Chapitre 34 - Briser la glace
Ning avait parcouru les trois pas qui le séparaient d’Ishta et la tenait maintenant serré contre son torse. Le parfum boisée et fort du garçon l’étouffa. La colère et le soulagement se disputaient la place dans son cœur et elle le repoussa d’un geste rageur. Comment osait-il montrer sa face devant elle après l’avoir abandonnée à son sort ? Elle ne comprenait pas ce qu’il avait espéré obtenir en venant jusqu’ici mais, au moins, elle le savait inoffensif.
« Qu’est-ce que tu fais ici ! ? questionna-t-elle d’un ton pressant qui le fit reculer d’un pas.
- Je viens te chercher bien sûr ! N’est-ce pas ce que je t’ai promis ? »
Mais quel idiot celui-là ! Non, ce n’est pas ce qu’il avait promis. Il aurait bien mieux fait de l’oublier…
Mais Ning était un enfant après tout, il lui fallait le traiter comme tel. Elle se calma pour ne pas l’agresser plus, ou elle ne pourrait jamais lui faire entendre raison.
« Je n’ai pas besoin que tu viennes me chercher. Je suis bien mieux ici que là où tu veux m’emmener. Je suis mariée et j’ai une vie ici. »
Une expressions affectée se peignit le visage du jeune homme alors qu’il était venu lui prendre les mains.
« Amour… dit-il d’un ton niais. J’ai vu ton mari, tu n’as pas besoin de faire semblant avec moi, je vais te sortir d’ici…
- Je ne veux pas sortir d’ici ! dit-elle en dégageant ses mains d’un coup sec. Tu as eu ta chance pour m’emmener au loin et tu m’as abandonnée à mon sort ! Maintenant va-t-en !
- Je ne t’ai pas abandonné ! cracha-t-il, le visage déformé par la colère. Je suis là, non ? Tu ne pouvais pas espérer de moi que je te laisse piétiner toute ma vie juste pour un caprice ! »
- Un caprice ? murmura-t-elle, la surprise et la rage lui ayant coupé le souffle.
- Comment appeler ça autrement ? répondit-il, sur la défensive. Avec tes élucubrations sur la chute de l’Empire… Mais je sais maintenant que tu es aussi belle qu’intelligente et ta vision était juste, j’ai entendu mon père en parler… »
Ah ! si son père, ce grand homme, lui avait donné raison alors… Il se rapprocha à nouveau, main tendue, regard plein d’un espoir aussi vide de sens que sa tête.
« Alors je viens tenir ma promesse, continua Ning. Ça fait des jours que j’attends que tu sois seule pour pouvoir t’approcher mais ces barbares te surveillaient de près. Je viens te libérer de ton mari.
- Me libérer ? demanda-t-elle d’une voix doucereuse qui ne masquait que difficilement sa rage. Mais si j’avais réellement eut besoin de ton aide, je serais déjà morte à l’heure qu’il est… Si les hommes d’ici étaient moitié aussi violent que ceux de l’Empire, que crois-tu qu’il me serait arrivé avec mon blason non-fini ? Je serais morte à l’heure qu’il est ! Battue à coup de pieds ou utilisée comme sac de soulagement jusqu’à ce que mon corps cède d’épuisement… »
Elle n’avait pas levé la voix mais la puissance de sa rage avait fait reculer le jeune homme. L’horreur se peignit sur son visage alors qu’elle sentait une tension familière apparaître au creux de sa poitrine. Nul doute que ses yeux luisants avaient pris le fils de Sichuna par surprise.
« Mon mari est l’homme le plus doux et le plus attentionné que j’ai jamais rencontré et je l’aime, continua-t-elle, tout aussi calmement, mais d’un ton ferme.
