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Il se dirige vers l’embarcadère, baguenaudant devant l’activité du port quand il ressent un regard sur sa nuque. Il se retourne vivement et voit une ombre qui s’efface. Comment ont-ils pu retrouver si vite sa trace ? Lesquels est-ce ? L’air de rien, il prend une ruelle sur la droite, puis sur la gauche, s’arrêtant dans une encoignure pour distinguer un éventuel poursuivant, tant et si bien qu’il se perd dans les venelles du Panier, alors qu’il doit embarquer un quart d’heure plus tard !
Cette fois, il court et parvient juste à temps à la passerelle. Hubert n’est pas là. Personne ne monte derrière lui ! Il est sauvé pour celui-là, mais, d’après ce que lui a dit Coplan, le bateau doit être bourré de malfaisants, prêts à de sombres actions à l’encontre de sa personne.
La sirène lugubre annonce le départ. Les amarres sont défaites. Les rares passagers sont sur le pont : qui veut retourner dans ce pays quitté pour beaucoup dans la peine et la hargne ? Il ne ressent aucune présence hostile alors qu’il passe derrière eux. Il se détend et décide d’aller sur le pont avant, pour aborder la mer et laisser derrière lui la fin de son aventure.
Il passe par le pont des secondes classes et tombe nez à nez avec Gaston. Ils se tombent dans les bras.
— Mais comment…
— C’est une histoire à la fois très simple et très compliquée ! Je n’ai rien réussi. Je t’ai perdu de vue. J’ai tout essayé, mais je n’en pouvais plus. Je suis allé à l’ambassade et tu sais sur qui je suis tombé ?
— Quatre !
— Ah, donc tu l’as vu ! Et il t’a dit de rentrer, comme moi…
— Oh, c’est aussi une longue histoire compliquée… Attends-moi.
Gaspard est bientôt de retour avec une boite à chaussures.
— Surtout, ne l’ouvre pas et tu la planques dans ta cabine. Tu l’apportes à Un si je ne suis pas au débarquement.
— Explique…
— Pas le temps. Je suis poursuivi, mais j’ignore par qui. On ne se connait pas et on ne se parle plus. On se retrouve place Belcourt pour un café trois jours après l’arrivée, à midi. Je te raconterai tout !
Gaspard tourne les talons. En remontant, il bute sur Hubert, qui sort d’une cabine, précédé par une jolie jeune femme en train de remettre sa coiffure en place.
— Ah, Gaspard ! Heureux de te voir ! Je t’ai attendu à ton hôtel, puis en bas de la passerelle. Tu avais disparu ! Content de voir que tu as pu embarquer ! Rien de spécial ? Un moment…
Il se détourne et dit au revoir à la jeune femme dont les yeux chavirent de bonheur.
— Tout se passe comme prévu !
Le soir, pour le diner, Gaspard se voit désigner une place par le maitre d’hôtel. La nappe est blanche, repassée, ce qui l’impressionne beaucoup. Rapidement, un homme portant des lunettes à verres épais qui lui grossissent les yeux, court et trapu, pris dans des vêtements apparemment couteux, mais mal portés, s’assied d’autorité, le saluant d’un sourire crispé. Un homme de carrure mince, avec une cicatrice verticale sur sa joue droite, des yeux bleu-gris, des cheveux noirs et courts, une mèche tombante sur le front le rejoint presque immédiatement. Il salue le premier convive :
— George !
— James !
Assurément, ce sont des Britanniques ! La salle se remplit doucement. Un homme à la prestance élégante pénètre dans la salle à manger, la parcourt des yeux et, une fois les yeux posés sur Gaspard se dirige droit sur eux. De grande taille, les cheveux blonds et les yeux dorés, il les salue avec distinction avant de s’asseoir à son tour. Gaspard se sent étrangement entouré, d’autant que suit un homme petit et trapu, chauve, avec des pommettes hautes et un accent slave. Suit un homme immense, maigre et droit comme un clou, les tempes rasées et qui claquent les talons avant de se poser sur la chaise, les saluant avec un fort accent guttural. Le suivant a également des lunettes épaisses, des cheveux crépus, un gros nez et la peau légèrement basanée. Il ne reste qu’une place quand arrive avec flegme Hubert, affichant son sourire et se posant à côté de Gaspard qui se sent soudain rassuré.
