Chapitre 33
- Zelda va bien ? hurla Louis en bondissant du fauteuil où il était assis depuis ce qui lui paraissait une éternité.
- Seule la famille aura le droit à des informations, répliqua le médecin en le foudroyant du regard, après avoir baissé son masque et retiré ses gants.
- Je vous en prie ! Dîtes-moi !
- Vous n’êtes pas de sa famille, Louis Dulac. Sortez d’ici et arrêtez de harceler ceux qui essayent de sauver cette femme qui ne mérite pas la vie, ou nous ferons exprès de…
L’homme en blouse blanche glissa son pouce sous sa gorge avec un sourire morbide. À cet instant, il aurait dû mourir. La seule lueur d’espoir qui avait brillé dans les yeux du jeune homme se changea en rage. Il se jeta en avant, le visage déformé, les dents apparentes, les mains prêtes à l’étrangler, lorsqu’une main se posa sur son épaule et le repoussa vers l’arrière. Une silhouette maigre, une chevelure indisciplinée et des mots qui ne laissèrent aucun doute.
- Ma sœur ! s’écria-t-il, paniqué. Comment va ma sœur ?! Docteur, s’il-vous-plaît, dîtes-moi !
- Votre sœur s’en sortira, soupira l’homme avec un regard sombre avant d’ajouter, malheureusement.
- C’est vrai ? C’est…
- Il y a vraiment des fois où je me demande pourquoi je fais ce travail… Sauver des criminels, je comprendrai jamais…
Mais l’autre ne l’écoutait plus. Il s’était effondré, pleurant silencieusement, le corps courbé vers l’avant, dans une position de soumission qui n’avait aucun sens aux yeux de l’amoureux inquiet. L’homme en blouse les laissa seul, non sans avoir auparavant dédaigné une nouvelle fois sa patiente. Louis aida le frère de Zelda à se relever et le laissa tomber sur un fauteuil, où il s’effondra à nouveau en pleurant à chaudes larmes, s’essuyant avec ses manches et le col de son pull. Tenant de le réconforter, le jeune homme lui tapa doucement sur l’épaule, tout en lui disant de sourire, qu’il devrait être heureux.
Lui l’était. Il était heureux. Vraiment heureux. Il en aurait presque pleuré, mais d’imaginer seulement le visage de Zelda si elle le voyait pleurer lui faisait retenir ses larmes. Et puis il se rappela de ce que lui avait dit Kazumi, juste après son appel.
Je crois qu’elle va pas bien. Elle a mal. Dis, tu veux bien aller la voir pour lui dire que c’est pas grave ? Tu peux lui dire qu’on va vite aller la sauver et que c’est pas grave si on joue pas ensemble, si elle est malade ?
Il revit ses petits yeux inquiets, rougis d’autant plus par leur couleur que par les larmes qui commençaient à y naître et ne put s’empêcher de craquer. Il allait pouvoir lui dire qu’elle allait bien, qu’elle pourrait jouer avec lui et qu’elle était assez remise pour lui reprocher d’être trop sensible. Lorsqu’elle sortirait, il lui dirait qu’il l’aimait, que peu importait qu’elle l’aime ou non, c’étaient ses sentiments, son bonheur, toute sa vie qui était en jeu, que si jamais elle refaisait ce genre de choses, il n’y survivrait pas…
- Mon Dieu, quel bonheur…, sanglota-t-il, quel bonheur…
À son tour, il essuya les larmes qui coulaient, tout en éclatant d’un rire un peu fou. Il entendait déjà les soupirs de soulagement, les reproches faits à mi-voix par un Swan au bord de la crise de nerfs, l’espagnol de Victoria, les larmes de tous ceux qui s’étaient inquiétés et qui ressemblaient à s’y méprendre à celles qui inondaient son visage. Il se tourna vers la seule personne proche et lui sourit, sans vraiment voir quoi que ce soit, tant il était aveuglé par ses larmes. Sans cesse, il effaçait les marques de son émotion, n’ayant qu’un bref aperçu de la situation autour de lui.
Ce ne fut que lorsqu’il remarqua l’expression du jeune homme qui l’observait qu’il se figea sans comprendre. Il y avait quelque chose dans ces yeux d’anormal. La courbe de ses lèvres également ne semblait pas naturelle. Il dégageait comme une odeur étrange, une impression…
- Pourquoi tu es heureux ? demanda-t-il d’une voix blanche, dénuée de toute joie, de la moindre compassion.
- Pourquoi… ? Parce qu’elle va vivre ! Parce qu’elle va vivre, enfin ! Pourquoi, tu n’es pas content ?
- Bien sûr que non, je ne suis pas content, répliqua-t-il brusquement. Si elle était morte, j’aurais enfin eu la paix ! Je n’aurais plus sa voix qui me dit sans cesse de faire ci, de faire ça, que les héros n’existent pas, que je n’en deviendrai jamais… Tout ça pour qu’en plus, elle devienne une meurtrière, une abrutie au service d’un homme qui ne fait que la manipuler, l’utiliser et qu’elle suit comme un petit chien parce qu’il lui a dit qu’il lui avait sauvé la vie ! Parce qu’elle croit que je suis heureux ! Elle croit tout ce qu’il lui dit, elle lui fait confiance, alors qu’il lui ment ! Moi, heureux ? Et puis quoi encore ? ET PUIS QUOI ENCORE, HEIN ? Et toi, tu es quoi ? Son copain ? Un de ces abrutis qui se croient plus forts que tout le monde parce qu’ils vont contre l’ordre établi, pour créer le chaos ? Pour prendre des vies ? Pour qu’ensuite on me demande, à moi, d’effacer vos traces ? De vous couvrir, alors que ça n’a aucun sens ? Alors j’ai tout gardé, toutes les recherches que la police m’a demandées de faire et qu’INRIS n’a jamais voulu révéler. J’ai tout ici, sur moi ! Je vais être le héros qui révèlera au grand jour ce que ni eux ni vous n’avez assez de courage pour annoncer !
Les larmes avaient cessé de couler, des deux côtés. La colère, l’ambition se dessinaient sur un visage fermé, concentré, trahi par des yeux qui brillaient devant le rôle magnifique qu’il s’octroyait. Face à lui, l’horreur se lisait sans faute dans les yeux de Louis. Dans une grimace figée, dans des yeux écarquillés, dans sa main tendue à mi-chemin entre sa bouche et l’ami qu’il avait cru avoir, quelque chose criait son inconfort, son besoin de disparaître, d’oublier les mots qu’il avait entendus. Mais même l’Optio ne peut effacer les souvenirs. Même l’Optio ne peut rattraper les mots après qu’ils aient été dits.
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