Prologue
Être isolé du monde par nécessité ou contrainte, impose des sentiments étranges voire contradictoires : est-ce la fin d’une époque ou la naissance d’une ère nouvelle ? Installé sur une chaise métallique, un homme d'une vingtaine d'années, le visage émacié, tenait une fine plaque transparente où s'affichait du texte et des images. Des rapports sur la surface, sur le climat ou encore sur la maintenance des lieux. Il soupira d'agacement lors de sa lecture certes c'était une mine incroyable de connaissances mais les lires plusieurs fois pour s'occuper n'avait plus rien de passionnant. Cela faisait des heures qu'il lisait inlassablement, découvrant des choses sur le monde qui l'entourait. Les températures de la région n'avaient fait que chuter lors du dernier siècle, semblaient se stabiliser depuis dix ans. Influençant la migration des animaux plus au nord, dans les glaciers : des créatures immenses, vivant en groupe d'une dizaine de spécimens. Un fichier présentait l'énergie du bâtiment où il se trouvait qui s'amenuisait, ne laissant que les installations de survie fonctionner par souci d'économie. Le lecteur bailla et se redressa sur son assise. Il avait les cheveux blonds qui lui arrivaient au milieu du dos, ses vêtements n'étaient pas de première jeunesse, son débardeur était usé et sale tout comme son pantalon trop large pour sa carrure. Son regard bleu injecté de sang se posa de nouveau sur la tablette, toujours désireux d'en apprendre davantage. D'un geste nonchalant, il passa ses doigts dans son petit bouc, jouant à torsader les poils.
Ses yeux le démangèrent à force de fixer la lueur de l'objet, il cessa donc de regarder l'artefact qu'il posa à côté de lui. Le reste de la pièce était dans la pénombre, cela lui demanda un peu de temps pour que sa vision s'habitue. Au centre trônait une table métallique, dépourvue de toute décoration ou fantaisie : des pieds ronds, une surface lisse faite en inox, avec de la nourriture et des documents abandonnés dessus. Au plafond, une lumière artificielle ambrée illuminait faiblement les lieux qui rappelaient avec nostalgie au jeune homme, sa ville natale. Ces deux endroits avaient un autre point commun : ils étaient sous terre, à l'abri des intempéries et des créatures sauvages.
Le regard de Zenia pesait sur lui, il le sentait. Elle ne le quittait pas des yeux, assise dans un coin, à côté de plusieurs écrans allumés, épiant le moindre de ses faits et gestes. Zenia était une femme qui devait approcher la trentaine même s'il était difficile de lui donner un âge exact. Sa peau blanche, presque translucide, contrastait avec ses cheveux ébène où même la lumière n'osait se refléter. Ils étaient lisses et cascadaient de chaque côté de son visage, comme des rideaux, pour tomber jusqu'à ses hanches quand elle se tenait debout. Elle avait les traits fins, un visage harmonieux malgré une cicatrice sur sa joue droite allant jusque dans son cou. Peut-être une tache de naissance ou une marque de brûlure, il n'avait pas osé la questionner sur le sujet. Aucune émotion ne se dégageait de ses yeux argentés. Ses fines lèvres bleutées se fendirent en un sourire forcé laissant voir quelques-unes de ses dents dont certaines qui se chevauchaient. Le jeune homme ne savait presque rien sur elle, à part qu’il lui devait la vie.
D'un pas claudiquant, il se dirigea vers elle ; sa cheville blessée lui faisait toujours mal et il songea qu'une canne pourrait se révéler utile. La femme hocha la tête en direction des écrans :
– Tu veux voir le reste du monde ? De cet abri souterrain, on peut se relier à différents endroits. Tu n'as jamais vu d'arbres et encore moins de jungle, je suppose ?
La voix de Zenia était similaire à un murmure, à peine audible mais une certaine force en émanait. Mais c'était surtout cette façon de parler qui intriguait le plus le jeune homme, ce ton monotone, dépourvu de sentiment, de la moindre intonation. Joignant le geste à la parole, elle désigna de la main un écran où l'on pouvait voir une clairière entourée d'arbres. Sur celui à coté, on apercevait l'entrée d'une grotte enneigée. Sur un autre, une plaine aride avec quelques plantes desséchées et ce qui semblait être un véhicule couvert de rouille. Sur le premier, les hautes herbes étaient bien vertes, on pouvait également voir de grands arbres et des individus qui préparaient un campement. Le survivant contempla la scène, étonné de voir autre chose que des grottes ou de la neige.
