Divines providence (3)
Aussi surpris et horrifié qu'il pouvait l'être, Joshua s'était redressé instinctivement et avait dégainé son sabre. Il fixait la jeune femme qui se tournait à présent vers lui, l’observant de son regard émeraude. Mais il n’y avait plus aucune trace de peur, plus aucune larme, juste un froid glacial d'où s'échappait une envie de sang, une envie de meurtre.
– Vous n’êtes que deux ?
– Sale pute je vais te crever, tu vas voir !
Il s’avança sur elle, leva son arme au-dessus de sa tête pour l’abattre sur la meurtrière. D’un pas félin, elle se décala sur le côté et laissa la lame ne rencontrer que la résistance de l’air. Du tranchant de la main, elle frappa la gorge de Joshua, lui coupant la respiration et de son autre main, elle arracha avec une facilité déconcertante la lame qu'il brandissait. L’homme recula en crachant, cherchant à reprendre son souffle entre la douleur et la panique qui s’insinuait à présent en lui. Il se sentait un peu ridicule : se faire désarmer par une donzelle à moitié nue.
– J’ai demandé combien ?
Elle fit tourner le sabre entre ses doigts, observant l'acier tranchant un instant comme si Joshua ne lui inspirait aucune crainte. Soupesant l’arme blanche, elle reporta son attention sur le pilleur. Elle fit un pas vers lui, l'épée fendit l’air rapidement, montrant qu’elle savait parfaitement s’en servir. Cette dernière se figea devant la gorge de Joshua, en guise de coup de semonce.
– Alors, tu as perdu ta langue ?
– Une dizaine. Tu n’as aucune chance de tous nous avoir. Tu ferais mieux de fuir tant que tu le peux encore.
– Peut-être, lui répondit-elle en souriant. Tu sembles en connaître un peu sur mon peuple. As-tu déjà entendu parler des guerriers fauves ?
Joshua secoua la tête pour dire que non mais il mentait. Une fois on le lui en avait parlé : ceux qui traquaient et tuaient les étrangers, les pilleurs de ruines, étaient appelés ainsi. On disait d’eux qu’ils étaient des combattants d’élite, possédant des réflexes surhumains et des aptitudes animales. Il n’avait pas vraiment envie de savoir si cette femme en était une ou si elle bluffait. Il devait juste la tuer, pour venger son compagnon, pour survivre. Il posa ses yeux sur feu Edgar et là, il vit l'artefact à sa ceinture. Une idée venait de germer dans l'esprit du pilleur. Restait à la mettre en pratique. Mais comment ?
– C'est bien la divine providence qui m'a mis sur votre chemin. Vous êtes venu pour nous voler, vous en payerez donc le prix.
Ses mots le sortirent de sa réflexion. Ladite guerrière fauve fit tourner l’arme pour frapper de nouveau mais Joshua plongea au sol tentant ainsi le tout pour le tout. Il se retrouva étalé sur le cadavre encore chaud de son compagnon. L'odeur du sang et de la mort lui donnèrent un haut-le-cœur mais il le supporta. Il fouilla pour attraper l’arme malgré sa panique, malgré le dégoût. La sauvage l’observait en souriant, faisant des arcs de cercles avec le sabre comme si la scène l'amusait.
– Je pensais que tu te débattrais, pas que tu te jetterais au sol, comme une larve. Mais les hommes ont tendance à montrer leur vraie nature avant de mourir.
Il extirpa finalement l’arme du cadavre d'Edgar et la brandit en direction de la tueuse. C’était une sorte de petit fusil fait de bois et d’acier, avec un canon court mais large d’une dizaine de centimètres. La jeune femme observa l’arme, interloquée alors que Joshua pressa la détente.
Une puissante flamme sortit du canon, éclairant entièrement la clairière pendant un instant. Le coup de feu résonna sûrement dans toute la jungle, ce fut si fort que les oreilles de Joshua sifflaient et qu’il n’entendait plus rien. Le projectile avait arraché une partie d’un tronc à cinq mètres de là, le bois avait pris feu et l’arbre s’écroula sous son propre poids dans un craquement sinistre qui fit s’envoler plusieurs oiseaux, ajoutant encore du bruit dans la jungle qui jusque-là, avait paru si paisible.
