Chapitre 35

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- Zelda, il est parti, murmura Louis, qui avait enfin repris ses esprits.

- Nathan ! Retiens-le !

- Zelda, ça sert à rien, il est parti. Calme-toi.

- Mais… Nathan ! Louis, Nathan…

- Oui, il s’en va. Tout va bien, calme-toi, je suis là, tu n’as…

- Rattrape-le, Louis, il s’en va… Rattrape-le…

Il n’y eut pas un mouvement. Pas un souffle. Simplement de nouvelles larmes, qui s’écoulaient sans discontinuer sur le visage terriblement pâle de Zelda. Son souffle court l’empêchait de se relever. Peu lui importait les circonstances, elle refusait que la seule personne partageant son sang s’abandonne à la colère et la rejette comme si elle l’avait trahie. Cette résolution se brisa instantanément. Il ne lui fallut que lever les yeux vers le visage de Louis pour qu’elle se rappelle qu’elle n’était pas seule, qu’il y avait des gens qui tenaient à elle, qui comptaient sur elle. Et qu’elle avait eu les mêmes pensées, juste avant d’être… D’être… Que s’était-il passé, à ce moment-là ? Qu’est-ce qui lui était arrivé ? Pourquoi son Optio avait-il… ?

- Dis-moi, Louis…

- Oui ?

- Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

- On ne sait pas vraiment. La police aurait essayé de hacker ton implant pour avoir accès à tes souvenirs, mais le verrou de la Présidente était trop fort pour eux, et tu t’étais mise en veille volontaire, donc ils ne parvenaient pas à accéder à ton compte, nos ingénieurs se sont alliés avec Kafka sans savoir que c’était elle et ils ont pu les repousser et envoyer les preuves au tribunal. Ça a créé un paradoxe qui t’aurait fait perdre momentanément la maitrise de ton implant et de tes perceptions, anormalement augmentées, et ton cerveau a voulu rejeter ce qui l’empêchait de fonctionner correctement…

- Abrège, s’il-te-plaît. Les conclusions ?

- Pas de séquelles, simplement une fatigue musculaire et de tous les sens, donc beaucoup de repos. Je pourrais te ramener chez toi, mais la police veut te garder à l’œil, donc pour l’instant tu ne sors pas d’ici, tu retourneras en prison bientôt.

- Génial. Et Joy ? Tu m’as dit que vous vous étiez entraidés, mais ça va, elle ?

- D’après Velvet, elle l’a rarement vue aussi énervée et énergique. Il paraît qu’elle donne des ordres à tout le monde, qu’elle est en train de bloquer la communication avec la police, qu’elle voit ses avocats trois fois par jour et qu’elle surveille le projet Disney de tellement près qu’on pourrait croire qu’elle veut en savoir un maximum pour pouvoir participer.

- Ce sera le cas, tu sais.

- Non, légalement, elle a pas le droit. Mais rien ne dit qu’elle n’y sera pas en tant qu’organisatrice. Par contre, nous, on y sera. Enfin, si tu te sens assez bien pour le faire.

- Evidemment.

- Donc on lance le clip ?

- Attendez au moins que je sois sortie d’ici, je vous rappelle que c’est moi qui vais me remettre en danger avec cette histoire. Mais je pensais qu’il valait mieux ne pas aborder le sujet en public ?

- En public ? Ah, non, pardon, j’ai oublié de te prévenir que tu n’en avais plus pour longtemps ici, on passera te chercher, même si ils veulent pas. Je suppose que t’as rien contre ?

- Contre ? Non, bien sûr, même si j’espère toujours… Enfin, c’est probablement insensé, mais j’espère toujours qu’il… Non, ça n’a aucun sens. Bien sûr qu’il ne reviendra jamais sur ses mots. Il est trop fier. C’est de ma faute, c’est moi qui l’ai élevé comme ça…

- Tu avais sept ans, Zelda. Tu pouvais pas savoir. C’était pas ton job.

- C’aurait dû. C’est aussi simple que ça. J’aurais dû et rien de ce qui arrive maintenant n’aurait jamais…

- Bien sûr que si, tu es faite pour ça. De toute façon, tu aurais trouvé un moyen de résister…

- Arrête. S’il-te-plaît, arrête. C’est de ma faute et je ne vais pas réécrire le passé. Ce qui est fait est fait, je n’ai plus qu’à vivre avec, le nier ne m’avancera à rien. Dans combien de temps tu penses que je serais sortie de là ?