- Cette brute de géant ? demanda Ning, incrédule. »
Le doute s’installait dans les yeux en amande du jeune homme. Mais bien vite, sa résolution reprit le dessus et, avant qu’Ishta ne puisse réagir, il porta une main ouverte à sa bouche et souffla sur son contenu. Son réflexe de porte sa main vers le couteau que Finn lui avait offert à sa ceinture ne l’aida pas. Un nuage de poussière rouge scintillante l’atteignit en plein visage et la fit tousser. Surprise, elle n’avait pas réussi à s’éloigner à temps et la poudre emplit ses poumons. Il lui fallut quelques instants pour se reprendre, Ning en avait profité pour s’approcher. Il prit le visage d’Ishta entre ses mains délicates. Elle se laissa faire.
Une voix lui disait bien de le repousser, que le contacte de sa peau trop délicate et douce pour avoir travailler la révulsait, que son regard compatissant et peiné la rendait folle de rage, mais cette envie n’atteignait plus ses membres. Comme si toute volonté l’avait désertée. À bien y penser, sa rage l’avait désertée et la tension des Sintånd avait tout bonnement disparu. Elle se dit qu’il serait peut être bon pour elle de reculer de quelque pas… Mais l’envie n’était pas vraiment là. Aussi elle resta sur place.
Elle se sentait seule. Une solitude qui la ramena loin en arrière, dans une autre vie, dans un autre pays. Son esprit se tendait vers quelque chose qui n’était plus là. Son lien ne datait que d’une journée mais elle s’y était déjà pleinement habituée. Une petite voix lui dit que si elle ressentait son absence, elle ne devait pas être là seule. On viendrait alors la chercher. Avait-elle envie qu’on vienne la chercher ?
Ning n’était que douceur, elle n’avait aucune raison de le fuir.
« Oh… Amour… dit-il d’une voix douce. Quelle magie ont-ils employé sur toi pour que tu tombes amoureuse de ce sauvage… J’aurais du le savoir à l’instant où j’ai vu tes yeux briller. Excuse-moi de m’être emporté, nous irons voir un moine dès notre arrivée pour te libérer de son emprise. »
Et il déposa ses lèvres sur celles d’Ishta. Elle eut un haut le cœur qui n’atteignit pas son corps. Elle supplia les Dieux pour qu’Ulrik rentre à cet instant, mais cette envie s’évanouit aussi vite que les autres. Pourquoi vouloir autre chose que la paix de cet instant ?
« Il faut partir maintenant, chuchota-t-il. Viens… »
Il lui prit la main et l’emmena à la fenêtre par laquelle il était rentré. Elle le suivit. Elle n’avait rien d’autre à faire en l’instant de toute manière. Il l’aida à escalader la fenêtre. Dehors, Pahala brillait et illuminait le paysage. En bout de village, ses yeux ne rencontraient que la prairie bordée de forêts et les montagnes le long du lac au loin. Elle sourit à l’idée qu’elle n’avait jamais cessé de l’appeler “un lac”. Mais le fjord s’ouvrait sur la mer, bien qu’elle n’en voit pas l’embouchure d’ici.
Derrière, Ning s’affairait à récupérer un baluchon et la couvrit d’une cape légère et douce.
Il lui reprit la main et l’emporta d’ombre en ombre à travers le village. Elle ne savait pas trop où ils allaient et ça n’avait aucune importance. Elle se cachait quand il le lui indiquait et courrait quand il le souhaitait. Il était agréable de ne pas avoir à prendre de décisions.
Encore une fois, cette petite voix agaçante au fond de sa tête vint l’ennuyer. Elle n’avait aucune envie de l’écouter. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter quand plus rien n’a d’importance.
