Face à l’adversité,

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Nous sommes finalement sept pour ce voyage, nous prenons deux voitures. Il y a Nadine, Christelle et Benoit dans la voiture de devant, Sylvain, Céline, Sébastien et moi dans la deuxième. Céline conduit, je suis sur le siège passager, Sylvain discute avec nous et Sébastien maintien un mutisme total. J’ai l’impression qu’il fait la tête, je ne l’ai pourtant pas obligé à venir. Il m’agace quand il a ce genre d’attitude. Je préfère l’ignorer, j’ai décidé de passer un agréable moment, il ne parviendra pas à me le gâcher.

Nous arrivons de bonne heure le samedi. L’appartement que nous avons loué ne sera disponible qu’à partir de 16h, nous laissons nos affaires dans les voitures. La première étape du voyage est la visite du centre-ville, demain nous nous baladerons dans les vignobles de champagne. Seuls les conducteurs n’auront pas le droit aux dégustations. En compensation, nous avons promis de nous cotiser pour payer une bouteille à chacun, en plus de la répartition des frais d’essence et d’autoroute. L’avantage est que depuis le passage à l’euro, tout nous parait moins cher. Malheureusement nos comptes bancaires se sont réduits de manière proportionnelle.

Nos déambulations touristiques sont principalement marquées par la visite de la grande cathédrale. Quand je pense à tout cet argent, ce temps, ces hommes utilisés pour plaire à une puissance mystique imaginaire. L’humanité aurait pu se lancer dans des projets tellement plus porteurs. Cette futilité n’empêche pas la magnificence, au contraire, c’est même toute la force de l’art. Sébastien, à défaut de participer aux conversations, se charge des photos. Au moins il se rend utile.

Le soir j’essaie de le dérider un peu. Nous sommes au restaurant, j’ai commandé pour nous deux un kir royal, Champagne oblige. Je donne un coup de coude à Céline, ma grande copine de classe et montre Sébastien d’un coup de menton pour qu’elle engage la conversation. Elle est célibataire, lui aussi. Je suis nulle en tant qu’entremetteuse mais on peut toujours essayer.

« Dis-moi Sébastien. C’est bien Sébastien ? Comment vous êtes-vous connus avec Nathalie ?

– Euh… Nath et moi ? Houlà, ça date. Nous nous sommes retrouvés par hasard dans la même classe en 6ème. Et puis nous nous sommes retrouvés deux ou trois fois en colle ensemble, du coup nous avons commencé à discuter, puis travailler de concert.

Par hasard, mon œil.

– Et vous êtes restés en contact tout ce temps ? C’est beau.

– Elle est parfois agaçante, mais c’est une véritable amie. Si nécessaire, je lui confierais ma vie. »

Non mais sérieux Sébastien ! Céline est une jolie fille blonde, intelligente, et libre ! J’essaie de vous caser ensemble et tu n’as rien de mieux à faire que montrer tes sentiments envers ma personne. J’enrage intérieurement. J’abandonne. Je rejoins la conversation de Sylvain et Christelle sur l’astronomie et leur projet de partir cet été dans un centre d’observation des étoiles. Je pense que ce couple a plus de chances de se former d’ici la fin de ce weekend que celui de Céline et Sébastien. Tant que je n’interviens pas.

Le lendemain je mets de l’eau dans mon champagne, et je me mets en retrait du groupe pour marcher côte à côte avec Sébastien. Nous sommes dans les vignobles et visitons de nombreuses caves avec au programme de nombreuses dégustations.

« Sébastien, tu aurais pu faire un effort pour t’intégrer.

– Mais j’ai fait un effort ! Je suis venu, je me suis montré souriant, j’ai pris plein de photo de votre groupe…

– Tu n’as quasiment pas parlé !

– Mais vous n’avez quasiment discuté que de votre école, de vos profs et de vos devoirs. Je ne vois pas à quel moment j’aurais pu intégrer la conversation.

– Tu exagères. Nous n’avons pas parlé que de ça, et puis tu peux aussi lancer des sujets de conversation.

– Je suis désolé, mais je n’y arrive pas. Parler pour ne rien dire, ce n’est pas dans mon caractère. Je ne sais pas aborder les gens, je n’ai jamais su. Rappelle-toi notre première rencontre…

– Tu marques un point ! »

Céline nous interpelle de loin : « Hé les amoureux ! Vous avancez ? »

Ce n’est vraiment pas gagné pour que je parvienne à les mettre ensemble.


Rentrée dans mon appartement, je me prends une douche bien chaude après ce weekend à vadrouiller dans les champs. Je garde un gout mitigé de ces deux jours, contente d’être sortie de notre routine, loin de l’école, avec des amis à rigoler. Mais d’un autre côté, l’attitude de Sébastien m’a énervée.