- Ça devrait plus tarder, je crois.

- Ca m’aurait étonné, aussi.

- Attends, je te balance une phrase super classe et tout et toi tu t’en doutais ?

- Tu aurais préféré que je te tombe dans les bras, comme toutes les filles dans ces films stupides ? Aucune chance. Pour ça, il aurait fallu que les gentils gagnent à la fin, que tout le monde les adore, que les deux personnages principaux se marient, tout en gardant dans leur entourage un noir, une femme, un asiatique et puis quoi encore… ?

Pendant que Zelda continuait sa critique cynique, une alarme se déclencha. Louis sursauta violemment, mais rien ne sembla la perturber. Elle continua à parler, tandis qu’il se retournait et se précipitait vers la porte pour regarder ce qu’il se passait. Au dehors, rien ne se passait. Du moins, rien d’inhabituel. Infirmières, personnel soignant, visiteurs et malades se retournaient vers l’origine du trouble. Il y eut un cri, qui fit instantanément accourir la meute de blouses blanches coutumière. Ce qui changea du tout au tout, ce fut la réaction des médecins lorsqu’ils furent entrés dans la pièce.

- Au bloc, vite !

Dans la confusion, les officiers chargés de garder la porte furent neutralisés sans que personne ne le remarque et deux voix se détachèrent du chaos ambiant.

- Eh bah, niña, tu croyais qu’on t’avait abandonnée ?

- Non mais vraiment… Comment tu arrives à faire ça ? Deux sauvetages en moins d’un an, et plus de blessures que pendant toute ta vie ! Zelda, franchement !

- Arrêtez de crier et sortez-la de là, s’il-vous-plaît, soupira Louis.

- C’est bon, elle n’a pas grand-chose, on peut…

- Taisez-vous et faîtes votre… !

- Zelda ?

Mais la jeune femme avait de nouveau perdu connaissance. L’appareil auquel son implant était relié se mit à hurler, entraînant la panique de tous ceux qui étaient rassemblés autour d’elle. Le jeune homme sursauta et se précipita vers elle, tandis que Victoria le rattrapait et l’éloignait, laissant la seule personne qualifiée faire son travail. Ils n’avaient pas choisi d’emmener le médecin pour rien, après tout. Il les avait mis en garde, il leur avait prouvé que cette possibilité était étrangement élevée et qu’il préférait être présent, afin d’éviter tout drame.

Et il leur sembla qu’il avait prévu quelque chose, au cas où ce cas se présenterait. Enfin, prévu, pas vraiment, mais il ne pouvait qu’espérer que ce qu’il avait bricolé pour l’occasion n’allait pas lui exploser à la figure. Normalement, soit il fonctionnait et tout allait bien, elle reprenait conscience, soit tout allait de travers, et il ne se passait rien. Absolument rien. Donc pas de danger. Il sortit donc en catastrophe un tissu de ses poches et le jeta sur le corps inerte. Il fit bien attention à protéger sa tête et à l’emmailloter dedans avant de donner le signal du départ.

Alors qu’ils descendaient par les escaliers de secours, Victoria, qui portait la blessée, le prit à part et lui posa la question qui semblait l’inquiéter depuis un certain temps déjà.

- C’est sans danger ?

- Normalement oui, assura-t-il d’un ton qui laissait suinter une pointe d’inquiétude.

- Normalement ? ¿Tú no eres… ?

- Je ne vois pas pourquoi ça pourrait rater, mais la dernière fois aussi, je croyais ça. Mon patient est mort plus vite avec mon intervention que sans.

- Rassurant.

- Très.

Ils continuèrent à dévaler les marches, perdant parfois l’équilibre, à courir à quatre de front. Ce fut le médecin qui arriva à l’extérieur le plus rapidement, après une chute contrôlée d’une dizaine de marches, de laquelle il se releva comme si de rien n’était et leur ouvrit la voie. Il jaillit plus qu’il ne sortit sur le parking de l’hôpital et leur fit signe de le suivre dans ses détours, jusqu’à un arrêt de bus où, justement, un véhicule semblait les attendre. La voix préenregistrée sembla leur souhaiter la bienvenue en débitant machinalement son Ligne 23, direction Vieille Ville, auquel ils répondirent par un empressement tel que l’espagnole dut les pousser pour le rappeler que le plus important, pour l’instant, c’était de rentrer dans le bus et de reprendre leur souffle.

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