À duo toulousain,

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Tiens ? Une carte postale ? Je la range dans mon sac, j’ai quelques courses à faire, je la lirai en rentrant. Il faut que je fasse vite, je dois préparer le repas, Pierre vient diner. Nous sommes mercredi matin, le marché est ouvert. J’en profite pour acheter un kilo de carottes, trois courgettes et deux navets. Il me faut également de la viande et une baguette. Deux éléments indispensables si je veux m’éviter une réflexion désagréable. Il fait froid mais le soleil donne envie de sortir et de marcher au milieu de ces bâtiments en briques rouges.

Une fois rentrée, je pose mes courses dans le réfrigérateur. Malgré les vacances, je suis restée dans mon appartement pour réviser. Je me pose et sors la carte de mon sac à main. Une carte de Sébastien ! Inutile de lire la signature, je reconnais son écriture et son style. Une semaine cet été entre jeunes, ça pourrait être une bonne idée. Faudra que je lui dise rapidement pour Pierre.

Je ne dois pas trainer, je range mes classeurs étalés sur la table, passe rapidement un coup d’aspirateur dans le salon de mon deux pièces. Je coupe les courgettes et les carottes pour les faire cuire à la poêle, je coupe les blancs de poulet en petits morceaux pour les faire revenir avec de l’ognon et du curry. J’ajoute quelques herbes en souvenir de ma Provence natale. Pas d’entrée ni de dessert, il est censé s’en occuper.

Il est 12h45 quand la sonnette retentit, pile 15 minutes de retard afin de respecter la tradition toulousaine. J’ouvre la porte. Pierre porte une chemise bleue, sous un pull rouge bordeaux et un manteau d’hiver noir. Il a pensé au dessert, par contre l’entrée est selon lui facultative. Je lui fais les gros yeux, il me sourit, je souffle, il se dirige vers la cuisine. J’ai une salade au frais, je le laisse la préparer.

« Alors comment c’était le boulot ce matin ?

– Bah comme d’habitude. Des clients à appeler, quelques râleurs, rien de particulier. Et toi ? Tu as avancé dans tes révisions ?

– Avec les courses et le repas à préparer, pas beaucoup non. Je m’y remettrai cet aprem.

– Nathou, tu abuses, on avait prévu de sortir cet aprem. Tu restes enfermée toute la journée.

– Alors déjà c’est Nathalie ou Nath si tu trouves que c’est trop long ! Ensuite, oui on pourra sortir mais pas longtemps, j’ai plein de choses à faire.

– Pucette ?

– Tu me cherches ? Fais gaffe, tu vas te retrouver dehors. Et je garderai le dessert. »

Heureusement qu’il est craquant, sinon je l’aurais plaqué depuis un moment. Pendant le repas, je me fais servir. Autant profiter d’avoir un homme à la maison.

« J’ai reçu une carte de Sébastien, il propose que nous fassions une sortie entre jeunes cet été.

– Ton ex-petit copain ? Vous vous parlez encore ?

– Ne fais pas ton jaloux, tu serais perdant.

– Je ne suis pas jaloux, je trouve bizarre que vous restiez proches après vous être quittés.

– Je te l’ai déjà dit, nous avons vécu des choses importantes en commun.

– Tu me l’as dit, oui et non. Tu refuses de me dire quoi.

– Et il est inutile d’insister, je ne t’en dirai pas plus. Et sinon, tu ne m’as pas dit que tes parents ont une maison dans les Landes ?

– Euh, oui. Je rêve ou tu comptes inviter ton groupe de potes chez moi ?

– C’était l’idée, avec tes amis en plus évidemment. Après si ce n’est pas possible, on trouvera autre chose. »

Il est 15h quand je chasse Pierre, prétextant un devoir de philosophie à terminer. Je nettoie la table pour y installer à nouveau mes gros classeurs. J’appelle Sébastien. Nous passons une heure au téléphone, je lui raconte mes premiers mois de prépa, à retrouver l’ambiance d’il y a 30 ans. Si la plupart de mes collègues de classe sont les mêmes, certaines têtes ont changé. Je n’aborde le sujet de Pierre qu’en fin de conversation, je ne sais pas comment lui dire. Sébastien doit être en pleine révision de la philosophie stoïcienne puisqu’il le prend surprenamment bien. En tout cas, je n’ai droit à aucune de ses habituelles piques, ni saute d’humeur, et il semble partant pour l’idée d’une semaine dans les Landes.

