Chapitre 29
- Elle va s’en sortir…
- Tu crois, muchacho ?
- Il faudra bien… Sans elle, comment on va s’en sortir ?
- Comme on faisait avant, Mamoru.
- Je n’arrive pas à y croire… Elle qui faisait toujours très attention à ne pas se faire remarquer hors de Synestya… Elle avait ce don pour disparaître avant que je puisse la reconnaître…
- Et pourtant, c’est parce qu’elle était amoureuse qu’elle a baissé sa garde. J’espère au moins qu’elle a eu la réponse qu’elle attendait…
- Arrêtez de vous inquiéter, Swan, c’est de Zelda qu’on parle. Elle est avec la Présidente, elle doit être… heureuse… Du moins j’espère pour elle…
- Bon, les garçons, quand vous aurez fini de vous inquiéter sans rien faire, peut-être qu’on pourra hablar de una maniera de salvarla, no?
- Tu y crois, grande sœur Victoria ?
- Claro, Kazumi, on va trouver un moyen de la sortir de là, si elle ne le trouve pas elle-même. Je suis sûre qu’avant aucun jugement, avant aucune déclaration, elle se sera sortie de là sans avoir eu besoin de l’aide de personne. ¡Vengas! Il faut qu’on trouve quelque chose pour l’aider.
- Mais quoi ? Certes, c’est une vieille prison, mais nous n’avons aucun plan pour ce genre de situations…
- Vous voulez la laissez crever ? ¿no ? Bien. Alors on va réfléchir, on va étudier les plans, l’histoire des murs, et si vous voulez bien, on va l’aider, ¿vale?
Le silence retomba sur la pièce, tandis que la lumière s’éteignait.
Elle se ralluma autre part, dans les couloirs de béton d’une prison, qui n’était pas si lointaine. À vrai dire, si on calculait avec la portée des cris de la jeune femme de la cellule quatre, cette distance se réduisait bien plus vite qu’avec des mètres. Et depuis plusieurs jours déjà, les voisins du centre pénitentiaire se plaignaient régulièrement, que ce soit à la police, aux responsables, ou entre eux, de cette folle incontrôlable qui hurlait pendant des heures, jusqu’à ce que sa voix se brise, jusqu’à ce qu’elle s’endorme, ou jusqu’à ce qu’on lui apporte ses rations d’eau.
Le procès ne viendrait jamais, du moins pour elle, et elle le savait. Elle ne s’en fichait pas, loin de là, désormais. Si elle était condamnée… Non, quand elle serait condamnée, son plus grand regret serait de ne pas l’avoir crue, cette femme qu’elle avait haïe de tout son cœur, et qu’elle adorait maintenant, avec une telle puissance qu’elle ne doutait plus de sa réciprocité. Son amour s’en sortirait sans elle, il ne faisait aucun doute. Mais si elle mettait sa vie en péril pour la sienne, si son sort dépendait du sien, alors que ferait-elle ? Que pourrait-elle faire, elle qui ne pouvait désormais que pleurer ?
Elle se décida à changer de registre. Plus de lamentations tragiques, plus de hurlements vides de sens, mais une chanson qui venait de se rappeler à elle.
- Love of my life, you heard me…
Elle chanta toute la nuit, une chanson vieille de presque cent ans, et presque oubliée à la surface. Elle repassa dans sa mémoire toutes les déclarations d’amour musicales, tous les trésors oubliés du début du siècle, et bien avant. Quelle que soit la langue, même si certains mots étaient approximatifs, elle garda éveillé bien plus longtemps ceux qui l’écoutaient, et le nombre de plaintes avait été drastiquement réduit.
Peut-être que si elle n’avait pas été une tueuse, elle serait devenue chanteuse, ç’avait toujours été une carrière populaire, mais jamais elle n’avait songé à l’embrasser. Pas assez de sensations fortes, sans doute. Pas assez de risque. Elle ricana doucement. Oui, le risque. Elle était en plein dedans, à tel point qu’elle ne savait pas comment elle allait bien pouvoir s’en sortir. Sauver sa vie, sans en compromettre une autre, une à laquelle elle tenait plus qu’à toute autre chose. Ça n’avait aucun sens. Plus rien n’avait de sens. Elle devait sauver plutôt que tuer, être sauvée plutôt que libérer, et se reposer sur d’autres pour pouvoir avancer. Et surtout, elle devait s’accrocher à la vie, de toutes ses forces, pour ceux qui espéraient encore la voir rentrer.
