Des voyages difficiles (2)
L’écoutille supérieur du submersible s’ouvrit en grinçant et Sven sortit sa tête à l’air libre pour prendre une longue inspiration. Zenia lui avait parlé de trente minutes alors que cela avait pris un peu plus d’une heure. Celle-ci aidait justement son compagnon à se hisser à l’échelle pour qu’il grimpe vers l’extérieur. Avec sa fièvre et ses membres tremblants ce fut une tâche plus ardue que prévu mais après plusieurs secondes, Sven se tenait debout sur la coque du navire, il observa les alentours avec intérêt. L'océan s’étendait à perte de vue, il en était même difficile de faire la distinction d’où s’arrêtait l’eau et où commençait le ciel. Ce dernier était sans nuage et d’un bleu immaculé. Il faisait également une douce châleur à laquelle le jeune homme n’était pas habitué. Il lança un regard ravit à Zenia et s’apprêtait à lui proposer de sortir aussi quand ce qu’il vit lui fit froid dans le dos.
La peau de sa compagne ainsi exposée au soleil était comme translucide. Il arrivait à voir les multitudes de veines et pouvait presque deviner les muscles sous l’épiderme de son visage. C’était comme si Zenia avait la chair du visage à vif. La lueur du soleil se reflétait dans ses yeux qui semblaient être aveuglés par tant de lumière. Ses iris gris argentés avaient presque disparus. Elle esquissa un sourire avant de redescendre l’échelle pour gagner l’obscurité du sous-marin. Sven en avait oublié qu’elle était différente, qu’elle était une Écorchée qui ne pouvait vivre sans radiations. Jusqu’à présent, il l’avait toujours trouvé belle et élégante, un peu mystérieuse peut-être même dangereuse mais là, pendant un instant, il l’avait comparé à une goule… à une créature monstrueuse. Il se sentit un peu coupable et resta plusieurs longues secondes à regarder l’écoutille ouverte à se demander ce qu’elle pouvait ressentir.
– Tout va bien ? demanda-t-il timidement et un peu mal à l’aise.
– Oui oui. Tu peux rester ici ou aller voir cette petite île mais ne perds pas trop de temps. Dés que tu sens que ça va mieux, on repart, d’accord ?
Toujours si peu d’intonation dans sa voix, Zenia était égale à elle-même et ne laissait rien paraître ce qui était tout aussi troublant pour le jeune homme.
Avec encore cette vision aussi étrange qu’horrible en tête, Sven observa cette fois en direction de l’île. Il hésitait encore à y aller, ne voyant pas trop l’utilité. Avoir vu Zenia sous la lumière du jour avec douché son enthousiasme qui revint cependant très vite face au spectacle qu’il contempla. Une grande étendue de sable fin presque aussi clair que la neige, il pensa même durant un instant que c’en était. Il s’intéressa ensuite aux arbres, il n’en avait jamais vu non plus, ceux-ci étaient incroyablement grands avec de longues branches à leurs sommets qui retombaient vers le sol. Le seul bois qu’il connaissait jusqu’à présent c’étaient les racines de poudreuse qui n’avaient pas d’écorce et étaient blanches nervurées de bleu mais ceux qu’il observait étaient tellement différents, beaucoup plus colorés. Et il y avait également une sorte de tapis verdoyant un peu après le sable clair.
Décidé cette fois à aller jeter un œil, Sven descendit précautionneusement du sous-marin jusqu’à atteindre une échelle qui lui permettrait de plonger dans l’océan. Le reste du chemin se ferait à la nage. Il prit une longue inspiration pour s’assurer que ses vertiges étaient passés. Il avait encore un peu de fièvre mais celle-ci s’estompait. Quant à sa jambe, elle lui faisait encore mal mais il arriverait à nager sans trop de problème. Enjoué à l’idée de découvrir un nouveau monde, Sven bondit pour plonger directement sans prendre la peine d’utiliser l’échelle. L’eau était agréablement chaude et légèrement trouble car il arrivait à y voir quelque chose. D’un battement de bras, il remonta à la surface pour reprendre sa respiration avant d’entreprendre de nager tranquillement jusqu’à la plage.
Durant sa traversée, il songea que c’était l’occasion de trouver de la nourriture qu’il pourrait ensuite cuisiner. Faire un repas avec des aliments frais serait un changement important pour Zenia et lui-même commençait à se lasser des rations. Il avança sur le sable, s’enfonçant à chaque pas. Ses vêtements lui collaient à la peau et il jugea bon de retirer sa veste pour rester en débardeur. Il pensa à faire de même avec ses chaussures mais se ravisa, celles-ci s’avéreraient utiles une fois hors du sable et il ignorait si la végétation qu’il apercevait était piquante ou toxique. Le jeune homme se figea devant les hautes herbes qu’il fixa avec intérêt. Il en avait déjà entendu parler mais ça aussi c’était la première fois qu’il en voyait. Des bruits provenant de la canopée le firent sursauter puis il vit plusieurs oiseaux s’envoler, sûrement avaient-ils eu peur de lui. Sven soupira de soulagement en regardant autour de lui : l’océan, le sable fin, les palmiers ainsi que les roches étaient si… beaux ! L’endroit semblait paradisiaque et tellement plus agréable que tout ce qu’il avait connu jusque-là ! Il se laissa tomber dans le sable, les bras écartés et se contenta de profiter de l’instant, les yeux rivés vers le ciel.
