30. La chute du Roi.

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Le jeune type de la cellule d'en face n'avait pas menti. La veille, vers quinze heures trente, il avait reçu la visite de l'aumonnier de la prison, un vieux prêtre catholique à l'air décrépi dans sa soutane au col amidonné. Reyes les avait entendus prier ensemble pour le salut de l'âme du pauvre pécheur. Il avait ensuite quitté la cellule accompagné des deux matons du blocs et de deux autres qui servaient de renfort lors des soirs d'exécution. Il avait disparu de la vue de Reyes pendant une heure, le temps dédié aux appels téléphoniques. Le soir de son exécution, un détenu disposait de ce laps de temps pour appeller sa famille ou ses amis qui ne pouvaient, ou ne voulaient, pas assister à l'exécution.


A dix-sept heures tapantes, il était de retour dans sa cage, le temps de manger son dernier repas.
Dans les films, on voit toujours le condamné se délecter de mets raffinés, de homard, de steaks grillés à la perfection, d'une montagne de glace. C'était le cas dans la plupart des états appliquant la peine capitale. Mais plus au Texas. En septembre 2010, un détenu émanant du Ku Klux Klan fût condamné pour avoir trainé un afro-américain sur des dizaines de kilomètres de sentiers campagnards, accroché à l'arrière d'un pick-up Ford filant à toute allure, jusqu'à ce que la tête et le corps du malheureux "negro" se désolidarisent. Lors de son dernier repas, le suprémaciste blanc avait effectué une commande gargantuesque.


Deux steaks de poulet frits avec de la sauce aux oignons, un triple cheeseburger au bacon, une omelette au fromage, bœuf haché, tomates, oignons et piments jalapenos, un bol de gombo frit avec du ketchup, un demi kilo de travers de porc au barbecue avec un demi pain blanc, trois fajitas, une pizza à la viande, un demi-litre de glace à la vanille avec une garniture de cacahuètes et trois racinettes pour faire descendre le tout. Une fois le repas monstrueux arrivé devant lui, le criminel avait annoncé ne pas avoir faim et avait pissé allégrement sur la nourriture, empêchant la prison de faire parvenir les restes intacts à un centre pour sans domicile fixe, comme c'était la tradition. Son prétexte : il ne voulait pas nourrir de SDF noirs.

Le caprice de ce condamné avait coûté le dernier repas à tous ceux qui seraient executés par la suite. Terminé les steaks, le homard, la pizza, à présent le dernier repas était le même que pour le reste des détenus de la prison.
Aussi, le jeune gars en face de Rey, grignota-t-il quelques grains de riz frit et un morceau de pain au maïs, sans grand appétit.
À dix-sept heures trente, les gardes et l'aumonnier revinrent le chercher et Reyes le suivit des yeux le long du couloir jusqu'à la porte de la salle d'exécution où il disparut pour ne jamais revenir.

Cette porte...
Une simple porte de métal peinte en une horrible couleur turquoise, joyeuse et incongrue quand on savait ce qui se cachait derrière elle. Elle obsédait Rey depuis son arrivée ici. La lumière ne s'éteignait jamais aux walls, surveillance anti-suicide oblige. lI passait des heures à fixer cette porte, le bout de son chemin. Elle, que des milliers d'autres avaient passée avant lui, à sens unique, à la rencontre de la faucheuse.


L'absence d'obscurité et cette porte empêchaient Rey de trouver le sommeil, la torture mentale qu'il s'infligeait également, omnubilé par la mort qui flottait autour de lui, menacante et inéluctable.
Parfois, la nuit, il avait l'impression d'entendre les fantômes des gars passés ici avant lui, le son de leurs voix, leurs cris, leurs pleurs, leurs supplications. Rares étaient ceux qui restaient dignes et maîtres d'eux-même quand le moment venait de passer la porte.
De nombreuses histoires de fantômes circulaient à Polunsky. Rey n'y avait jamais prêté attention mais, une fois aux Walls, à quelques mètres de la chambre d'exécution, seul dans ce couloir sinistre, force était de reconnaitre que certaines âmes avaient marqué ce lieu.

Les gardes ici étaient sympathiques, des Macs en puissance, compréhensifs, attentifs. Rey avait l'impression que rien que le fait d'être dans ce bâtiment le purgeait un peu de son crime, le rendait plus humain à leurs yeux.

