Chapitre 1 - 2/2
Le garçon se tamponna rapidement les yeux et lui adressa un sourire reconnaissant. Le majordome se redressait quand quelqu’un frappa à nouveau à la porte. La mère de Seth l’ouvrit sans attendre.
— Ça va, mon chéri ?
Seth haussa les épaules en guise de réponse.
— Albert, puis-je vous demander d’aller surveiller la cuisson du poulet ? l’enjoignit-elle aimablement.
— Bien sûr, madame, assura-t-il avant de quitter la pièce en refermant la porte derrière lui.
Crissella eut un sourire désolé et alla s’assoir à côté de son fils. C’était une jolie femme blonde, élancée avec des yeux d’un vert pur. Seth ressemblait plus à son père qu’à sa mère. Secrétaire pour le compte de Zander, elle avait arrêté de travailler lorsqu’elle tomba enceinte. Depuis, elle était femme au foyer. Son mari insistait pour qu’elle reste à la maison.
Il disait que c’était son rôle de subvenir aux besoins de la famille, pas celui de sa femme. Seth avait la sensation que sa mère souffrait de la situation, que son métier et la vie sociale qui allait avec, lui manquaient. Plus les années passaient, moins elle souriait.
— Il finira par se calmer, le rassura-t-elle d’une voix douce. Il ne va pas bouder comme un enfant éternellement.
— Ce n’est pas ça le problème, mère, répliqua durement Seth. C’est l’Ordre. Tout ce temps vous saviez ce qu’il faisait vraiment et vous n’avez rien dit. Comment pouvez-vous le laisser continuer ?
— Ce n’est pas si simple…
— Pourquoi restez-vous avec lui ?
— Seth... Tu ne devrais pas dire des choses pareilles.
— Il y a quelques mois je m’en serais voulu d’avoir dit ça, mais plus maintenant. Je vois bien que vous n’êtes pas heureuse. Il est tellement obnubilé qu’il ne s’en rend même pas compte. Vous devriez lui en parler. L’obliger à abandonner l’Ordre !
— Je… commença Crissella.
— SETH ! beugla son père.
Elle se redressa, soupira et observa son fils d’une mine résigné.
— Tu ferais mieux d’aller voir ce qu’il te veut, ça à l’air urgent, ajouta-t-elle avant de quitter la pièce.
Seth acquiesça à contrecœur. Cela n’augurait rien de bon.
Il se leva lentement de son lit et se dirigea vers la porte avec appréhension. Le couloir était désert, il entendait les pas de sa mère qui descendait déjà les marches. Il traversa le corridor sans se presser, observant les différents tableaux qui décoraient les murs. Son père lui avait, un jour, expliqué qui étaient ces gens, mais il n’avait écouté que d’une oreille distraite, ça ne l’intéressait pas vraiment.
Il jeta un œil par-dessus la balustrade. Zander l’attendait dans le hall d’entrée. Il portait son habituelle tenue de travail. Un costume fait sur mesure par le meilleur tailleur du coin. Comme il le disait souvent, « l’apparence est primordiale dans la vie de tous les jours, et encore plus dans ma profession. Les gens te jugent d’abord à ton physique avant de juger ta personnalité ». Il leva la tête et regarda son fils de ses iris bleus, d’un air inquiétant.
— Dépêche-toi de venir ici, lui ordonna-t-il en agitant un morceau de papier dans sa main droite.
— Oui, père.
Il ne savait pas encore pourquoi, mais Seth était certain qu’il était sur le point de passer un mauvais quart d’heure. Il s’empressa de finir la traversée du couloir avant de descendre les escaliers pour se planter devant son père.
Ce dernier avait détaché ses longs cheveux noirs et sa moustache, finement taillée, frémissait. Seth reconnait les signes, il était furieux.
— Lis ça, ordonna Zander en lui tendant une enveloppe.
Le garçon obtempéra. Il sortit délicatement la lettre, la déplia et lut :
Zander,
J’ai eu vent des évènements intolérables qui se sont produits à Castel-Lapis, en juin dernier. D’après les informations que j’ai en ma possession, vous en êtes responsable et vous êtes servi de votre propre fils pour agir. Vous avez mis en danger l’ensemble de l’établissement avec vos manigances et tenté d’assassiner un élève, par-dessus le marché. Un élève ! Avez-vous complètement perdu l’esprit ? Je devrais vous faire décapiter !
J’ai passé ces dernières semaines à convaincre Mme Foubadil de ne pas lancer de procédure judiciaire à votre encontre. Vous rendez-vous compte à quel point c’est grave ? Vous pouvez vous estimer heureux de ne pas faire la une de tous les journaux. J’utilise toute mon énergie à faire disparaitre ce scandale au lieu de diriger notre monde !
J’avais toute confiance en vous. Vous me décevez beaucoup. J’ose espérer que vous n’êtes pas membre de cette secte infâme comme j’ai pu l’entendre dire.
En attendant, je ne peux pas, et vous vous en doutez, laisser cela passer. Par conséquent, à compter d’aujourd’hui, et pour une durée de six mois, votre salaire est suspendu. Vous conservez votre poste pour le moment, mais si j’entends la moindre information qui me déplait à votre sujet, vous pourrez remballer vos affaires.