Ils avaient tourné à l’angle d’une énième maison quand ils se trouvèrent face à un homme roux gigantesque. Ishta le reconnu, c’était Eirik, un des forgerons. Elle lui fit un petit signe de la main, sourire aux lèvres. Il avait toujours était gentil avec elle et son fils faisait les plus jolis bijoux. Ning sauta sur une caisse posée contre le mur d’une maison, prit appui sur la paroi de bois et se retourna sur lui-même, donnant au passage un coup de pied puissant dans la tête du forgeron qui tituba, sonné. Ning atterrit souplement devant Eirik et lança de nouveau sa jambe en direction de sa tête. L’Íbúa para maladroitement le coup de son avant bras et le fils de Sichuna en profita pour lui assener trois coups rapides de ses mains. Un dans son estomac, un sur le milieu de son torse et le dernier dans sa carotide. Le forgeron se retrouva haletant, à genoux.
Ishta se précipita pour l’aider à se relever mais son corps ne bougea pas. Une lueur de frustration s’alluma dans son cœur mais elle fut bien vite étouffée par son manque d’envie. Elle n’avait pas besoin de bouger, Ning ne le lui avait pas demandé…
Celui-ci attrapa sa main et l’emporta de nouveau entre les ruelles. Il courrait de plus en plus vite et elle avait du mal à le suivre. Elle pouvait entendre des voix et des cris tout autour. On l’appelait. Elle faillit répondre, crier qu’elle était là, mais pourquoi s’embêter ?
Ning avait d’abord parut calme et sur de lui, effectuant des gestes souples et précis. Maintenant, la contrariété déformait ses jolis traits et ses pas précipités n’étaient plus aussi silencieux. Ishta ne comprenait pas son empressement, la journée était belle, ils pouvaient en profiter.
Ishta pouvait désormais entrapercevoir leurs poursuivants au bout des rues qu’ils empruntaient. Tous des gens qu’elle connaissait au moins de vue, le visage déformé par la colère et l’inquiétude. Qu’avait-elle fait pour s’attirer leurs foudres ?
Ils traversèrent une ruelle au pas de course pour atterrir sur la grève. Cet endroit, surplombé par la colline où trônait le Hovedhuren, était à l’ombre la plupart de la journée et la neige n’y avait pas encore relâché son emprise. Si la glace autour du port avait été cassée pour permettre aux bateaux de pêche de circuler, ici, elle était encore assez épaisse pour emprisonner les vagues. Sans plus y réfléchir, Ning s’engageât sur le lac, glissant un peu au début, il reprit vite pied et entraîna Ishta.
Elle voulut le retenir, ils ne devaient pas y aller. Cependant, elle était incapable de se souvenir pourquoi et ne voyait pas l’intérêt d’y réfléchir.
Derrière eux, un petit groupe c’était formé sur la berge, hésitant à les suivre. Ishta suivait toujours Ning, glissant et dérapant. Il l’attrapa par la taille pour la maintenir devant lui et plaqua un étrange petit couteau sous sa gorge. Elle ne l’avait pas vu le sortir.
« Si vous approchez, je lui tranche la gorge ! » hurla-t-il aux Íbúa rassemblé sur la grève.
Aucun des gens présents ne parlait la langue de l’Empire. Peut-être devrait-elle le lui dire… Mais parler demandait bien trop d’effort, alors elle se tut.
La petite foule s’écarta tandis qu’Ulrik la traversait, les yeux luisants. Le cœur d’Ishta se serra… Qu’est-ce qu’il pouvait être beau… Elle voulut l’appeler, lui criait qu’elle l’aimait. Une nouvelle fois l’envie s’estompa aussi vite qu’elle était apparut. L’angoisse et le désespoir se lisaient sur son visage si masculin. Il ne devrait pas s’inquiéter autant… Ce n’est pas bon pour lui.