Non, ce n’est pas ça. C’est plus profond.


Je ferme les yeux, l’eau chaude coule le long de mon corps, j’essaie de détendre mes muscles et de comprendre. Ces amis, mes amis, je ne les connaissais pas il y a 30 ans. Je les avais croisés, pour certains, mais nous ne nous fréquentions pas, et jamais je n’étais allée à Reims.


Ce n’est toujours pas ça le problème. Réfléchis !


La plupart étaient en couple, ou en passe de l’être. Si on exclue Céline et Sébastien. Et moi. Est-ce cela ? Me sentirais-je seule ?


Non. Je ne ressens pas le besoin d’avoir quelqu’un, j’ai des amis et des weekends très occupés. Et je me sens bien avec Sébastien…


Et Victor ?

Je coupe l’eau, j’ouvre les yeux et j’attrape ma serviette.


Oui, c’est ça le souci.

Il aurait déjà dû me faire des avances, c’était dans une soirée de l’école, dans une boite de nuit. Et je l’aurais envoyé paitre. Mais il aurait insisté, et m’aurait invité à boire un verre à une autre occasion. Et ce weekend, nous aurions dû le passer ensemble. Avec Victor, seule à seul. Pas avec Sébastien.

Le jeudi soir, je me débrouille pour me faire inviter à une fête à laquelle Victor est convié. Bien que nous soyons en plein hiver, je mets une robe d’été : bras nues, laissant apparaitre une grande partie du dos. Des collants et un chaud manteau me permettent d’atteindre l’immeuble où a lieu la fête sans trop souffrir du froid. Dans l’ascenseur, je me remets du rouge à lèvre et je vérifie que mes boucles d’oreille sont toujours à leur place. Je fais partie des premiers invités. Après avoir salué les quelques personnes présentes, je me sers rapidement un verre de whisky-coca. Je vais en avoir besoin.

Une heure s’écoule avant que Victor n’arrive enfin. Heureusement il est seul. Le doute m’a pris sur le chemin. Et s’il n’était plus célibataire ? Il est objectivement bel homme, grand, et assez musclé. Il parvient à donner à ses cheveux bruns un effet décoiffé du plus mauvais effet grâce à une quantité astronomique de gel. Heureusement, je parviendrai à lui faire changer cette mauvaise habitude dans quelques années. Il porte un costume noir, le même qu’à l’époque, le seul qu’il possédait.

En arrivant, il me fait la bise, comme aux autres invitées présentes, et me complimente sur ma tenue. Je ne devrais pas, mais je sens en moi une bouffée de colère. Je me suis habillée volontairement pour lui plaire, connaissant ses gouts en la matière, et pourtant sa remarque m’énerve. Je respire un grand coup, et je me ressers un verre. Je vais vraiment en avoir besoin.

« Bonsoir. Victor, c’est ça ?

– Bonsoir, à qui ai-je l’honneur ?

– Nathalie. Mais tu peux m’appeler Nath. »

Je me force à sourire. J’ai tellement l’impression de sonner faux, je me sens comme une potiche.

« Tu es très jolie ce soir. On s’est déjà croisés ?

– Nous sommes dans la même école, donc oui, je suppose. Mais peut-être suis-je moins jolie dans la vie de tous les jours. »

Il ne comprend pas le tacle. Il commence à me raconter sa vie, ses exploits sportifs, moi, je, moi encore… Et dire que je me plaignais du mutisme de Sébastien. Pourquoi je pense à lui en ce moment ?

Finalement je n’y tiens plus, je m’excuse poliment auprès de Victor, puis auprès de notre hôte et je quitte l’appartement, l’immeuble, la rue. Je rentre à pieds, frigorifiée. Je n’ai pas pris la peine de mettre mon manteau sur mes épaules. J’arrive chez moi, enfin ! Je m’assois sur le canapé. Je me sers un nouveau verre d’alcool. Et je m’effondre psychologiquement, en pleurs. Je fracasse mon téléphone contre le mur, je renverse la table basse, le vase dessus se brise, l’eau se répand sur le tapis, je balance une étagère de livres par terre. Je pousse un cri au moment où un verre à moitié vide subit le même sort que mon téléphone. J’arrache ma robe, je me sens sale, fausse et faible. Si faible. Je m’effondre, physiquement cette fois, sur le canapé. Épuisée, je finis par m’endormir.

Le lendemain je constate les dommages. Une tempête a traversé l’appartement. J’ai cours ce matin, je prends à peine le temps d’éponger l’eau. Je me lave rapidement et je décolle pour aller en classe. Cet après-midi je me rendrai dans un magasin de téléphones portables, le mien a malheureusement rendu l’âme.

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