7. Chamboulement.

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Je terminais la lecture de la lettre de Saskia, et, pour la première fois depuis des années, je ne savais plus quoi penser.
Au bout de dix interminables années passées dans ma cellule de la taille d'une place de parking, j'avais réussi à stopper le flux continuel de mes pensées.
Quand on est enfermé vingt-trois heures sur vingt-quatre dans un espace tellement exigu, séparé de toute autre vie humaine, les questionnements sans réponses peuvent vite faire perdre la raison.

Parvenir à canaliser les pensées parasites est primordial à la survie de l'esprit.
Jusque-là, j'avais réussi à maîtriser ce paramètre, me réfugiant dans l'écriture, le sommeil ou, quand celui-ci ne voulait pas venir, les exercices physiques, jusqu'à l'épuisement.
Mais soudain, en l'espace de quelques mots, mon équilibre mental, déjà plus que fragile, avait été remis en question.
Une seule et unique phrase.
Qui chamboulait tout.
Mitsy veut te voir...

Elle avait pris contact avec Saskia via Facebook. Mon amie gérait une page de soutien où les gens pouvaient poser leurs questions, suggérer des pistes pour tenter d'obtenir une révision de procès ou encore faire des dons qui serviraient à payer mon avocat, ou à me permette de "cantiner", afin d'alléger mon quotidien.

Mitsy avait envoyé un message à Saskia, elle lui parlait de ce qu'elle était devenue, de ses regrets de ne pas avoir accepté de témoigner du viol qu'elle avait subi.

Elle voulait me rendre visite, mais pour cela, je devais la faire enregistrer sur ma liste de personnes autorisées.

Il y restait de la place, ma maigre liste actuelle ne contenant que Saskia, mon avocat, ma mère et une bonne soeur d'une paroisse voisine de la prison.
Mais étais-je prêt à voir Mitsy ? À la revoir après toutes ces années ?
À affronter en face la fille que mes supporters voyaient comme la cause de ma vie gâchée ? En avais-je seulement l'envie ?
Elle avait sans aucun doute refait sa vie, étais-je prêt à l'entendre ? À la voir rayonnante me parler de son mari ? De ses enfants ?
Moi dont la vie avait pris fin un soir d'été... Pour elle.

Et quelle était la raison de cette envie subite de me voir ? Revenir sur son témoignage ? Je ne savais même pas s'il pourrait encore changer la donne à l 'heure actuelle.
Si celui-ci pouvait m'obtenir une révision de procès ? Combien de temps les résultats d'un kit de viol restaient-ils exploitables ?
Ce dont j'étais certain, par contre, c'était que je n'aurais pas la force de survivre ici avec le moindre espoir.
On dit toujours que l'espoir fait vivre...
C'était archi faux dans mon cas. L'espoir m'aurait tué à petit feu, bien plus que les 4 murs de béton qui m'empêchaient de vivre.
L'espoir de sortir d'ici, de respirer de l'air frais, de revoir le ciel bleu en ayant pour horizon bien plus que la minuscule fente qui me servait de fenêtre depuis une décennie.
L'espoir de pouvoir à nouveau voir ma mère, la serrer dans mes bras sans être arreté par une vitre pare-balle, d'entendre sa voix sans qu'elle soit filtrée par le combiné de téléphone que nous devions utiliser pour pouvoir communiquer lors de nos visites mensuelles.
Je savais que l'espoir me rendrait fou.
Bien plus que le fait de survivre en attendant une lettre de la justice qui m'apprendrait ma date d'exécution...


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