Trois jours... Deux...

Le temps se jouait de Rey, celui qui refusait de passer quand il était à Polunsky, où une semaine ressemblait à une année, parraissait ici filer à une vitesse supersonique. Demain, cette porte ne serait plus une menace, mais une réalité. Demain, Rey serait celui qui allait sortir de cette cellule, remonter le couloir et s'allonger sur le brancard, ligoté et euthanasié comme un vulgaire cabot.
Rey s'approcha des grilles de sa cage, jeta un regard alentours. Butch et Lawson, les deux gardiens sensés veiller sur sa sécurité jouaient aux cartes dans leur petit bureau, derrière la porte située à l'exact opposé de celle de la salle d'exécution. Il pouvait entendre leurs éclats de voix, de rire, ce son si déplacé entre ses murs. Leur surveillance était moindre depuis qu'il était seul, ils ne passaient que très rarement, très loin des surveillances réglementaires toutes les quinze minutes.


Après s'être assuré qu'il ne viendraient pas, Rey alla fouiller dans le peur d'affaires personnelles qu'il lui restait. La majorité de ses possessions se trouvaient dans le bureau, empaquetées pour que Marissa les récupère demain, quand tout serait fini.
Reyes sorti son rasoir, un rasoir jetable en plastique dont la lame sécurisée était presque entièrement cachées sous la coque de plastique, pour éviter les agressions. Rey attrappa le plastique entre ses dents, le bord coupant qui sortait de la tête du rasoir entailla le bord de sa lèvre. Les larmes lui piquèrent un instant les yeux. Mais Rey était plus fort que ça, déterminé, froid. Au bout de quelques secondes à peine, la lame se désolidarisa de son plastique protecteur.
El Vertugo, dont la bouche avait pris le goût métallique du sang, s'agenouilla, la lame serrée dans la paume de sa main, s'infligeant d'autres coupures.

Il pria.

Seigneur tout puissant, pardonne-moi mes erreurs, accueille-moi en ton royaume. Je n'ai pas été un homme bon, et je ne le mérite pas, mais fais-le , je t'en prie, je me rachèterai, je ferai ce qu'il faudra pour ça. Veille sur Marissa, mon amour, ma femme. Donne-lui un nouveau mari, un homme bon qui réussira là où j'ai failli. Donne-lui ce bébé que je n'ai pas pu lui offrir. Et aide-le à devenir quelqu'un de bien, à ne pas suivre mon chemin. Aide Colton aussi, il n' a rien à faire ici, sors-le de ce trou à rat, que ma mort serve au moins à ça. Merci ô Seigneur tout-puissant et miséricordieux.


Rey demeura un instant la tête baissée, puis il se releva. Sûr de lui, il se saisit de la lame effilée, la posa sur la gorge, appuya et s'infligea une coupure de quelques centimètres de longueur. Rien de mortel même si la douleur était bien présente et que le sang chaud se mit à dégouliner, mince filet de vie. Rey y plongea les doigts, la pulpe de son index était d'un rouge carmin brillant. S'en était presque joli, il s'approcha du mur blanc et se son doigt ensanglanté, y traça des signes. Il fit un pas, recula pour admirer son oeuvre, fier de lui. D'un geste déterminé, il reposa la lame rougie sur la plaie qui coulait encore, il mit de la pression sur sa main. La chair se trancha, nettement cette fois. Une belle coupure, d'une oreille à l'autre. Le sourire des anges, celui-que son père lui avait appris à appliquer pour faire taire tellement de témoins gênants. Le flux de sang devint incontrolable. Une tornade d'hémoglobine, une cascade vermillion, qui suintait de sa gorge à un rythme effrené. Ses mains sur la plaie furent noyées sous le flux de vie qui quittait son corps. Rey sentait la douleur qui le consumait , la brûlure liquide, la vie qui s'échappait. Il tomba à genoux, puis face contre terre, dans une flaque de sang. Il eut une dernière image qui s'imposa à son esprit. Pas Marissa, non. Mais Colton son ami, son frère.

Libre.

Reynaldo Reyes y vit le signe qu'il attendait, Dieu lui pardonnerait. Un sourire apparut sur ses lèvres au moment où il ferma les yeux pour la dernière fois.

Le Roi est mort....Longue vie au Roi !

Sur le mur quelques mots, tracés de sa main, de son sang.

Vous ne m'aurez pas !

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