Le message arriva un matin d’avril, mais sous une météo plus qu’estivale. Sous terre, les ampoules brillaient aussi fort que d’habitude, que ce soit dans la salle de classe où les enfants révisaient leur histoire de France ou dans le fond du dojo où Zelda s’échauffait. Une femme avec un fort accent espagnol criait son nom tout en courant dans les couloirs, faisant un vacarme monstrueux pour un matin aussi jeune.

- Zelda ! Zelda !

- Quoi, Victoria ? Qu’est-ce que… C’est une…

- ¡Siiii! ¡Es una noticia del líder! ¡Vas a ser capaz de salir!

- Victoria, du calme, je t’ai déjà dit que mon espagnol n’était pas assez bon pour que je te comprenne quand tu parles aussi vite…

- Un message du chef ! traduisit-elle tout aussi vite, plus excitée que sa collègue. Tu as reçu une mission ! Tu vas pouvoir sortir !! Il veut débriefer avant que tu partes. Il a dit quelque chose comme…

- Peu importe. Kazumi n’est pas prêt, je ne peux pas partir sans lui, tu le sais.

- Il savait que tu dirais ça, du coup, toma !

Elle lui tendit le papier qu’elle agitait depuis plusieurs minutes en l’air et la regarda le lire.

- Mission spéciale… Renouveau nécessaire… Prise de contact… Besoin de s’assurer de la fidélité des candidats… Pas le… Quoi ? Il faut que j’aille parler avec Swan, tout de suite, désolée Vic !

Et ce fut comme si elle n’avait jamais été là. En quelques instants, elle avait bousculé tout le monde dans les couloirs, s’était excusée et était entrée comme une furie dans la salle où se tenait, assis sur ce qui ressemblait à un trône, l’homme à la tête du souterrain. Il l’entendit plus qu’il ne la vit entrer, regarda sa montre et sourit.

- Je n’en attendais pas moins de…

- Qu’est-ce que ça veut dire ? le coupa-t-elle brusquement.

- Mais que tu n’as pas le choix, ma chère, répliqua-t-il sur un ton qui ne lui plut pas.

- Donc je deviens votre mascotte ?

- Disons plutôt que tu deviens notre visage.

- Votre marionnette, vous voulez dire ? Parce que je ne vois rien d’autre à faire à part sourire, dire ce que j’ai le droit de dire, hocher la tête et recommencer avec la personne suivante. Vous m’expliquez pourquoi je suis nécessaire ? N’importe qui pourrait le faire !

- Mais tout le monde n’a pas été filmé en train de tuer un policier. Tu devras attirer les candidats qui te semblent les plus prometteurs, leur révéler ta véritable identité et vérifier que leur réaction n’est pas incompatible avec notre idéologie…

- Sinon je les massacre ? Hors de question. Et puis, il me semblait que l’identité de mon avatar avait été révélée, ce serait compromette l’ensemble de…

- Elle n’a pas été révélée, c’est aussi pour cette raison que c’est toi que je demande.

- Mais elle doit le savoir ! C’est trop dangereux !

- Ecoute-moi, ma fille, tonna-t-il pour couvrir sa voix. Jusque-là, je t’ai donné une liberté et des privilèges que ceux qui ne te connaissent pas t’envient. Je ne te demande pas de massacrer des innocents. Je te demande de recruter une personne, une seule personne qui saura garder un secret, accepter la réalité et nous aider à passer à l’action. Si quelqu’un ne convient pas, mais qu’il en sait trop, c’est un danger qu’il faudra que tu élimines. Ce n’est pas une mission facile, ce n’est pas quelque chose que je peux demander à n’importe qui et ce n’est sûrement pas pour te manipuler. Je ne te donne pas le choix. Tu vas le faire.

- Vous avez bien dit qu’on allait passer à l’action ?

- Oui, des informations nous sont parvenues, Scarlet prévoit un évènement extrêmement important dans le pays, ça sera l’occasion pour nous d’entrer dans les serveurs d’INRIS. Je n’étais pas censé te le dire, mais je ne vois pas d’autre manière de te l’expliquer.

- Scarlet, notre infiltrée là-bas ? La même Scarlet que…

- Oui, la même qu’à l’orphelinat. Tu ne savais pas ?

- Non, je…

- Ah, j’ai oublié de te dire que ta cible doit être dans le top 10 Synestya, c’est pour ça que tu es la mieux placée pour les approcher.

- Quoi… ? C’est… ? Pardon ?

- Bon courage !

Elle resta un instant à le regarder, partagée entre l’incompréhension et la stupeur et sortit de la pièce sans un au revoir. Devant la porte, il lui fallut encore un moment pour reprendre ses esprits. Les passants s’arrêtaient pour vérifier que tout allait bien, puis reprenaient leur chemin, perturbés. La bouche ouverte, les yeux perdus dans le vide, le teint plus pâle que d’habitude, Zelda aurait inquiété n’importe quel médecin. Mais elle se reprit en songeant que le plus vite elle trouverait cet individu, plus vite elle reviendrait ici. D’un pas lent, semblable à celui d’un condamné à mort, elle se dirigea vers la sortie.