Chapitre 21

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Zelda essayait de faire le moins de bruit possible. Elle se laissa tomber de son lit et s’éloigna le plus silencieusement qu’elle put de la porte. Sa main glissa sous sa chemise de nuit et sa respiration augmenta drastiquement. Où était cette faux… ? Son cœur battait aussi fort qu’un tambour de parade à ses oreilles, tandis que ses doigts commençaient à se crisper. Elle ne la trouvait pas. Elle ne la trouvait pas. Bon sang, où était cette faux ?! Elle en avait besoin, maintenant ! S’il s’approchait… Elle sursauta en entendant une voix l’appeler.

- Zelda… Zelda… Dis, Zelda, pourquoi tu n’es pas venue ? Pourquoi tu as tout fait de ton côté ? Dis, Zelda… Si tu ne me réponds pas, c’est parce que tu as peur ? Zelda, tu as peur de moi ? Ou alors… Tu as honte ? Tu ne veux pas me parler, parce que tu as oublié mon prénom ? Dis, Zelda… Comment je m’appelle ?

Elle se figea. Cette voix… C’était celle de… Non… Non. Non ! Qu’est-ce que… Un visage se dessinait dans l’obscurité. D’abord des traits enfantins, quelques rondeurs, puis deux grands yeux verts, grands ouverts, hypnotiques. Des cheveux, courts. Bruns. En bataille. Un sourire. Un sourire plein de dents, fluorescent, comme si la lune se reflétait directement sur elles. Et tout autour, l’obscurité.

- Dis mon nom.

Elle le fixait, incapable du moindre mot.

- Dis-le, Zelda.

Elle tenta de parler, mais sa voix s’était éteinte. Elle voulut parler, crier ce nom, encore, le hurler, qu’il l’entende… ! Aucun son ne sortait de sa bouche.

- Dis mon nom, grande sœur.

L’air commença à manquer. La jeune fille suffoquait. Elle hurlait toujours, de toutes ses forces, si fort qu’elle en avait mal à la gorge. Elle hurlait. Elle souffrait. En silence.

Comme elle l’avait toujours fait.

- Dis mon nom.

Ses mots résonnèrent dans l’obscurité, tandis que sa vision se troublait, qu’il disparaissait de sa vue, parmi les taches sombres qui fleurissaient devant ses yeux.

- Zelda. Zelda ! Zelda ! Réveille-toi !

La lumière la força à ouvrir les yeux. Du bleu, puis de l’orange. Devant ses yeux. Elle repoussa brutalement la personne à qui appartenaient ces couleurs et dégaina son arme, faisant glisser la lame sous le cou de…

- Swan ! s’exclama-t-elle à mi-voix. Qu’est-ce que… Quelle heure… ?

- Ça faisait longtemps qu’on ne m’avait pas appelé à ton chevet, ma puce, sourit l’homme en face d’elle. J’avoue que tu as bien progressé dans le maniement de la faux, mais je préfèrerais autant garder ma tête à sa place, si tu veux bien.

- Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle en rangeant sa lame.

- Kazumi est venu me réveiller, il m’a dit que tu faisais des cauchemars, alors je suis venu voir et je l’ai envoyé dormir avec Louis pendant que j’essayais de te réveiller. Il n’est pas encore l’heure de se lever, alors je vais éteindre la lumière et tu vas me raconter ce qui te mettait dans tous tes états ? Au fait, tu pleures encore.

- Je… pleur ? balbutia-t-elle en portant une main à ses joues.

L’humidité qu’y rencontrèrent ses doigts ne laissait aucun doute. Au coin de ses yeux, des torrents de larmes se déversaient toujours et sa gorge, maintenant qu’il le disait, semblait… étrangement serrée… Qu’est-ce que… Ses mains s’ouvrirent brutalement, tandis qu’elle les regardait trembler. Elle voulut faire comme si de rien n’était, cependant, un souvenir traversa son esprit. Elle se laissa retomber sur le lit, prise de sanglots convulsifs.

Swan éteignit la lumière, se dirigea à tâtons vers le lit et glissa son bras autour de ses épaules, en lui murmurant des mots de réconfort. Ses gémissements ne faiblirent pas, au contraire. L’obscurité s’emplit peu à peu de ces respirations au bruit de papier déchiré, de ces reniflements disgracieux, du bruit du tissu froissé par ses poings serrés. Appuyée sur son oreiller, les genoux remontés contre la poitrine, le visage enfoui dans les mains, Zelda pleurait, sans s’arrêter. Sans vouloir que ça s’arrête. Sans même y penser. Aucun mot ne pouvait la consoler. Peu importait les larmes qu’elle versait, les cris qu’elle poussait, les remords qu’elle ressassait sans cesse, ça ne changeait absolument rien. Elle aurait dû… Peu importait les conséquences, elle…

- Zelda, tout va bien maintenant, tout va bien… Tu es en sécurité…

- Et… Lui ? Est-ce... qu’il va bien ?

- Kazumi ? Oui, bien sûr, pourquoi ?

- Non, pas Kazumi… Nathan…

- Ton frère ? Bien sûr, mais je croyais que tu ne voulais plus en entendre parler… Tu as même refusé mes dernières nouvelles…

- Il va… vraiment bien ? Il m’a… Oubliée ? Ses parents adoptifs…

- Tu t’étais promis de ne plus t’occuper de lui et tu me poses toutes ces questions… Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as de la fièvre ? Tu es malade ?

- Non, je… J’en rêve… Toutes… Toutes les nuits… Je revois…son visage… J’entends…sa voix…

- Tu as peur… ? Mais pourquoi ?