Plusieurs minutes s’étaient déjà écoulés depuis le départ de Sven. Zenia était retournée voir l’itinéraire du voyage pour vérifier le temps que cela prendrait. Elle s’arrêta devant l’écran et se sentit frustrée : durant des années, elle avait observé plein de choses un peu partout dans le monde et c’était fini. Pour la première fois depuis des siècles, elle ignorait ce qu’il se passait sur le reste de la planète. Elle tritura nerveusement entre son index et son pouce une mèche de cheveux tout en se concentrant sur la carte qu’elle avait sous les yeux. En prenant en compte une escale tous les deux ou trois jours pour éviter que Sven ne tombe malade, ils en avaient pour un peu plus d’une semaine. Arriveraient-ils à temps ? D’un geste vif sans signe avant-coureur, elle frappa une bouteille d’eau qui traversa le cockpit pour rebondir sur le sol avant de finir au pied de la porte. Elle détestait cette impression d’être impuissante et surtout de n’avoir aucun contrôle sur la situation. Elle tourna machinalement la tête pour voir ce que faisait son compagnon avant de se rappeler que non, il n’y avait pas non plus de caméras permettant de voir à l’extérieur du submersible. Ce voyage promettait d’être agaçant…
À l’extérieur, Sven s’était relevé et avait ramassé des cailloux. Il tentait vainement de les lancer au sommet d’un arbre pour y faire tomber ce qui devait être un fruit, c’était rond et marron. Après plusieurs tentatives, l’objet de sa convoitise finit enfin par tomber. Heureux d’avoir réussi, il s’empressa de ramasser le fruit qui faisait son poids et semblait également couvert d’écorce. Il fracassa l’énorme noix sur un rocher et du liquide blanc s’en échappa. Curieux et se rendant compte que c’était téméraire, Sven tenta tout de même de goutter et ce n’était pas mauvais ! Il gratta une sorte de pâte blanche qui collait à la coquille et l’avala pour se rendre compte que c’était délicieux. Après ce petit encas, il s’assura d’avoir son couteau et se décida enfin à explorer le reste de l’île en espérant que sa compagne ne lui en voudrait pas trop de vouloir assouvir sa curiosité.
De son côté, Noa avait mal dormi. Réfléchissant à sa discussion avec Liam, elle envisageait différentes stratégies pour s’échapper. La première qui lui était venue, sûrement la plus téméraire, consistait à approcher suffisamment Keiko pour l’attraper contre les barreaux afin de la prendre en otage. Mais serait-ce suffisant ? Wanlia la laisserait mourir sans état d’âmes et cette technique même si elle fonctionnait, ruinerait tout discrétion futile. Venait ensuite l’idée de gagner la confiance de la pilote en espérant que celle-ci les aide ensuite à s’échapper. Malheureusement Noa ignorait tout de ce qu’attendait Keiko d’elle. Assise sur sa paillasse, la chasseuse soupira sous le regard interrogateur de Liam.
– Je demanderai à Keiko de faire soigner ton compagnon en échange, j’accepterai de faire tout ce qu’elle veut… S’il meurt et qu’on m’oblige à subir des choses horribles : je jure de te tuer de mes propres mains. Est-ce clair ?
Liam afficha un large sourire avant de saisir les barreaux pour se rapprocher de la sauvageonne, nul doute que s’il en avait eu la possibilité, il l’aurait prise dans ses bras.
– Merci ! Une fois sur pieds, tu verras qu’il se montrera aussi reconnaissant qu’utile !
– Je l’ai vu se battre, oui. Il se défend, surtout son arme… elle est intéressante pour un objet interdit, avoua-t-elle entre ses dents. Reste à attendre la venue de cette gamine et je tenterai des négociations.
Noa fixa machinalement sa main qui tremblait légèrement. Elle commençait à ressentir les effets de manque sans sa pipe à proximité. Dans quelques jours, elle serait prise de spasmes plus violents, rien que l’envisager lui donnait déjà la nausée. Dire qu’elle comptait négocier au départ pour récupérer son tabac, voilà qu’elle allait se sacrifier pour un inconnu qui n’était même pas sûr de survivre, quelle ironie !
Annotations