Est de la France - 6h45

Au bout du champ, à la lisière de la forêt de sapins, un chevreuil broute paisiblement, effleuré par les premières lueurs de l'aube. Mac Snyder l'observe à travers la baie vitrée de leur refuge. Ressemblant à une proue de bateau, la façade avant de la maison, faite de bois et de verre, laisse la part belle à la nature environnante. À l’intérieur, une immense pièce surmontée d’une mezzanine. Une cheminée centrale, de lourds meubles de bois massif, des tapis et objets traditionnels nord-amérindiens en font un endroit confortable et chaleureux.

Dans cette ambiance digne d’une log home canadienne, seule la vieille horloge comtoise rappelle aux Tuteurs qu’ils sont en France. La pendule sonne la demie, tirant Mac de sa contemplation. Il se retourne vers ses compagnons. Gil et Martin discutent à voix basse dans un canapé, tandis que Sam explore l’arrière d’un bar, constitué d’un tronc de chêne brut, à la recherche de sucre pour son café

— C’est l’heure, annonce simplement Snyder.

Tous les quatre se rassemblent pour sortir dans le jardin. À quelques dizaines de mètres de la bâtisse, se trouve une cabane en rondins, copie parfaite des habitations de trappeurs du Grand Nord. Rustique extérieurement, elle abrite pourtant un système de communication ultra-performant leur permettant de rester en contact permanent avec Tom Weber et la base.

Ainsi, les Tuteurs ont eu la possiblité de suivre en détail les événements de la veille. Ils savent que les Éléments ont réussi à contrer les menaces. Cependant, les pertes restent considérables. L’attaque virale de Londres a été si fulgurante qu'il aurait été difficile de l'empêcher. Une chance que la seconde vague de contamination ait pu être enrayée. Le Japon, quant à lui, n'a eu à déplorer que des dommages matériels. Le séisme maîtrisé, la vague monstrueuse a perdu de sa superbe bien avant de toucher les rivages nippons. Les combattants sont rentrés, vidés de leur énergie, mais sains et saufs. Seule la blessure infligée à Jonas, reste préoccupante.

Espérons qu'elle ne soit que superficielle et attendons le rapport de Weber.

Encore en proie à la tension de ces dernières heures, Mac et ses compagnons pénètrent dans le chalet. Le rendez-vous programmé avec le Veilleur devrait leur apporter ce qu'ils attendent avec une impatience non dissimulée : une information décisive.

L’ordinateur principal affiche un message en réception. Les documents sont arrivés. Hésitant, Martin Fleming effleure l'écran tactile. Face aux images qui apparaissent, les dirigeants de l'Organisation Elementum restent sans voix.

Nous y voilà ! Après des siècles d'attente...

— Et l’invisible deviendra visible, récite soudain Gil, songeuse.

Mac passe un bras autour des épaules de son amie. Un tremblement presque imperceptible l'anime, gagne Snyder en un instant. Appréhension. Excitation. L’ultime preuve s’étale sous leurs yeux. La prophétie prend corps.

— Incroyable ! s’exclame Sam Baker en rajustant ses lunettes. Regardez, les traces des énergies élémentaires couvrent tout le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le nord de la France.

— Et de l’autre côté, ajoute Martin en montrant une autre photo, elles ont franchi le Japon, les deux Corées, et atteignent la Chine. Cela va au-delà de tout ce que nous avions pu imaginer.

Les images satellites envoyées par Tom Weber sont saisissantes. De vives trainées sinueuses, aux couleurs des Éléments, se déploient dans l'atmosphère.

— Jusqu’à présent, déclare Mac, les signatures énergétiques élémentaires ne subsistaient que très peu de temps. Si peu qu’elles étaient pratiquement invisibles sur les images des satellites. Mais là, je crois que le doute n’est plus possible.

— Nous avons la preuve de la puissance des Douze.

— Je décèle une pointe d'exaltation dans ta voix, cher collègue. L'imperturbable Martin Fleming serait-il en train de s'échauffer ?

— Je ne pense pas que l'heure soit à la légèreté, Mac. L’empreinte des Éléments sera désormais visible en permanence. Ils seront repérables plus facilement et plus rapidement lorsqu’ils seront en dehors de la base.

— Élémentaire, mon cher Watson !

— Tu te ramollis, Mac. Elle est affligeante celle-ci.

— Pas de joute verbale aujourd'hui, messieurs, intervient Gil. Nous entamons une étape cruciale qui nécessite toute notre attention. Une fois que les empreintes de l'énergie destructrice d'Abaddon se combineront à celles des Éléments, elles convergeront toutes vers un même point. Le Gouffre Originel sera alors à notre portée. Nous devrons suivre leur progression en permanence, tenter d'anticiper au maximum la direction qu'elles prendront. Plus vite nous y serons, moins nous courrons le risque que l'ennemi ait suffisamment de puissance pour s'attaquer de front à nos équipes.

Gil Blake ne fait que récapituler ce dont les Tuteurs discutent depuis des années.

Synthétiser, résumer, schématiser... ça, c'est ma Gil quand elle est sous pression ! Sauf qu'il y a de fortes chances pour que nos belles hypothèses et stratégies soient bonnes à jeter. On fonce droit vers l'inconnu.

Mac se détourne de la discussion pour se concentrer à nouveau sur les images satellite. Un infime détail attire son attention sur l'un des clichés de l'Europe. Après avoir zoomé sur cette partie, il interrompt ses collègues :

— Regardez ces sillons sombres au-dessus de l'Angleterre. L'imbrication des énergies semble avoir déjà commencé.

— Ce n’est que le début, confirme Martin. Dans quelques temps, ces traces n’en feront qu’une et nous aurons une vision plus précise de la direction qu’elles prendront. Mes amis, je crois qu’il est temps de révéler l’intégralité de la prophétie.

Snyder jette un regard inquiet à son amie dont les magnifiques yeux verts s'emplissent de larmes. Elle a eu beau se préparer à cet instant, ce sera un véritable crève-cœur. Malheureusement, des forces plus puissantes que tout l’amour qu’elle porte à son fils sont à l’œuvre, faisant passer son rôle de mère au second plan.

Mac tape rapidement un message à l’attention de Tom.

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