— Tiens ! Ils sont tous là ! Bonsoir George, bonsoir James, bonsoir Éphraïm, bonsoir Malko, bonsoir Vladimir, bonsoir Ulrich. Tu vois Gaspard, ils veulent tous voir ton pays !
James et Malko sourient aimablement, alors que les autres plongent dans leur serviette.
Hubert apostrophe James dans une langue inconnue, apparemment de l’anglais. La conversation est animée et, plusieurs fois, il entend le nom de Barbara, alors que des regards aussi interrogateurs qu’envieux le déshabillent. Malko participe à la discussion, entrecoupée de grandes claques amicales de Hubert dans le dos de Gaspard, tandis que le slave chauve ne montre que sa calvitie cramoisie. Les autres trifouillent dans leur assiette, lançant des regards en coin vers le Tualrocien.
La conversation tombe vite. L’ambiance s’alourdit, alors que la houle fait danser les couverts. Rapidement, certains se lèvent, le teint verdâtre, s’enfuyant en titubant, la serviette sur la bouche.
Gaspard n’a pas l’habitude du bateau et du roulis, mais ne s’en trouve pas incommodé. Les deux Britanniques demeurent stoïques et indifférents, en dignes représentants de ce peuple de la mer. C’est le petit crapaud qui entame la conversation, malgré son fort accent.
— Le professeur nous a câblé qu’il est très satisfait de votre don. Control nous a envoyé, James et moi, pour être sûr de votre bonne arrivée. Nous ne pouvions savoir que vous étiez sous la protection de Hubert ! Vous avez fait un travail remarquable. N’est-il pas, Mister Bond ?
— Indeed ! Mister Smiley ! Un travail remarquable. De plus, vous avez dévoilé (right word ?) Barbara. Il faut nous dire. J’en bave d’envie (right words ?) !
Le dénommé Malko se tourne alors vers Gaspard et, avec un accent autrichien, marqué de colère, ses yeux ayant viré au vert, déclare :
— Vous avez énormément de chance d’être sous la protection de ces trois hommes. Mon organisation n’est pas satisfaite. Lors de l’échange, vous avez cassé un des tubes et il y a eu un accident. Nous attendons le retour de notre laboratoire à Washington DC, mais nous exigerons notre dû !
— Allons, Votre Altesse Sérénissime ! Nous sommes alliés. Vous savez que l’important est que cela ne tombe pas aux mains des sales rouges ! Nous avons laissé agir notre ami sous notre contrôle. Nous allons voir avec son service le moyen d’effacer la source de la provenance. Maintenant que nos amis nous ont laissés entre gens de bonne compagnie, je vous offre le champagne !
Ils acceptent de faire la paix autour d’une bouteille, chacun savourant ensuite son thé, son whisky, sa vodka.
Puis, un peu éméchés, les quatre hommes abandonnent Gaspard à ses interrogations. À vrai dire, il n’a pas compris toutes les subtilités échangées entre ces ténors, dignes des meilleurs romans d’espionnage, ce qui n’est pas son cas présentement, car, s’il envisage d’écrire ses mémoires, il n’est pas sûr d’attirer l’attention d’une maison d’édition.
Après avoir pris un petit bol d’air marin, Gaspard, que Hubert a délaissé, lui affirmant qu’il ne craignait rien, avant d’aller retrouver la jolie brunette, se dirige vers sa cabine, l’esprit un peu embrouillé, malgré ses nouvelles capacités.
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