21. Mensonges.
Je rentrais de la visite, complètement mortifié. Je m'étais attendu à tout sauf à ça. Chambers, qui pourtant était loin d'être l'un des gardes soucieux de notre bien-être, sembla tellement effaré par la lividité de ma tronche, qu'il me demanda si j'allais bien. J'entrais dans ma cellule, la démarche saccadée, tel un zombie. Rey frappa sur le mur :
-Matthews ?
Voyant que je ne répondais pas, il cogna à nouveau :
-Oh ! Matthews, ça va pas ?
-Si, Rey, t'inquiètes pas, ça va aller.
-Alors ? Tu l'as vue ta poupée ?
-Ce n'est pas « ma poupée » Rey, sois un peu respectueux... répondis-je, agacé.
-Oh la la, t'es vraiment pas jouasse aujourd'hui, toi ! rétorqua-t-il séchement.
Je savourais le silence, j'en avais besoin, je devais absolument mettre de l'odre dans mes idées. Mitsy m'avait avoué qu'après avoir conclu la vente avec Ahiga, elle n'avait pu trouver le sommeil pendant quelques jours. Au bout du compte, elle avait profité d'une après-midi où il devait la rencontrer à son bureau pour l'inviter à déjeuner.
Il n'était pas rare dans le cas d'une grosse vente qu'un agent invite son client au restaurant pour signer les contrats. Durant le repas, elle avait fini par lui poser, de but en blanc, la question qui la taraudait. Se rappelait-il du nom de sa petite amie de l'époque ? La réponse était oui. Il n'avait jamais pu l'oublier.
Elle s'appellait Trixxie Matthews... Ma mère...
Mitsy m'avait donné la version de mon père. Et elle était loin de correspondre à celle de ma mère. Toute ma vie, maman m'avait dit que mon père avait fui à l'annonce de sa grossesse, qu'il avait catégoriquement refusé d'entendre parler du moindre bébé, prétextant que son destin était d'épouser une fille Navajo comme lui, et que ma mère n'avait été qu'un amusement. Elle avait été jusqu'à me dire qu'il voulait qu'elle avorte.
En réalité, mon père avait été fou de joie à l'idée d'être père, il se voyait déja m'apprendre les traditions de notre tribu. Me conter la légende du père ciel et de la mère terre, m'emmener en Arizona voir le canyon de Chelly, berceau de la divine femme-araignée, si chère à la culture de mon peuple. Tout cela faisait partie de ses projets pour moi.
Il alla jusqu'à demander la main de ma mère, afin que sa famille, si elle ne l'acceptait pas, apprenne au moins à la tolérer, et m'accepte moi. Ma mère en avait été furieuse, elle ne voulait pas faire sa vie avec mon père. C'était lui l'amour de passage, pas elle. Cette révélation jetait une ombre sur mon enfance.
Mon père, fou de chagrin, avait quitté le Texas pour rejoindre des cousins à Window Rock, capitale Navajo, en Arizona. Il y avait ouvert un de ces célèbres casinos indiens chers aux touristes, et y avait fait fortune. Il avait rencontré une femme d'origine indienne aussi et l'avait épousée. Elle était morte en couche, abandonnant mon père avec ma petite sœur Kai. Son prénom signifiait « Saule pleureur » , mon père l'avait choisi en hommage à la maman que sa fille ne connaîtrait jamais.
J'avais un père. Et une sœur. Mais je ne savais comment gérer ces informations. Ma mère m'avait-elle menti sur toute la ligne ? Pourquoi aurait-elle fait ça ? Cette question demeurerait à jamais irrésolue et entachait les sentiments purs que j'éprouvais pour ma mère, y semant un doute indélébile.
Mitsy avait annoncé à mon père qu'elle connaissait son enfant « perdu », que c'était un garçon et qu'il était dans le couloir de la mort. Elle lui avait montré une photo de moi glanée sur facebook, ainsi que le profil de ma mère, qu'il avait reconnue au premier regard. Quand il avait vu mon portrait, il en avait eu le souffle coupé, tant nous nous ressemblions d'après Mitsy.
D'un côté, j'avais envie de voir mon père, ce père dont j'avais tellement rêvé enfant et que j'avais maudit durant des années sans savoir qu'il était innocent de ce dont ma mère l'accablait. Mais j'ignorais quoi lui dire. J'étais loin d'être fier de l'endroit où je me trouvais. Je voulais rencontrer ma petite sœur...
Dans mon esprit, une petite sœur de seize ans représentait une étincelle de vie dans toutes les ténèbres que je traversais. Mais la rencontrer équivalait à lui donner un frère pour lui reprendre ensuite. A cet âge, serait-elle capable de supporter cela ?
La question du kit de viol se posait aussi, Mitsy m'avait dit de contacter mon avocat à ce sujet, et c'était primordial. Loin d'être un ténor du barreau, Spencer Dolan m'avait été commis d'office lors de mon procès. En soi, ce n'était pas un mauvais avocat, mais comme pour la plupart des condamnés à mort, mon cas n'avait jamais été une réelle priorité pour lui, je n'étais qu'un numéro de dossier parmi tant d'autres à ses yeux. Et ces résultats d'analyses étaient mon va-tout.
Il ne me restait qu'une seule procédure d'appel avant celle devant la cour suprême. Et cette étape était la dernière avant la date d'exécution. Je me rapprochais à pas de géant du jour où, ayant utilisé tous mes recours, je recevrais le mandat m'annonçant ma date d'exécution.
J'avais un espoir, une chance, de peut-être sauver ma peau et la seule personne qui portait cet espoir entre mes mains était un avocat d'une bonne cinquantaine d'années au crâne dégarni et à la bedaine proéminente qui était loin, très loin d'être le meilleur.
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