24. Renouveau.
Je suivis Gomez, le pas lourd, vers la salle de visite. Les entrevues légales se faisaient, elles aussi, au travers d'une vitre blindée, la même qui nous séparait de nos familles. Seuls les horaires différaient.
Pendant que Gomez défaisait mes liens, qu'il avait beaucoup trop serrés, comme à son habitude, je sentais l'angoisse monter. Revoir le visage rubicond de Dolan, une poignée de minutes à peine après mon cauchemar, me donnait la nausée. Un goût âcre de bile pointait sur ma langue.
La porte s'ouvrit pour me laisser entrer, avant de se refermer dans mon dos.
J'écarquillai les yeux. Étais-je à nouveau dans un rêve ? Dolan ne se trouvait pas de l'autre coté de la vitre.
À sa place, se trouvait une jeune femme métissée, peau café au lait, yeux noisettes et boucles dorées retombant sur ses épaules. Elle portait un tailleur élégant, anthracite avec de fines rayures, et me lança un grand sourire encourageant. Je décrochai le combiné, avide de comprendre :
- Monsieur Matthews, bonjour, me salua-t-elle d'une voix douce qui me mit directement en confiance.
Monsieur Matthews, ça, c'était nouveau ! Dolan s'était adapté au monde carcéral, me déshumanisant en m'appellant juste Matthews. Comme tout le monde ici.
Elle reprit :
- Je me présente, Brandy Davenport. Je suis votre nouvelle avocate, enfin, si vous me le permettez.
Un sourire à nouveau, cela me réchauffait le cœur.
- Je ne comprends pas, bredouillai-je, où est Dolan ? Je veux dire maître Dolan.
Elle rit :
- Dolan est tout sauf un maître, croyez-moi, vous serez bien mieux avec moi pour vous représenter, si je puis me permettre.
- Oui, certainement, mais pourquoi ?
- Il semblerait que vous ayiez quelqu'un qui tient beaucoup à vous, Colton. Puis-je vous appeller Colton ?
- Bien sûr. Vous... vous n'êtes pas assignée par la cour ? demandai-je sous le choc.
Je calculais mentalement le coût des dépenses pour un avocat privé. Cela devait être de l'ordre des milliers de dollars. Qui donc avait pu réunir une telle somme ? Saskia ? Mitsy ?
- Je ne le suis pas, non, me répondit-elle, je suis une avocate privée, spécialisée depuis dix ans dans les cas de peine capitale.
Specialisée ? Je n'en revenais pas, j'étais ébahi, estomaqué, choqué, j'en avais du mal à trouver mes mots. Elle semblait l'avoir remarqué et expliqua :
- Mon frère , Darren Davenport, a été exécuté, par l'état du Texas, il y a dix-sept ans de cela. Il fait partie des cent soixante et une personnes à avoir été condamnées à tort et reconnues innocentes dans notre beau pays. Sauf que lui le fût post mortem. Depuis, j'ai décidé d'étudier le droit et de représenter des personnes comme lui.
- Je ne suis pas innocent, répondis-je.
- Je le sais, mais vous n'êtes pas non plus un tueur de sang froid. Dolan m'a transféré votre dossier, il semblait très heureux de s'en débarasser d'ailleurs.
- Je n'en doute pas, il y a des nouvelles preuves exploitables.
- Oui, ces résultats vont apporter une lumière nouvelle sur votre affaire, Colton.
- Vous pensez que j'ai une chance ? questionnai-je , instantément écoeuré par l'espoir dégoulinant de ma voix.
- De sortir ?
- Oui, osai-je.
Elle me regarda, plongeant ses pupilles au fond des miennes, comme pour me sonder.
- Colton, dit-elle d'une voix sérieuse, je ne veux pas vous donner de faux espoirs.
- Donc, je n'ai aucune chance, même avec vous, la coupai-je, le coeur lourd et une envie irrépréssible de fondre en larmes comme un enfant.
- Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! reprit-elle sur un ton de reproche. Je pense, que si nous jouons bien nos cartes, nous pouvons espérer obtenir un nouveau procès.
Avait-elle bien prononcé ces mots ? Pour la troisième fois de la journée je fus assailli par un sentiment d'irréel qui me donna le vertige.
- Qui plus est, Le juge Peterson, qui a jugé votre affaire lors des appels précédent et lors du procès, part à la retraite dans deux mois.
- Deux mois... nous avons un an pour la demande d'Habeas Corpus c'est bien ça ?
Elle approuva:
- C'est ça, et votre dernier appel date de huit mois, nous avons donc encore quatre mois devant nous. Je vous propose de commencer à préparer cet appel dès maintenant, et d'ensuite en introduire la demande, le mois prochain, de cette façon nous seront parfaits au niveau du timing, nous n'aurons pas le juge initial mais la nouvelle juge.
-Une femme ?
- Oui, et une femme qui exècre les violeurs plus que tout. Je pense que vos circonstances atténuantes taperont dans le mille, Colton.
- Et ...
Elle attendit que je continue ma phrase, m'encourageant d'un sourire et d'un signe de tête.
- Quelles seraient mes chances avec un nouveau procès ?
- Nous n'allons pas nous mentir, déclara-t-elle d'une voix franche, vous avez bel et bien tué un homme. C'était une ordure, cependant.
- La pire crasse, grinçai-je entre mes dents.
- Je pense que nous pourrions plaider le crime passionnel.
- Vraiment ?
-Tout à fait, Mademoiselle Duval était votre petite amie, Moore la violait, et vous l'avez trouvée, en pleine nuit, ensanglantée, battue et bafouée devant chez vous, j'imagine que vous n'avez pas pris le temps d'y réfléchir à deux fois.
- En effet, reconnu-je.
- Dans ce cas il s'agit bien d'un crime passionnel. Au premier degré. Ça va chercher entre cinq et quarante ans, on y ajoute le port d'arme illégal. Entre deux et cinq ans.
J'essayais de calculer, mais la somme d'informations et le choc m'en empêchaient.
- Entre cinquante ans au maximum, sept ans au minimum. Vous pourriez rejoindre la population générale...
- Ou être libre...conclu-je dans un murmure.
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