La brune à moitié nue se releva lentement, observant avec de grands yeux Joshua et son arme. Elle avait eu le réflexe et l’instinct de plonger juste avant qu’il ne presse la détente, même si elle n’avait jamais rien vu de tel, quelque chose en elle avait senti le danger. Elle vacilla un instant, ses tympans douloureux la déséquilibrant. Elle abattit son sabre pour trancher le bras de Joshua qui hurla de douleur, s’assurant ainsi qu’il n’utiliserait pas de nouveau cette arme maléfique. Le sang gicla sur le sol, souillant les herbes qui s’y trouvaient. Elle pointa l’arme sur l’homme au sol, se tordant de douleur.
– Impressionnant, je dois bien l’admettre.
D’un geste précis, elle lui trancha la gorge et il cessa de se débattre pour agoniser et mourir en émettant des gargouillis incompréhensibles, se noyant dans son propre sang. Seul le bruit du feu de camp et de l’arbre tombé subsista dans la jungle.
La guerrière fauve enfonça l’arme dans le sol, ramassa sa veste qu’elle secoua avant de la remettre sur ses épaules. Elle fit rouler le corps de Joshua un peu plus loin que celui d'Edgar et extirpa le couteau du second corps. Elle prit alors le temps de faire deux entailles à côté de l’endroit où le poignard s’était enfoncé dans la chair d'Edgar, essayant de reproduire une plaie comme celle laissée par les griffes d’un animal. Elle en fit autant avec la gorge de Joshua puis mit le couteau à sa ceinture : un trophée qu’elle garderait.
Elle ramassa ensuite les restes du lapin, mettant un os à sa bouche comme si toute cette violence était normale, comme si tuer lui avait ouvert l'appétit. Elle s’éloignait déjà du campement pour récupérer son propre katana qu’elle avait caché dans des hautes fougères. S’adossant à un arbre pendant qu’elle fixait son arme à sa hanche, elle sortit ensuite une pipe de sa poche qu’elle alluma avec les flammes qui dansaient sur le tronc d’arbre, tirant une longue bouffée qu'elle expira lentement en direction du ciel dans un râle de satisfaction.
– Cornu, dieu de la chasse. Je t’offre l’âme de ces deux égarés venus souiller nos terres. Accepte l’offrande de ton humble guerrière pour te remercier de cette chasse et pour ta protection.
La jeune femme s’installa un peu plus loin, sur une souche couverte de mousse. Elle pencha la tête sur le côté pour regarder des plantes qui brillaient d’une lueur bleue. De fines tiges d’une trentaine de centimètres retombaient pour terminer en une petite cloche de pétales phosphorescents. Les flammes perdaient en intensité au fil des minutes qui s’écoulaient. Laissant place à une multitude de petites lumières qui s’illuminaient ici et là. Tels des yeux d’animaux, tapis dans l’ombre qui observaient la sauvageonne. Elle ne semblait pas pour autant dérangée ou effrayée. Bien au contraire, elle appréciait cette ambiance qui donnait un aspect magique, presque féérique à cette jungle.
La nuit, si on prenait le temps, il était possible de voir des endroits d’une beauté à couper le souffle et elle le savait. La guerrière souffla la fumée verdâtre par ses narines. Elle aimait sa pipe et ses herbes qui avaient un effet apaisant après une bataille ou une chasse. Les plantes utilisées étaient séchées puis broyées pour être finalement mélangées à une autre substance qui pouvait provoquer de légers vertiges quand on n’y était pas habitué. Mais Noa y était accoutumée depuis des années. Elle posa son regard émeraude sur de longues lianes qui pendaient des branches, les suivant des yeux. Dans les feuillages, elle aperçut des animaux qui sautaient d’un perchoir à un autre. La vie ne semblait pas avoir été si dérangée que ça par une explosion et un départ d’incendie. Noa en était soulagée, elle aimait la nature et cette félicité qu’elle y éprouvait en arpentant la jungle.
Elle prit une longue inspiration, sentant les différents parfums que la flore lui offrait. Une odeur d’écorce et de terre humide, ainsi que celle des différentes fleurs luminescentes présentes dans les environs. Mais la fumée des feux de bois venait contrarier ses narines. Elle s’intéressa enfin aux rochers où elle repéra un passage. Nul doute pour la guerrière que le reste du groupe y était. La sauvageonne devrait patienter. S’assurer que ses deux victimes étaient bien seules ou non.
D’expérience, elle savait que les continentaux ne venaient jamais à deux. Ils débarquaient sur la côte en groupe d’une dizaine de têtes pour profaner les terres sacrées de son peuple. Noa se leva alors pour s’étirer, elle tapota sa pipe sur le bois pour en faire tomber les cendres. Elle devait trouver une cachette pour patienter, se doutant qu’elle était ici pour un long moment…
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