement. Ils sont regroupés avec une dizaine d’autres qui parlent français, venus acquérir les rudiments de base du bon espion dans cette toundra isolée. Cela crée des liens, même si ce ne sont pas ceux que Gaspard apprécie, car ils sont dans la même chambrée. L’unique avantage est la promiscuité qui réchauffe ainsi un peu la pièce.
On leur laisse à peine le temps de se remettre, tandis que le commissaire politique déboule, accompagné d’un interprète. Il est clair que le principal de leur enseignement proviendra de la déduction approximative de ce verbiage insolite. Les lunettes de Quatre sont qualifiées de capitalistes, alors qu’elles sont américaines, a-t-il l’audace de faire remarquer. Gaspard apprendra ainsi que Quatre est fils d’un dignitaire, d’où sa sélection et cet accès à des « vraies Ray Ban ».
Pour conserver leur anonymat, on leur demande de choisir un nom de ville comme pseudonyme. Gaspard a le malheur de citer Pondichéry, seul nom qui lui vient à l’esprit et dont il ignore même la localisation. Il est rapidement abrégé en Chéri, tout comme le Zanzibar de Gaston en Zizi, le New York de Quatre en Nounouille et tout à l’avenant, démontrant que la fraternité tiers-mondiste n’est pas dépourvue d’humour.
Le matin est consacré aux techniques nécessaires à leur future activité, tandis que l’après-midi ils travaillent au démasquage des autres espions, c’est-à-dire des agents occidentaux et autres ennemis du peuple, lâchement dissimulés parmi leurs semblables.
Si pour Gaspard le maniement des armes est connu, il n’en est pas de même pour certains de ses camarades, dont le nombre est rapidement réduit de deux élèves suite à une manipulation maladroite. Un instructeur ayant également été touché, cette matière disparaitra ensuite de leur instruction.
Les techniques de chiffrement et déchiffrement l’amusent un peu, bien que la compréhension préalable du russe fasse partie intégrante du cryptage. Le cours sur la filature reste aussi théorique qu’incompréhensible, faute d’exercices pratiques dans cette steppe plate et déserte, les cinq baraquements faisant office de ville. Ils sont également utilisés pour la dissimulation des rapports secrets. Cette tâche est aisée, puisque les caches, utilisées par des centaines d’élèves, sont bien visibles.
L’art du grimage l’intéresse, jusqu’à ce qu’on leur demande de se déguiser en femme et qu’il obtienne les félicitations de ses instructeurs : sa corpulence et ses traits fins le démarquant de ses confrères. Cette expérience restera un souvenir pénible.
N’osant affirmer qu’il en sait plus qu’à leur arrivée, ils sont de retour trois mois plus tard. Cette fois, une provision de sacs en papier limite les dégâts du voyage. Ils sont prêts à affronter le monde obscur des secrets.
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