Une question de couleurs
- Allez viens !! Dépêche toi avant qu'il n'y ait trop de monde.
Ça, c'était ma soeur, Sofia. Aujourd'hui c'est le premier jour des vacances d'été, et comme chaque année, une fête foraine s'est installée sur le terrain vague à la périphérie du village. Et comme chaque année, ma soeur m'a tanné pour que je l'y accompagne. La nouveauté, c'est que cette fois j'ai dit oui. Nous voilà donc, à faire la queue pour entrer dans la maison hantée.
- T'es pas trop jeune pour ce genre de trucs toi ? je lui demande
- J'ai 12 ans ! Je suis plus un bébé qui a peur des fantômes ! réplique-t-elle
Je me le demande. Hier encore, je l'ai vu monter les escaliers en regardant trois fois derrière elle, le visage inquiet de se dire que quelque chose pourrait la suivre.
La file avance doucement. Je m'ennuie et je ne pense qu'à une chose, en finir au plus vite et rentrer pour continuer d'écrire ma chanson, activité par laquelle j'étais absorbé avant que mon adorable teigne ne vienne me déranger. En parcourant la foule du regard, un éclat de couleur attira mon attention. A quinze mètres de là, près du stand de confiseries, se tient un clown. Il ne bouge pas, il semble me regarder, un sourire plaqué sur le visage. Je hais les clowns. Sérieux, qui a un jour eu l'idée géniale de défigurer quelqu'un avec de la peinture couleur sang et de l'envoyer s'occuper des gosses ? Cette personne était soit un sadique qui détestait les enfants, soit juste un con.
Notre tour arrive et je me détourne de cette horreur, avant de pénétrer dans la maison avec une Sofia tout à coup moins assurée qu'elle ne veut le faire croire. Le spectacle est ridicule à souhait : squelettes phosphorescents, araignées en plastique qui te tombent sur la tête, sorcière dont les vêtements miteux tombent en lambeaux. Au final, même Sofia s'ennuie, ses grands yeux noirs ayant perdu leur éclat d'amusement. Pour atteindre la sortie, nous devons passer par un ultime couloir, plongé dans le noir complet. Ma soeur me dit alors :
"Tiens, dans mes souvenirs cette partie était éclairée. Remarque, dans mes souvenirs c'était beaucoup plus amusant"
Elle me jeta un regard en coin. Je préfère ne pas relever cette dernière remarque. Elle était sûrement déjà venue avec des copines, bien que maman lui ait interdit cette attraction jusqu'à aujourd'hui.
- Bon, sortons d'ici avant de mourir d'ennui, lui dis-je avant de m'engager dans l'étroit couloir.
Soudain, une certaine appréhension s'empare de moi. A tâtons, je cherche la main de Sofia dans le noir, par crainte qu'elle se soit trop éloignée. Ne rencontrant que du vide, je l'appelait alors.
- Sofia ?
- Oui ? me répond-elle tout de suite.
- Reste près de moi s'il te plaît, je ne voudrais pas te perdre.
- Rho, ça va on y est presque.
- Je m'en tape, t'es où ? dis-je en continuant de chercher sa main.
Quand je la trouve enfin, je la relâche immédiatement. Elle est glacée. Et calleuse.... ? Je flippe vraiment, je me sens oppressé tout à coup. J'appelle de nouveau ma soeur mais ne reçois aucune réponse. J'entends alors un énorme bruit sourd, suivi d'une sorte de craquement. Je panique pour de bon et me mets à courir en hurlant :
- Sofia ! Sofia c'est pas drôle réponds moi !!
Pour toute réponse, je reçois un violent choc frontal qui me fait tomber à la renverse. Les lumières s'allument. J'avais foncé droit dans un mur et le choc semblait avoir remis le circuit électrique en état de marche. J'étais là, assis dans ce couloir soudain aveuglant. Seul.
Je me précipite à l'extérieur, la foule est dense, et aucune trace de Sofia. Les gens s'amusent, mangent de la barbe à papa, grimpent dans des manèges impressionnants mais ma soeur a disparue. Je commence à demander aux passants s'ils l'ont aperçu mais après plusieurs réponses négatives, j'aperçois le clown de tout à l'heure. Il me sourit. Dans sa main, il tient un petit sac à dos, que je reconnais immédiatement. Le sac de Sofia. Mon niveau de rage augmente soudain, se mélangeant à la peur. Je nage en plein cauchemar. Je m'élance vers lui, mais il y a trop de monde pour que je bouge à mon aise. Je m'approche peu à peu. Encore un peu...
Au moment où j'aurais dû l'atteindre, il disparaît derrière un stand. Je redouble d'effort, je déboule derrière le stand, mais il n'y a rien. Bon sang ! Où est-il passé ? Je commence à errer dans les allées, complètement désespéré, quand quelque chose tire sur ma veste, me faisant sursauter.
- Bah t'étais où ? me hurle Sofia, son sac sur le dos. Je t'ai cherché partout. Viens, on rentre. C'est nul cette année.
Complètement sonné, je la laisse me guider vers la sortie. Elle m'a fait la pire frayeur de ma vie. Et ce clown ? Sûrement un abruti qui s'amuse à faire peur aux gens. Les battements de mon coeur se calment petit à petit. Quel con j'ai été ! J'attrape la main de Sofia. Elle est plus froide que d'habitude mais je mets ça sur le compte de l'air qui se refroidit à l'arrivée de la fin de journée. Elle lève la tête vers moi et me demande si je peux lui faire écouter mes chansons une fois rentré. Ses grands yeux verts brillent de curiosité. Comment résister ? Alors j'accepte.
Attendez....quelque chose cloche non ?
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