De plus, vous êtes convoqué à la fin du mois à la Table du Conseil afin que vous vous expliquiez de vive voix. J’espère pour vous que votre défense est solide parce que les conséquences pourraient s’alourdir.
Que ce soit très clair Zander, vous risquez gros dans cette affaire et vous mettre derrière les barreaux serait la dernière chose que j’aimerais faire. Vous êtes un bon élément, néanmoins je n’hésiterais pas à vous sacrifier s’il le faut. Reprenez-vous !
Yvain Gotrick, roi d'Isthos.
— Alors ? Tu es fier de toi ? aboya son père une fois qu’il eut terminé de lire.
Le teint de Seth vira à l’écarlate. Comment pouvait-il rejeter la faute sur lui ?
— Tu n’as rien à dire ? Si tu n’étais pas venu te plaindre auprès de moi, rien de tout cela ne se serait produit.
Seth marmonna quelque chose d’inintelligible.
— Qu’est-ce que tu as dit ? gronda Zander.
— Je ne t’ai jamais demandé de le tuer, répliqua Seth avec mauvaise humeur. Je ne t’imaginais pas capable d’une telle horreur.
— Une telle horreur ? Je suis prêt à tout pour ma famille et tu le sais mieux que quiconque. Maintenant à cause de toi, regarde dans quelle situation je me trouve !
Seth bouillonnait intérieurement. Oui, il s’était plaint d’Ethan, mais il n’avait jamais pensé que son père essaierait de l’assassiner. S’il lui avait expliqué son projet, il aurait refusé aussitôt.
— Tu aurais pu m’aider autrement qu’en cherchant à l’éliminer ! Pourquoi tu as fait ça ? riposta Seth. Tu m’avais dit que tu allais lui faire tellement peur qu’il ne m’embêterait plus, pas que tu tenterais de le tuer.
— Qu’est-ce que tu crois ? Je voulais préserver ton innocence. Tu ne devais pas connaître mon véritable rôle auprès de l’Ordre. Tu n’étais pas prêt. Tu ne l’es toujours pas.
— L’Ordre est une organisation criminelle. Je refuse que tu en fasses partie.
— Foutaises ! Ce n’est pas de cette manière que je t’ai éduqué. Ce Thobois est un humain. Et comme tous ceux de son espèce, il ne mérite que d’être éradiqué.
Seth ne pouvait plus approuver de tels propos. Les humains pouvaient, certes, être détestables, mais rien ne donnait le droit à l’Ordre de leur ôter la vie.
— Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Je ne ferais jamais partie de l’Ordre !
Une violente gifle fit voler Seth contre la commode en chêne massif qui se trouvait dans le hall d’entrée. Le vase qui reposait dessus tomba. Alertés par le bruit, Albert et sa mère accoururent.
— Zander ! s’insurgea-t-elle en se précipitant vers son fils.
— Reste en dehors de ça, Crissella. Seth a besoin d’une bonne correction.
Elle se releva lentement, la baguette à la main, et la pointa sur son mari.
— Je t’interdis de lever la main sur mon fils !
Zander observait Seth et sa femme avec fureur.
— Mais enfin, regarde-le ! Il est pathétique. Il est doux et faible, ça me donnerait presque envie de vomir. Ce n’est pas comme ça que je l’ai élevé.
— C’est assez ! s’exclama Crissella. Seth à raison. Ces histoires d’Ordre commencent à bien faire. Tu as une bonne situation au ministère de la Magie et voilà que tu risques de tout foutre en l’air pour des idioties.
Zander frappa violemment le mur à sa droite de son poing.
— Vous ne comprenez rien ! Je ne fais pas partie de l’Ordre. Je SUIS l’Ordre ! C’est moi qui donne les instructions. C’est moi qui dirige. Vous n’avez pas la moindre idée du pouvoir que j’ai. La vie est bien plus sombre que vous l’imaginez et quelquefois, il faut faire des choix difficiles pour le plus grand bien. Comme assassiner un jeune garçon. Mais… tu as raison sur un point, fils.
Il observait Seth avec un regard fou. Son père avait définitivement perdu la tête, il n’y avait plus aucun doute.
— Ce n’est pas ta faute, reprit Zander d’une voix doucereuse. Non, c’est la faute de ce Thobois si je me retrouve dans cette situation délicate. S’il n’avait pas survécu et ouvert sa bouche, rien de tout cela ne se serait produit. Nous avons récupéré la pierre, et pourtant il arrive quand même à nous mettre des bâtons dans les roues.
Il se tapotait le front avec les doigts. Il semblait réfléchir à plein régime. Un sourire terrifiant s’afficha sur son visage.
— Je n’en ai pas fini avec ce garçon. Le monde des sorciers est impitoyable, Seth. Ton camarade est sur le point de le découvrir. Je vais faire de sa vie un véritable enfer. Il va regretter de ne pas être resté auprès de ceux de son espèce, annonça-t-il avant de tourner les talons, ouvrir la porte d’entrée et la refermer derrière lui brutalement sous le regard médusé de sa femme et son fils.
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