« Approchez pas, j’ai dit ! hurla Ning de nouveau. J’hésiterais pas à lui trancher la gorge plutôt que de la savoir à souffrir aux mains des sauvages ! »
D’autres visages familiers étaient apparus. Leif, Astrid, Knut et Sigvald, entre autres. Tout le village se réunissait. C’était un drôle d’endroit pour une balade, la plage était bien plus belle de l’autre coté du port…
La foule s’écarta de nouveau alors que son frère arrivait en courant. Il ne se serait pas arrêté si Ulrik ne l’avait pas attrapé au passage. Dakshi s’était retourné avec rage, prêt à frapper son mari. Mais le regard angoissé d’Ulrik n’avait pas quitté Ishta, Sigvald murmura quelque chose et désigna du doigt le sol devant eux. Toute cette agitation fatiguait Ishta. Elle pouvait lire l’incompréhension sur le visage de son frère mais il ne bougea plus et se contenta de prendre la parole.
« Ning, bâtard ! gronda-t-il. Laisse-la partir !
- Jamais ! Plutôt lui trancher la gorge que de la laisser souffrir aux mains d’un sauvage !
- Tu ne vois pas qu’elle ne souffre pas abruti ?
- Ça vous arrange bien de penser ça, Votre Altesse ! dit-il avec hargne, il avait prononcé ces derniers mots avec tout le mépris qu’il pouvait y mettre. Mais je la connais, moi ! Elle est fragile ! Laissez-là ici et elle mourra ! »
La fureur déformait les traits de Dakshi, il allait de nouveau avancer et Knut du lui barrer le chemin. Le prince recula et se tourna vers Ulrik, prononçant des paroles trop basse pour qu’Ishta l’entende. Le chaman n’y prêta aucune attention. Un léger craquement sourd se fit entendre, presque passé inaperçu tandis que Dakshi reprenait la parole.
« Qu’est-ce que tu vas faire maintenant pauvre crétin ? Tu es coincé là !
- Je vais prendre un cheval et partir avec elle. Et vous allez me laisser passer, sinon je la tue. Je sais qu’en vrai tu tiens à elle ! Je t’ai vu agir avec elle… Au palais… Et si s’en est fini de moi de toute façon, je ne l’abandonnerai pas seule derrière moi… Laisse-moi partir et elle vivra. »
Ning avait parlé vite, avec le vent emportant la moitié de ces mots. Ishta aurait voulu lui expliquer que seul Dakshi l’avait compris, mais ça ne parut pas très important au moment ou elle voulut ouvrir la bouche.
Une légère brume commença à se former au pied de la foule, Ishta s’émerveilla de la vitesse avec laquelle elle avançait. Un nouveau craquement attira son attention. Son cœur rata un battement et elle faillit crier. Seulement, elle ne souvenait déjà plus pourquoi…
« Pas de magie ! » cria Ning en lançant le couteau posé quelques instants plus tôt sur la gorge d’Ishta.
Il se planta dans la jambe d’Ulrik qui retint un cri en tombant à genoux. Le brouillard se dissipa aussi vite que celui qui encombrait l’esprit d’Ishta. La réalité la frappa de plein fouet alors qu’elle reprenait enfin le contrôle de sa voix.
« Sjel ! » cria-t-elle.
Elle voulu se précipiter vers son mari mais Ning avait déjà posé une nouvelle dague sous sa gorge. Elle reconnut les petits couteaux de lancé qu’utilisaient bien souvent les marchands Austraux pour se défendre. La rumeur disait que chaque marchand en cachait plus d’une centaine dans leurs habits à larges pans. Ning ne portait que des vêtements ajustés pour ne pas être gêné dans ses mouvements, mais ça ne l’empochait visiblement pas d’en avoir plusieurs à portée de main.
« Lâche-moi ! » cracha-t-elle à Ning.
Elle tenta de lui donner un coup de coude dans les côtes mais il lui bloqua les bras d’un seul mouvement. Il était peut-être aussi bête que ses pieds mais qu’est ce qu’il était fort ! Leurs mouvements brusques tirèrent un nouveau grondement de la glace à leurs pieds, aussi elle cessa de lutter.