Elle s’en sortira. Elle s’en sortira, ça ne fait aucun doute. Elle a plus de puissance qu’aucun autre être sur cette planète, elle est protégée par les meilleurs avocats du monde, et c’est à se demander si elle est humaine. Je n’ai pas à m’inquiéter pour elle, sans moi, elle sera parfaitement capable de s’en sortir. Je ne suis qu’un poids, si j’avais réagir hier, nous serions déjà dehors.
Zelda avait beau se répéter ces mots, sans cesse, elle ne parvenait pas à se concentrer sur un plan d’évasion. Chaque fois, un tir, un choc, des éclaboussures, un visage baigné de sang lui venaient à l’esprit. Elle en rêvait la nuit, se réveillait en sursaut et demandait des nouvelles de sa Présidente à l’officier en charge de sa garde, qui lui répondait toujours laconiquement qu’elle allait aussi bien que quelques heures auparavant.
De nombreux rêves l’assaillaient, toujours différents, toutes les nuits plus horribles, au fur et à mesure que les jours passaient. Elle savait que tout serait fini au moment où la condamnation tomberait, et qu’elle serait sans appel. Elle signerait son arrêt de mort, littéralement. Mais comment y échapper ? Comment faire qu’elle y réchappe sans qu’aucune n’y laisse sa vie ? Elle ne refusait pas de sacrifier la sienne, mais quelque chose lui disait qu’elle se sacrifiait pour la bonne personne, et que celle-ci pourrait très bien faire la même chose pour elle. Il était donc hors de question de rester sans rien faire.
Et si… Non, elle en pouvait pas se reposer sur eux, elle connaissait la politique de l’organisation, les lâches, les faibles, les imbéciles incapables de se sortir d’affaire par leurs propres moyens ne méritaient pas de rejoindre leurs rangs. Un rictus étrange se dessina sur ses lèvres, tandis qu’elle se demandait duquel de ces groupes elle faisait partie.
- Les trois, surement…
Elle faillit éclater de rire en croisant le regard apeuré de son gardien. Non, elle n’était pas folle, malgré les rumeurs qui couraient. On pouvait passer la nuit à chanter des classiques oubliés, à pleurer un amour, à hurler à la Lune, et être complètement sain d’esprit, même s’ils en doutaient fortement. Enfin, tant qu’ils n’envoyaient pas de médecin pour la déclarer inconsciente de la gravité et de l’illégalité de ses crimes, ni pour l’envoyer à l’asile, elle ne voyait pas ce qui pourrait bien changer sans l’achever.
Sans l’achever… Ou presque ?
Un matin tiède se leva sur les murs imprenables de la prison. Tous les riverains avaient étrangement bien dormi, cette nuit-là. Aucun cri absurde, aucune chanson n’avait résonné jusque tard dans la nuit, aucune envolée lyrique n’avait réveillé les enfants avant que le soleil ne se lève. Certains se demandaient s’ils l’ont exécutée la veille, d’autres s’inquiètent d’une éventuelle évasion. Les enfants les plus curieux s’approchaient respectueusement des murs qui les séparaient de cet univers qu’ils ne voulaient pour rien au monde connaître, espérant entendre cette mystérieuse voix qui les berçait de chansons qu’ils n’avaient jamais entendues jusque-là.
Derrière le mur aussi, l’inquiétude était à son comble. Personne n’avait eu de problèmes pour dormir, à part le gardien de la cellule occupée par Joy, qui elle n’avait cessé de s’inquiéter, répétant sans cesse qu’il fallait aller voir, que quelque chose avait dû lui arriver, qu’elle était sans doute en mauvaise posture, qu’il fallait aller l’aider, que ce silence était trop anormal, mais personne ne voulait la croire. Et puis, avec les premiers rayons du soleil, un nouveau vacarme emplit les murs de béton.
- Un médecin ! Appelez un médecin !
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