Désastre lunaire (3)
Il y a trois siècles de ça, le monde était prospère et la société vivait dans le confort et le luxe. La technologie faisait le plus gros du travail et la science était à son apogée, à tel point que les maladies et la souffrance n’existaient presque plus. La nature était florissante, la pollution était minime, presque inexistante. Tout était filtré, nettoyé et recyclé. C’est en tout cas ce que les dirigeants voulaient faire croire. Sans problème de santé pour se tracasser et de travail pour s’occuper, la population se défoulait dans d’autres activités. Le sport, l’art, la littérature ou encore le cinéma : un moyen de raconter des histoires à travers des images, les gens se divertissaient avec ça. Mais aussi avec des jeux qui pouvaient être virtuels ou réels et basiques. Une chose faisait surtout fureur, les combats de gladiateurs. Oui, un divertissement barbare qui perdurait depuis des centaines d’années. Une tradition bien archaïque dans un monde si développé : des hommes qui s’affrontaient comme des bêtes, devant une foule qui réclamait toujours plus de violence et de sang. L’idée te semble irréelle ou horrible ? Alors que penseras-tu quand je te dirai que l’être humain n’était qu’un esclave à cette période ? Car l’Homme n’était pas la forme de vie la plus évoluée sur le globe…
Sven était suspendu aux lèvres de Zenia, il buvait ses paroles. Sa dernière déclaration le stupéfia. Les dieux existaient donc bien ? Enfin, si les hommes étaient des esclaves ou des gladiateurs, leurs maîtres étaient plus des démons que des êtres divins. Reste que la façon dont Zenia racontait, l’impressionnait. Elle ne racontait pas comme quelqu’un qui avait appris une histoire par cœur, elle y mettait l’intonation et semblait savoir de quoi elle parlait. Ce qui rendait les explications encore plus passionnantes pour le jeune homme.
L’espèce qui dominait le monde de son intelligence, était connue dans leur langue sous le nom de : Krolt. Imagine, des êtres filiformes d’une taille impressionnante. Les plus petits spécimens mesuraient trois mètres, les plus grands atteignaient les cinq. Leurs mentons étaient allongés en une mâchoire pointue. Au-dessus se tenait un petit nez presque inexistant. Leurs yeux étaient grands et entièrement colorés, du gris foncé au jaune doré en passant par de nombreuses teintes selon l’individu. Comme pour les humains, la couleur des Krolts pouvait varier, certains avaient le teint jaune clair presque blanc, d’autres étaient bleus avec des nuances de vert ou encore rouges avec les veines foncées, presque noires. Leurs bras étaient longs et fins, ils se terminaient en doigts pointus ou griffus au nombre de quatre. Comme nous, ils avaient des cheveux et des barbes. Les femelles ou leurs femmes si tu préfères, possédaient plus de formes. En même temps, les mâles n’en avaient pas du tout. Plus une Krolt était ronde et plus c’était un signe de beauté pour eux. Mais passons. C’était un peuple pacifique qui utilisait son intelligence pour simplifier sa vie tout en respectant celle des autres espèces. À l’exception des hommes.
Bien avant la Grande Catastrophe, les deux peuples s’étaient affrontés. L’humanité qui était bien plus rudimentaire, fut rapidement matée par les machines des Krolts. Dès lors, cette espèce plutôt pacifique, se trouva un goût pour la violence ou alors était-ce juste pour canaliser les instincts humains ? Ils firent des hommes leurs esclaves, effectuant le travail laborieux que les robots ne pouvaient pas faire ou les forçant à se battre pour les divertir. Aussi surprenant que cela puisse paraître, beaucoup de combattants étaient fiers d’être ce qu’ils étaient : des héros dans l’arène. Il y en avait bien quelques-uns pour se plaindre et vouloir se rebeller, mais la plupart étaient satisfaits de ce qu’ils avaient. D’autres étaient assignés à des tâches moins ingrates comme devenir domestique, cuisinier, s’occuper du bien-être de leurs maîtres en somme. Tout allait pour le mieux… jusqu’à la Grande Catastrophe.
Pour accompagner ses paroles, Zenia pianotait sur le clavier afin de faire défiler des images sur les écrans. Sven put y voir des Krolts ainsi que plusieurs arènes. Tout ça lui semblait impossible et pourtant, il en avait la preuve devant les yeux.
Comme je le disais : la pollution était presque inexistante. En réalité, les nombreuses installations, les usines de fabrication alimentaire ou d’énergie, produisaient des quantités inimaginables de déchets. Tous étaient toxiques et dangereux. De plus, les Krolts qui avaient réduit le nombre des maladies en enrayant les virus et les bactéries, se retrouvaient avec un système immunitaire très faible. Il était donc évident pour eux de ne pas produire de pollution ou alors, de s‘en débarrasser coûte que coûte. Une partie infime des détritus pouvait être recyclée, le reste était envoyé sur l’île Dyr’Tycol pour y être traité. En Krolt, le nom de cet archipel voulait dire : la terre d’échange ou l’échange de la terre. Il y avait là-bas de nombreux sites chargés de récupérer les excréments de la technologie. Ceux-ci étaient mélangés, broyés puis compactés avant d’être envoyés à l’usine principale. Pour y faire quoi ? Y être stocké ou enterré ? Non, tout était amassé dans une immense tour qui une fois par mois, s’allumait grâce à la combustion des déchets. La pollution ainsi transformée en gaz, était projetée par le bâtiment tel un puissant canon pour finir dans l’espace.