- Je n’ai pas peur ! cria-t-elle en relevant la tête. C’est juste que… Je me demande s’il… S’il… S’il m’en veut…

- Zelda, tu avais toi-même dit que tu voulais tourner la page. Oublie-le, tu n’existes plus pour lui, il se fiche de savoir si tu vas bien, au contraire, il t’a vue aux informations et…

- Il me hait, c’est ça… J’avais raison, il n’a pas compris, il croit que je l’ai abandonné, tout le monde doit…

- Non, Zelda ! Ce n’est pas ce que j’ai dit !

- Qu’est-ce qui me prouve qu’il tient à moi ? Il a essayé de comprendre pourquoi ? Il m’a reconnue, sur la photo ? Il m’aurait aidée, s’il avait été dans la foule ?

- Je ne…

- Bien sûr que non ! Il m’aurait tuée, il aurait aidé la police, les forces de l’ordre, parce qu’il ne connaît que ça, l’ordre ! La justice ! La joie ! Le bonheur ! Il n’a aucune idée de la couleur du sang, de la violence de la ville, de la valeur de la vie ! Il ne sait pas ce que c’est, que d’être toujours cachée, six pieds sous terre, dans l’ombre des autres ! Il…

- Zel…

- C’est un héros, bon sang, un héros ! Un pantin, une marionnette ! Et il est heureux d’être attaché à son maître, heureux qu’il le promène partout comme un chien, heureux que nous soyons malheureux ! C’est ça, hein ?! C’est ça ?!

- Zelda, je ne…

- Alors c’est vrai. Tout ce que j’ai redouté, tout… C’est de ma faute, hein ? Évidemment, c’est de ma faute. Je suis sa seule famille, la dernière qui lui soit liée par le sang et… Je n’ai pas su… Je n’ai pas su… C’est… Tout est de ma faute… Swan, qu’on lui dise… Qu’on transmette… S’il-vous-plaît, dîtes-lui…

- Que tu t’excuses ? Zelda, c’est hors de question. Tu n’es pas en tort.

- Si je ne le fais pas, qui alors ? Je suis la seule… La seule responsable… C’est… C’a toujours été de ma faute, toujours… Je le surveillais trop, j’étais toujours avec lui, derrière sa chaise, pour le corriger, faire ses devoirs, le défendre, lui trouver des amis… Quand il a commencé à se détacher de moi, ç’a été comme s’il avait voulu détruire tout ce que j’avais essayé de construire. Il a soufflé sur les châteaux de cartes, il a boudé nos entraînements, il s’est mis à l’écart, avec d’autres et puis il a monté ce piège… Quand je l’ai appris, j’ai eu peur qu’il soit trop tard, que vous… Je ne sais pas ce qui m’a pris, en fait. Je les ai entendus parler et avant que je comprenne vraiment ce qu’ils avaient prévu de faire, je sermonnais mon petit frère et je détachais tous les fils qu’il avait noués dans les escaliers…

- Tu sous-entends que sans toi, je serais mort et tu t’entendrais toujours avec ton petit frère ?

- Ce n’est pas vraiment ça, mais… C’est l’idée générale. Je me doute que vous ne vous seriez pas tué, que vous auriez remarqué un piège aussi gros, mais j’aurais autant préféré ne pas savoir qu’il avait vraiment essayé de faire ce genre de choses, surtout à un âge où on joue toujours avec des poupées, normalement.

- Tu sais pourquoi je t’ai prise dans mes bras, quand j’ai compris ce que tu m’expliquais ?

- Il paraît que c’était pour me réconforter, mais j’en doute.

- C’était parce que j’avais peur que tu refuses.

- Moi, refuser cette chance ? Vous deviez vous tromper, j’étais trop figée pour fuir, de toute façon… Et puis, la première chose que vous m’avez demandée en arrivant ici, c’était si je voulais bien rester et si vous deviez faire venir mon frère. Je ne doutais déjà pas de vous, mais c’est comme ça que vous avez gagné ma confiance, vous savez…

- Alors pourquoi m’avoir dit que tu préférais qu’il ait une vie normale ?

- Parce que c’était le cas et ça l’est toujours… Je veux qu’il ait un avant-goût de la vie que nous allons offrir à ce monde, mais pas qu’il se laisse aller à des rêves puérils, à croire qu’il est un héros, qu’il va sauver des gens.

- Tu restes persuadée que ces gens n’existent pas ? Que personne n’est assez dévoué, assez amoureux du genre humain pour lui offrir tout ce qu’il possède ?

- Évidemment. Tous les héros tuent un jour. Certains le deviennent une arme à la main, recouverts de sang. Ce n’est pas ce que j’appelle être héroïque. Le vrai héros, c’est celui qui arrive à changer le monde sans le plonger dans la souffrance. Et jusqu’ici, personne n’y est jamais parvenu. Je ne dis pas ça pour être méchante, ou parce que je suis frustrée, ou pour je ne sais qu’elle raison, je dis ça parce que je le pense. Sincèrement.

- Si je te disais que tu as tort ? Si je te disais que tu es toi-même l’exception qui confirme la règle ?

- Moi, une exception ? Et tous mes meurtres ? Les mares de sang ? Les drames ? Combien de morts ? Dix ? Vingt ? Trente ?

- Zelda, quoi que tu dises, quoi que tu aies fait, tu fais ce que tu sais être pour le plus grand bien. S’il doit y avoir des cadavres sur ta route, ça ne t’empêchera pas d’avancer.

- C’est pour ça que je ne suis pas une de ces héroïnes de roman. Parce que ma route est pavée de cadavres. Trente-six, jusqu’ici. Et qui sait quand je m’arrêterai.

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