« C’est la magie de ce monstre qui parle, susurra Ning à son oreille. Ne t’inquiète pas Amour, tu seras bientôt libre…
- Nüo muovesiù, Sjel ! cria Ulrik en se relevant. Se ghiacies ast sottiè. »
Elle savait bien que la glace était fragile, et la panique d’Ulrik faisait écho à la sienne. Sigvald donnait des instructions à un petit groupe d’homme qui parti en direction du port. Mais Ishta connaissait la vérité. Pour s’approcher en bateau, il faudrait qu’ils brisent la glace devant eux, ce qui ne la fragiliserait que plus. Et la briser ne suffisait pas à dégager le passage, le bateau prendrait un temps fou à les atteindre et il lui faudrait une chance incroyable pour ne pas se faire enfermer sous la glace si ils venaient à tomber.
Son esprit se tendit de lui même vers Ulrik et les berserkir mais ne rencontra que son propre écho. Elle ne savait pas ce que Ning lui avait soufflé au visage mais, en plus de lui retirer toute volonté, la poudre avait coupé son lien avec les Sintånd. Elle était de nouveau seule.
« On va s’en sortir Amour, je te le promets… »
Il avait murmuré, plus pour se rassurer lui-même que pour elle.
Elle avait renoncer à lui répondre. Il s’était noyé dans ses illusions depuis bien trop longtemps pour être sauvé. Accepter qu’il aie pu se fourvoyer et venir jusqu’ici pour rien lui coûtait trop. Certainement qu’il avait dû s’enfuir, renoncer au mariage choisi par le patriarche de Sichuna. Sûrement qu’il ne pourrait jamais revenir au sein de sa famille désormais. L’acte héroïque de la sauver était sa seule chance d’être à nouveau accepter par les marchands. Le rejet d’Ishta mettait fin à cette possibilité. Si elle ne le suivait pas, il n’avait plus rien. Il n’était plus rien.
Un nouveau craquement se fit entendre. Plus fort cette fois, il avait atteint les oreilles de la petite foule sur la plage qui retint sou souffle comme un seul homme. Ishta vit la compréhension se faire dans les yeux de Dakshi. Il avait enfin fait le rapprochement entre la situation de sa sœur et la réaction des Íbúa. La glace était loin du savoir commun au sein du Saam’Raji.
« Très bien, tu peux la prendre avec toi. » dit-il calmement sous le regard ahuri des Íbúa l’ayant compris.
Knut allait lui sauter à la gorge mais c’est Ulrik qui l’en empêcha. Ishta savait bien qu’il était confus, mais il savait aussi que Dakshi n’était pas stupide. Le prince leva les mains en signe d’apaisement et recula.
« On te laisse passer, reprit-il d’une voix étrangement calme, Ishta connaissait bien cette voix, une voix dangereuse. Tu as raison, je l’aime. Plus que je n’aime l’Empire. Qu’importe la guerre tant qu’elle vit. Viens maintenant, fils de Sichuna…»
Elle sentait Ning hésiter derrière elle. Elle savait que son frère ne voulait que les faire sortir de la glace. Mais après… Quoi ?
« Que tout le monde recule, ordonna Ning. Je veux personne à moins de cent pas de nous. »
Ulrik et Sigvald avaient visiblement compris la manœuvre du prince puisqu’ils firent signe à la foule de reculer. Seulement ça ne changerait rien. Certes elle ne mourrait pas ici et maintenant, mais vivre loin d’Ulrik emporté par un enfant fou n’était pas plus agréable à envisager. Et Ishta avait eu un aperçut des dangers des Konungalands. Ils ne traverseraient jamais ses terres vivants. Ulrik et les berserkir viendraient sûrement à sa recherche, mais à quel prix pour le peuple Íbúa ? Son sauvetage retarderait la guerre, les berserkir allaient négliger la défense des territoires durement gagnés, laissant Leif seul pour tenir tête aux autres clans. Elle le savait. Elle les connaissait mieux qu’elle ne se connaissait elle-même désormais. Elle avait vu jusqu’au plus profond de leurs âmes.