Zenia montrait une terre rocailleuse où aucune plante ne poussait. Tout y était terne, désolé et sans le moindre signe de vie. Mais on y voyait des reliques de cette ancienne civilisation, d’immenses tours d’acier qui se dressaient encore vers le ciel. Elles semblaient comme couvertes de glace mais Sven déduisit qu’il s’agissait de Radz. Il comprenait aussi pourquoi il n’y avait pas trace de vie, le niveau de radiation devait encore être très élevé.
Si l’envoi était réglé à une date bien précise, ce n’était pas non plus pour rien : tout terminait sur la Lune, il était donc important d’effectuer le lancement au bon moment. Le satellite naturel de notre monde avait donc été réduit à l’état d’immense dépotoir depuis des années. Mais un jour, lors d’un transfert vers la poubelle de l’espace. Tout ne se passa pas comme prévu. Sabotage par des écolos qui refusaient que les Krolts poursuivent sur cette voie ? Dysfonctionnement de la tour-canon ? Ou peut-être que c’était simplement trop pour l’astre lunaire ? Nul ne saurait le dire. La seule chose dont je sois sûre, c’est qu’elle explosa quand l’énergie l’atteignit et ses débris s’écrasèrent sur notre planète. Le résultat fut similaire à de nombreuses explosions à travers le monde. Durant les six mois qui suivirent, le ciel fut totalement assombri. La pollution accumulée sur la lune depuis des siècles, contamina la vie pour la détruire ou la faire muter. Les Krolts ne purent survivre aux radiations et au changement radical du climat. Ils périrent rapidement dans d’atroces souffrances. Alors que les hommes, souvent sous terre pour extraire de l’iridium, eurent ainsi une chance de survivre. Beaucoup furent touchés par les radiations pour devenir des goules ou mourir. La nature mit plus d’une centaine d’années à s’en remettre après le retour du soleil dans le ciel. Et depuis, les hommes tentent de survivre, pensant récupérer la connaissance qu’ils ont perdu, grâce à la technomagie comme vous dites. Et son égo lui fait imaginer qu’il est à l’origine de cette science, de ce savoir. Alors que je ne suis pas sûre qu’on puisse réellement comprendre les Krolts qui étaient bien plus intelligents que nous.
Sven resta bouche-bée. Son cerveau était dans un tel état de réflexion qu’il pensa un instant à sentir de la fumée sortir de son nez ou ses oreilles. Est-ce que c’était vrai ? Pourquoi Zenia lui mentirait ? Les Krolts étaient si avancés que ça ? Ils ne pourraient jamais les comprendre et utiliser correctement la technomagie ? Pourquoi ne pas avoir envoyé les déchets dans l’espace plutôt que sur la lune ? En guise de réponse, la femme lui tendit une fine plaque transparente. Dessus s’affichait des textes ainsi que des images.
– Tu pourras y lire en détails ce que je viens de te raconter. Je comprends que ce soit difficile à croire ou encore à imaginer. Mais c’est pourtant la vérité.
– Tu as mis du temps avant d’y croire ?
Elle ne répondit pas tout de suite et se leva. Elle s’étira lentement et bailla en plaçant sa main devant ses lèvres. Ses yeux brillaient de larmes, Sven comprit qu’elle devait être fatiguée. Peut-être qu’elle l’avait veillé durant tout le temps où il était inconscient ? Mais il avait encore tellement de questions à lui poser ! Elle tourna alors les talons pour partir.
– Non. Mais ça sera encore plus compliqué pour toi d’y croire.
– Dis toujours, au point où j’en suis, rétorqua-t-il.
– Je n’ai pas à y croire. J’y étais.
– Comment… C’est impossible ! hurla-t-il. Comment aurais-tu pu y être ?
– J’y étais. Enfin, j’étais ici quand la lune s’est abattue sur le monde. J’ai senti le bâtiment trembler puis s’effondrer.
– C’est impossible, répéta Sven.
– Pourquoi aurai-je dis qu’on avait condamné l’accès aux niveaux supérieurs ? rétorqua-t-elle. Faire ça il y a six mois ou un an, aurait-été dépourvu de logique. On l’a fait quand tout a été ravagé. On s’est isolé en pensant qu’on viendrait nous sauver. Mais… personne n’est jamais venu. Mes compagnons sont morts de faim ou sont devenus des goules. Me laissant seule ici, dit-elle avec nostalgie.
– Et comment as-tu fais pour vivre… Trois cents ans ? Elle est où la logique pour ça ?
– Les radiations ne transforment pas toujours en goule. Des gens mutent, obtiennent des capacités particulières, expliqua Zenia.
– De là à être immortelle ? dit Sven, sceptique.
– Il faut croire. Regarde.
Elle leva son bras gauche pour montrer le bandage qui cachait la blessure que Sven lui avait infligée. Zenia défit le pansement avec lenteur. Sven ouvrait ses yeux de plus en plus grands à chaque fois que le tissu se dérobait pour montrer la peau de sa compagne. Il ne restait qu’une petite trace, similaire à une brûlure où le tournevis avait traversé son membre. Soit il était resté inconscient longtemps, soit elle cicatrisait incroyablement vite.
– Grâce aux écrans, j’ai vu d’autres créatures nées des radiations. Les goules ont le cerveau aussi grillé que l’épiderme, elles ne cherchent qu’à se nourrir. Mais elles sont résistantes et vivent incroyablement longtemps. D’autres, semblent plus humaines, capables d’absorber les radiations, comme moi, pour survivre. J’en ai vu, des monstres, avec des capacités surhumaines. J’en suis un : tant que je suis exposée à des radiations, mon corps se maintient et il se régénère. Vous parlez d’Amplifiés lorsqu’un humain mute et obtient des dons, mais il y a un niveau encore au-dessus de ces mutations. Et j’ai baptisé ceux de mon espèce, des Écorchés.
Annotations