13. Maman.
Je me réveillais avec une douleur fulgurante à la nuque. En ouvrant les yeux, je me rendis compte que j'avais fini par m'endormir à moitié allongé sur le sol, la tête appuyée sur mes toilettes en métal. Ma main droite était en charpie, j'avais voulu me battre contre le mur et il avait gagné. Il me fallut quelques minutes pour revenir à la réalité : ma mère était morte.
MacManaman était le gardien en service ce matin-là. En arrivant à la cellule, il se pencha à la petite lucarne et me demanda comment je me sentais.
Mal, bien entendu, perdu, seul, abandonné, malheureux comme les pierres. Les mots pour décrire le vide béant que je sentais à l'endroit où était censé se trouver mon coeur, étaient nombreux. Mais aucun n'était assez fort.
MacManaman eu un regard compréhensif, il eu la correction et le respect de ne pas me servir de platitude. Pas de "ça va passer", ni de "elle est mieux là où elle est ". Il m'apprit que je ne pourrai pas assister aux funérailles, la requête avait déja été envoyée en amont. Le budget du département des corrections était serré et faire sortir un criminel du couloir coûtait énormément d'argent aux contribuables.
Pour couronner le tout, et parce que j'avais toujours été un poissard, le gouverneur était en pleine campagne électorale. Pas du tout la bonne période pour accorder une sortie à un condamné à mort.
Je m'étais fait à l'idée que je ne serrerai plus jamais ma mère dans les bras, que jamais plus elle ne planterai un de ses petits baisers mouillés sur ma joue. Les contacts m'étant interdits.
Je savais qu'elle avait un cancer, mais j'avais moi aussi une date d'échéance plutôt courte et je m'étais convaincu que je partirai avant elle.
C'était égoïste car aucune mère ne devrait avoir à survivre à son enfant, mais j'avais bien assez de peine comme ça que pour souhaiter qu'elle parte avant moi.
Et pourtant, voilà qu'elle l'avait fait...
Sans même que je puisse lui rendre un dernier hommage.
Je m'effondrai au sol , gémissant, pleurant à chaude larmes, comme un enfant.
Le vide qu'elle me laissait me consummait de l'intérieur.
Quand le gardien repassa, une heure après le plateau de petit déjeuner que je n'avais pas touché, pour nous donner notre courrier, j'étais toujours affalé comme une loque morveuse sur le sol.
-Matthews, allez mon grand, tu as du courrier...
Je ne tendis même pas la main pour prendre la lettre qui tomba sur le sol froid, juste devant mes pieds.
Puis, mon regard se posa sur l'écriture fine et déliée sur l'enveloppe, une écriture que j'aurai pu reconnaitre entre mille.
Cette lettre ne venait pas de Saskia.
Je me précipitais sur la lettre, à quatre pattes, et déchirai l'enveloppe avec febrilité, les doigts tremblant.
Mon bébé, mon étoile, mon fils,
Si tu reçois cette lettre, c'est qu'hélas nous ne nous reverrons plus avant d'être de l'autre coté.
J'ai demandé à mon amie Sally Sue de la poster à ton intention, si je devais partir avant toi.
Il semblerait que même si tu as voulu prendre un raccourci pour rejoindre notre créateur, je t'aie battu à plates couture sur le sprint final!
Je me doute que ça doit être difficile pour toi, mon amour, je sais que tu as sans doute cru que tu partirais le premier, broyé par notre magnifique système judiciaire.
Mais vois-tu, des années de Marlboro m'ont fait payer le prix de ma désinvolture.
Je sais , à l'heure où je t'écris, que je ne ferais plus de vieux os.
Je suis fatiguée, Colton, mon corps me fait faux bond, et mon coeur a beaucoup souffert.
La seule bonne chose que cette vie m'ait apporté, c'est toi.
Toi, mon petit bébé de miel, mon petit garçon, si beau et si courageux.
Et ce cadeau, la vie veut également me le prendre.
Je ne pourrai pas supporter ça, te voir ligoté sur une table , voir le poison pénétrer dans tes veines et éteindre ta lumière.
Je sais que je n'y arriverais pas.
Alors j'ai décidé de cesser de me battre.
Je sais que tu as besoin de moi et que tu vas souffrir de ma lacheté, mon fils.
Mais à quoi bon combattre ce putain de crabe si derrière je meurs de chagrin de voir mon petit, ma chair, mon sang, crever comme un chien au nom de notre belle justice?
Je veux laisser le cancer me prendre, je veux arriver devant Dieu et lui expliquer que ton crime m'incombe, que si je m'étais mieux battue pour nous, si j'avais été plus présente, plus attentive, jamais tu n'aurais atteris dans ce cloaque.
Qui sait? Peut-être qu'il m'entendra et que tu auras droit à un miracle?
Saskia m'a rendu visite le mois dernier, elle m'a dit que Mitsy voulait reprendre contact avec toi, et que tu avais refusé.
Je me doute que tu as préféré ne pas m'en parler, parce que tu penses savoir mon avis sur la question.
Fils, sache que tu te trompes gravement.
Bien sûr, j'ai détesté cette fille, de tout mon être, quand elle a refusé d'assumer son rôle de témoin clé dans cette affaire.
Si tu t'es mis là où tu te trouves, c'est à cause d'elle en grosse partie, et cela, j'en resterai convaincue.
Cependant, je sais la raison pour laquelle elle voulait te voir.
Et ne songe pas à une éventuelle rédemption, car tu es loin, très loin du compte. J'aurai pu te dire le "secret" caché derrière cette envie de te voir, car je le connais. Mais égoïstement, j'ai préféré ne rien te dire. Pardonne-moi, mon fils. Je voulais que les choses restent inchangées entre nous, et j'ai gardé le silence, c'était une erreur. Je vais partir, mais toi , tu vas rester, au moins quelques temps encore, et tu es en droit de ne pas rester seul dans ton enfer. Recontacte-là, Colton, fais le pour moi. Et garde à l'esprit, que même si je m'en vais, je ne serai jamais loin de toi et que je t'aime. Je t'aime de tout mon être depuis la minute où l'on t'a déposé sur mon sein et que ton regard a cherché le mien, avec ton petit nez retroussé et ta peau couleur d'or.
Je t'ai sans doute aimé d'une mauvaise façon, mais tu étais mon tout et tu le resteras toujours. Je serais toujours à tes côtés, même si tu ne me vois pas. Et bientôt, nous nous retrouverons. En attendant, ne pleure pas pour moi, mon bébé, je suis heureuse de quitter cette vie de misère et je t'attendrai là-haut.
À plus tard mon Colton,
Xoxo
Maman
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