– Ça s’est déroulé, il y a quelques jours. C'est bien loin dans le sud. Je me suis dit que ça t'intéresserait.
Elle tira doucement une chaise pour l'inviter à s'assoir à ses côtés. Ses mouvements semblaient lents, presque calculés pour éviter tout geste inutile. Régulièrement, il l'observait marcher : c'était comme si elle glissait sur le sol d'une démarche aérienne ressemblant presque à une danse. Elle portait une longue et ample robe noire, dissimulant sa petite poitrine. Peu habitué à fréquenter les femmes, il se surprenait parfois à la trouver si belle, si... intimidante. Zenia remarqua qu'il avait les yeux sur elle.
– Un souci ?
Il s'empourpra et détourna les yeux vers l'écran sans piper mot, ne sachant pas quoi lui répondre. Elle piquait sa curiosité plus qu'elle ne l'attirait, ce qui était tout aussi difficile à avouer. Son attention eut du mal à se porter sur la vidéo, il sentait l'odeur de la jeune femme : un mélange de terre et de sang. C'était aussi perturbant que les regards interrogateurs qu'elle posait sur lui ou sa façon frissonnante de parler. Des détails qui ne le mettaient pas totalement en confiance.
Soudain un claquement résonna dans la pièce, quelque chose frappant contre une surface en acier. Un second coup retentit, suivi d'un autre. L'invalide tourna la tête, se doutant de l'origine du bruit. Il angoissait à l'idée que "ça" puisse réussir à passer la porte. Comme pour répondre à ses doutes, Zenia se leva pour se retrouver à la table en un instant. Le jeune homme qui ne s'était pas encore assit, l'observa en silence. Il paraissait bien plus grand qu'elle alors qu'il était de taille moyenne, il se demandait comment avec son petit gabarit, elle avait réussi à le trainer ici, en sécurité. Avait-elle raison d'ouvrir et de prendre le risque de laisser entrer ce qu'il y avait de l'autre côté ? Au bruit, il estimait la présence d'une seule créature, ce n'était donc pas bien grave. Mais il savait qu'elle pourrait aussi bien se lasser qu'attirer tout un autre groupe, ce qui là, deviendrait problématique. Il ne prononça pas un mot et fit confiance à Zenia. Elle attrapa un couteau et se dirigea vers le bruit. Une grande porte en acier avec une poignée circulaire séparait la chose bruyante de la petite dame. Elle se figea devant, de sa main libre, elle fit tourner le volant, on put entendre le mécanisme se déverrouiller. Avant que l'ouverture ne se fasse, Zenia fit un pas de côté pendant que son compagnon observait, une boule au creux de son estomac.
Une main décharnée agrippa l'embrasure, la peau était comme brûlée, on pouvait voir les tendons et même les os par endroit. L'instant suivant, un crâne fit son entrée, dépourvu de cheveux, l'épiderme entaillé et boursoufflé. La créature se jeta sur Zenia qui se contenta d'enfoncer d'un geste vif le poignard dans l'un des yeux laiteux de son assaillant. Celui-ci se débattit un instant puis son corps cessa de bouger pour finalement s'écrouler dans un bruit sourd : mort. Le jeune homme était à chaque fois surpris de voir sa compagne agir avec un tel sang-froid : tuer des goules si calmement. Il l'observa tirer le cadavre à l'extérieur avant de refermer l'écoutille en se demandant depuis combien de temps elle pouvait vivre ici pour être si accoutumée à ce genre de visite. Et cette odeur ! Il en avait déjà approché et affronté, mais il ne parvenait pas à s'y faire alors que Zenia ne montrait aucun dégoût.
Comme si rien n'était venu les déranger, elle revint s'installer à côté de son compagnon. Lui faisant de nouveau un de ses sourires dont elle avait le secret et qu'il ne savait pas comment interpréter.
– Elles sont agitées en ce moment, tu ne trouves pas ?
Il acquiesça et finit par se focaliser sur l'appareil, préférant éviter toute discussion avec elle pour le moment. Il avait pourtant déjà vu des machines, des appareils pour ventiler, produire du chauffage et l'éclairage dans la cité d'où il venait. Mais ici, il y avait tellement d'installations en état de fonctionnement, c'était une mine de prodiges et de connaissances, une véritable zone d'émerveillement pour lui. Tout comme Zenia l'était aussi à ses yeux...
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