La seule faiblesse des berserkir était ce lien même qui les rendait si fort.
La foule était désormais loin de la grève. Ne restaient qu’Ulrik, Dakshi, Knut et Sigvald. Debout en retrait, impuissants, ils attendaient le bon vouloir de Ning. Du sang coulait maintenant en abondance de la cuisse d’Ulrik qui n’avait même pas pris la peine de retirer le couteau. Où se trouvaient les autres, elle l’ignorait. Mais elle ne leur en voulait pas. Elle savait qu’ils n’étaient pas absents de leur propre volonté. Ils devaient être retenus ailleurs, rendus fous par l’impuissance de ceux présents se déversant directement dans leurs esprits. Si seulement Ning avait agi avant qu’Ishta ne voyage au pays d’Hella… Ils auraient sûrement moins souffert.
Le fils de Sichuna se décida enfin et fit un pas en avant, poussant Ishta devant lui. Le mouvement déclencha un craquement puissant et si sonore qu’il tonna dans le tout le fjord. Une myriade de fissures se dessina à ses pieds. Elle soupira… Apprendre à nager n’avait jamais été une priorité.
« Qu’est ce que c’est ? » demanda Ning, ahuris, tandis que la foule sur la berge poussa un cri d’angoisse.
Les berserkir et le prince couraient déjà sur la grève. Sans plus se soucier du danger, ils se précipitaient en direction de la glace. Elle devait agir avant qu’ils ne l’atteignent.
« Plutôt mourir que de retourner chez les fous. » cracha-t-elle avant de donner un gros coup de pied au sol.
Ishta planta son regard dans celui d’Ulrik tandis que la glace grondait. L’horreur qu’elle y vit quand il comprit ce qu’elle avait fait lui perça le cœur, mais elle était en paix avec sa décision.
Le sol céda sous leurs pieds et elle sentit l’emprise de l’eau glacée. La magie des Sintånd la frappa de plein fouet alors qu’ils tentaient de la sauver, mais les Sintånd ne pouvaient contrôler l’eau et le poids des robes d’Ishta, ajouté a celui de la cape, la tirait vers le fond. Elle pouvait entendre la glace se fissurer sous les pas précipités des hommes qui venaient à son secours, étrangement assourdis et multiplié d’avoir traverser l’eau. Ils allaient mourir avec elle si elle ne faisait rien. La tension dans sa poitrine devint douloureuse et elle tendit la main vers la surface dure et morcelée au dessus de sa tête. La glace était brisée, certes, mais elle avait reprit sa place et l’aurait empêché de remonter à la surface quand bien même l’aurait-elle atteint. Elle resserra son poing d’un geste rageur, libérant sa magie retrouvée et l’eau se solidifia sur toute sa surface jusqu’à la berge.
Des papillons noirs envahirent sa vision alors qu’elle voyait Ning se débattre et taper du poing contre la glace nouvellement formée et plus solide qu’elle ne l’avait jamais été. Dire qu’elle l’avait cru inoffensif… Elle ne souhaitait pas sa mort pour autant. C’était lui ou Ulrik… Cet idiot de géant aurait plongé derrière elle, se retrouvant enfermé à son tour. Elle ne pouvait pas appeler cela un choix.
La panique la prit alors que sa tête réclama la bouffée d’air qu’elle lui refusait et l’eau glaciale envahit ses poumons.
Son regard se perdit dans les rayons de Pahala qui perçait le bleu des eaux paisibles, insensibles à la souffrance que l’absence d’air dans sa poitrine pouvait provoquer… Ou à celle des hommes qui martelaient désormais la glace, loin au dessus d’elle.
Le silence était reposant, à peine perturbé par le bruit assourdi des coups de hache sur la surface dure. Elle y reconnut la paix du royaume d’Hella et la sentait qui l’appelait. Au moins, la vue était belle…
*** FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE ***
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