Malgré les 30 années qui me séparent de mes deux classes préparatoires, je retrouve peu à peu mes souvenirs. Il faut croire que je n’ai pas totalement travaillé pour rien à l’époque. Le rythme reste effréné mais je m’accorde toutefois des moments de détente, et même un petit ami, ce qui était inenvisageable dans ma première vie étudiante. Avec Pierre nous nous sommes rencontrés à un cours de volley, il m’a proposé un verre dès le premier jour. J’ai décliné. Puis il a insisté, encore et encore, essuyant refus sur refus. Et finalement, il y a deux mois, je lui ai laissé sa chance. Cela ne durera évidemment pas mais j’ai aussi le droit de vivre. Moins de deux ans maintenant, il me reste moins de deux ans à attendre avant de recroiser mon ex et futur mari.

Je profite des vacances de printemps pour rentrer une semaine voir mes parents et profiter des arbres fleuris du jardin. Je suis heureuse d’avoir retrouvé ma liberté de mouvement, conduire une voiture, ne pas avoir à justifier chacune de mes sorties mais ma famille me manque et j’apprécie de passer un temps avec eux deux. Je n’ai amené que quelques livres à lire, je profite du transat au bord de la piscine pour rendre agréable ces moments de révision.

« Pourquoi avez-vous enlevé mes posters et commencé à arracher la tapisserie de ma chambre ?

– Écoute Nathalie, tu n’habites plus ici maintenant. Tu vas vivre ta vie, nous n’allions pas garder tes licornes.

– Je les aimais bien ces licornes…

– On te les a mises de côté, tu pourras les amener à Toulouse si tu veux.

– Pff, très spirituel. Et vous allez faire quoi de ma chambre ?

– On pensait faire un bureau.

– Et moi je dormirai où ? À moins que vous ne vouliez plus que je vienne.

– Arrête de faire ta gamine. On va installer un canapé, on pourra toujours le déplier quand tu seras là. »

Nous avons déjà eu cette conversation dans un lointain passé, rien ne change. Cette chambre va quand même me manquer. J’hésite à accepter la proposition et emporter mes posters de licornes. Ce serait du plus bel effet, je suis certaine que Pierre adorerait.

Cette courte pause m’a permis de recharger mes batteries et me remotiver pour la fin de l’année scolaire. Les concours n’auront lieu que dans un peu plus d’un an, et même si je me souviens d’une partie des sujets, je ne pourrai me permettre le moindre relâchement d’ici là.

De retour sous le soleil toulousain, je réaménage mon appartement afin que mon plan de travail soit sous la fenêtre. Ainsi je pourrai profiter de la chaleur printanière tout en révisant le weekend. Je tente de rendre ces deux années les plus agréables possibles même si les passer derrière des feuilles dactylographiées, à la lumière d’une lampe de chevet ou derrière le bureau d’une classe, n’est pas ce que j’appellerais la meilleure méthode. Je suis cette fois mieux préparée et je m’accorde plus de moments pour moi. Même si Pierre trouve que je ne passe pas assez de temps avec lui.

Dans ma classe, je suis assez peu intégrée, je fais moins d’efforts que la première fois. Je sais que je ne reverrai personne après de toute manière. À l’inverse, j’appelle Virginie trois fois par semaine, mon amie de toujours, qui est en première année de médecine sur Montpellier.

« Coucou Virginie ! Ça va depuis hier ?

– Salut Nath ! Toujours la même routine, des tonnes de trucs à apprendre. Toi tu fais comment pour rester zen ?

– Qui t’a dit que je restais calme ? Là y a un livre qui vient de traverser la pièce. C’est pour cela que je t’appelais, pour me changer les idées avant de tout balancer à la poubelle.

– Ok… C’est purement intéressé en fait.

– Tout à fait. Quelle autre raison aurais-je de t’appeler presque quotidiennement ?

– Très drôle. Moi ma technique c’est de me promener place de la Comédie et siroter un mojito.

– J’y ai pensé mais je risque de finir alcoolique.

– Allez courage, il reste trois semaines et ce sera enfin les vacances. Tu pourras bien t’accorder une ou deux semaines de repos.

– Justement, je t’appelais pour ça. Et pour me plaindre de ma condition d’étudiante confinée dans un petit appartement. Cet été on organise avec Sébastien une semaine de fête dans les Landes, la deuxième semaine de juillet.

– Avec Sébastien ? Et Pierre est d’accord ?

– Vu que cela se passera chez lui, c’est effectivement préférable.

– On t’a déjà dit que tu étais bizarre ?

– Tout le temps. Tu viendras ?

– Évidemment ! »

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