17. une bouteille à la mer.
Il était six heures douze du matin exactement quand le téléphone portable de Saskia sonna ce matin-là. Elle n'eut pas besoin de regarder l'affichage pour deviner que l'appel entrant provenait des Etats-Unis. Il devait être un peu plus de vingt-trois heures là-bas. L'heure prévue.
Une jeune femme nommée Marissa Ramirez l'avait contactée par mail l'avant-veille pour lui demander son numéro de téléphone afin de la joindre en urgence. Saskia avait halluciné ! Ainsi donc, il n'y avait pas que dans les films que les détenus parvenaient à se procurer tout et n'importe quoi, y compris un téléphone ?
Elle avait d'abord tergiversé à l'idée que son numéro serait stocké dans un appareil illégal. Elle se rendait régulièrement aux Etats-Unis pour rencontrer plusieurs de ses correspondants, mais aussi dans le cadre de son emploi de reporter. Elle ne pouvait résolument pas risquer que le téléphone soit trouvé lors d'une fouille et remis aux autorités avec ses informations dedans. Que ferait-elle si elle finissait fichée au F. B .I. ou ,pire, à la C. I.A. et interdite de séjour sur le territoire américain ?
Elle avait détaillé ses craintes à Marissa. Celle-ci avait apparement l'habitude de ce genre de magouilles. Aussi lui conseilla-t-elle de se procurer un téléphone portable à usage unique, comme on en trouvait à tous les coins de rue, et de lui en communiquer le numéro. De cette façon, même si un gardien un peu plus zélé arrivait à mettre la main sur le portable illégal, elle ne serait tout de même pas inquiétée.
L'écran tactile affichait bel et bien un numéro d'outre manche et Saskia se surprit à sentir une légère angoisse au moment de décrocher. C'était stupide, ce n'était que Colton. Son ami, celui qu'elle connaissait depuis huit longues années maintenant, et à qui elle avait rendu visite à de maintes reprises. Peut-être était-ce l'illégalité de l'entreprise, peut-être juste le mot "urgence" qui allumait des avertisseurs dans son cerveau.
Elle décrocha et entendit Colton murmurer :
-Sask' ?
-Oui, c'est moi, répondit-elle en chuchotant également par réflexe.
-Je vais faire vite, je n'ai pas envie de me faire pincer, si je raccroche sans...
-Oui, oui, le coupa-t-elle, je m'en doute Colt', viens-en aux faits.
Il laissa un silence, sans doute étonné par le ton sec qu'elle avait utilisé malgré elle.
Elle crut, pendant une fraction de seconde, qu'il avait raccroché, mais il reprit, toujours à voix basse:
-J'ai reçu une lettre de ma mère, elle... Elle l'avait écrite avant de mourir... Et dedans, elle me conseille de laisser Mitsy me recontacter...
Saskia soupira. Il ne s'en doutait pas, mais cela faisait deux jours entiers qu'elle-même bataillait avec ses démons intérieurs au sujet de Mitsy Duval.
Elle s'était renseignée auprès de contacts du milieu judiciaire au Texas, à propos du kit de viol.
Elle avait toujours été persuadée que celui-ci avait une limite d'utilisation devant une cour d'une durée de dix ans avant la prescription.
Cela aurait en effet été le cas, si Mitsy avait été majeure au moment des faits. Or, elle n'avait que seize ans.
Les résultats du test pouvaient encore être utilisés pour un appel, et ce pour une durée d'encore cinq ans.
Si Colton reprenait contact avec Mitsy, si elle était décidée à prendre sur elle et reconnaître le viol, alors son ami avait de grandes chances d'obtenir une réouverture de procès. Et peut-être même une libération du couloir de la mort.
Deux jours, cela faisait plus de quarante-huit heures qu'elle connaissait cette information. Le courriel de Marissa était tombé à point. Elle pouvait l'utiliser comme excuse pour les deux jours complets qu'elle avait gaspillé à ne pas divulguer l'information à Colton. Il était bien plus rapide de lui communiquer cela par téléphone que d'attendre les deux semaines nécéssaires pour l'arrivée d'un "snail mail"*. Cependant, la véritable raison de cette rétention d'information était purement égoïste. Au fil du temps, et contre toute attente, Saskia était tombée amoureuse de Colton.
Pendant huit ans, elle avait été celle qui était là, celle qui recollait les morceaux, la confidente. Mitsy Duval avait abandonné Colton à son sort, le condamnant à mort, et en deux temps, trois mouvements, elle devenait celle qui pouvait le sauver. Elle était plus que ravie que Colton ait une chance de sortir de son enfer.
Mais elle était également consciente, que Mitsy était le premier amour de son ami. La fille pour qui il avait tué de sang froid. Elle n'avait aucun doute sur l'issue de leur relation si Colton était libéré grâce à elle. Mitsy Duval redeviendrait la femme de sa vie, et elle serait oubliée. Malgré tout, elle devait lui dire.
- Colton, le kit de viol... Ses résultats sont encore exploitables pour cinq ans, annonca-t-elle dans un souffle.
Le silence à nouveau... Avait-il seulement entendu?
Au bout d'une minute qui parut interminable Colton répondit:
-Je... je... Ce n'était pas la raison que mentionnait ma mère...
-Qu..Quoi ? Qu'est-ce qu'elle te disait Colton ? bégaya Saskia, y perdant son latin.
-Elle m'a parlé d'un secret, elle, ma mère je veux dire, était au courant... Mitsy ne t'a rien dit ? s'enquit-il.
-Non Colton, elle m'a dit avoir un besoin vital de renouer le contact avec toi. Je n'ai pas du lui sembler bien amicale, elle ne m'a rien confié de plus, avoua Saskia.
-Je vois, chuchota-t-il, Saskia, j'ai besoin que tu me copies les informations de Mitsy. Son adresse, son numéro de téléphone, son nom d'épouse. Et que tu m'envoies tout ça par texto.
-Pour que tu puisses l'appeller ? Lui écrire ? demanda Saskia d'une voix tremblante.
-Pour que je puisse l'ajouter à ma liste de visiteurs approuvés, Sask', répondit-il.
Saskia ne savait pas si elle avait imaginé un ton de regret dans la voix de Colton.
N'avait-il pas envie de voir Mitsy au fond ? Avait-il réalisé à quel point tout ça la stressait et la blessait ?
Elle chassa les pensées négatives qui l'envahissaient, et promit à Colton de lui envoyer les informations. Puis elle raccrocha.
Elle alla allumer son ordinateur afin de récupérer les données que Mitsy lui avait envoyé, des semaines plus tôt.
Puis, ouvrant la porte-fenêtre qui donnait sur son balcon, elle s'assit sur une banquette, alluma une cigarette et regarda le jour se lever sur le centre-ville d'Amsterdam.
(*Note de l'auteur: un snail mail ou courrier escargot en français, est le terme utilisé par les détenus américains pour parler d'un contenu postal. Il faut entre dix et 15 jours environs pour qu'un courrier européen arrive à un détenu, car il doit être ouvert et lu par l'administration pénitencière avant d'être délivré au détenu. Pour les courriers en provenance des U.S.A. , la moyenne de ce délai est de cinq à huit jours.)
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