Chapitre 38

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- Zelda !

Les trois voix hurlèrent de concert, mais n’eurent pour effet que de la faire retomber sur ses oreillers, les yeux scellés. Immédiatement, tous ceux qui attendaient à la porte firent irruption dans la salle. Tout le monde se mit à parler en même temps, des questions fusaient dans tous les sens, des crises de larmes et de panique éclatèrent sans attendre, et tout semblait hors de contrôle, à tel point qu’un instant, un passant se demanda si oui ou non elle était morte. Tout était si contradictoire, leur chef s’était effondré en pleurant et inondait la main de sa fille de larmes, Louis chantait ses louanges au plafond avec un air un peu fou, des yeux brillants de larmes, un sourire maladroit et ses mains qui ne s’arrêtaient plus de danser dans les airs. L’enfant criait et courait en tous sens, tandis que sa professeure enlaçait Mamoru sans même se rendre compte qu’il pleurait autant qu’elle, sous le regard stupéfait de Victoria, qui pouvait enfin respirer librement, après s’être laissée tomber sur un lit voisin.

- Quel soulagement, Zelda… Quel soulagement…, sanglotait la Présidente en se mouchant bruyamment, les mains jointes dans un geste de prière inutile.

- Qu’est-ce que vous avez tous ? Je ne suis pas morte, j’ai juste…

Le cri de douleur qui suivit ses mots rappela tout le monde à la réalité. Le docteur jura, l’informaticienne se jeta sur son clavier, et tout deux commencèrent une discussion animée, où l’un tentait de découvrir ce qui pouvait bien lui faire mal, l’autre comment empêcher le mal de l’atteindre trop fortement.

- Qu’est-ce que c’est, Fred ? tonna le boss, complètement pris au dépourvu.

- Qu’est-ce qu’on peut faire ?

- Qu’est-ce qu’elle a ?

- Zelda, qu’est-ce qu’il y a ?

Comme en réponse à l’avalanche de questions qui la submergeait, la jeune fille leva les bras en direction de la tablette en retenant son cri du mieux possible. Les larmes qui coulaient sur ses joues n’avaient rien de faux, pas plus que les convulsions qui l’agitaient. Elle agita vainement ses doigts vers son amie, à des kilomètres de là, plissa les yeux et tapa violemment sa tête contre l’oreiller, sans résultat. Elle réessaya, encore et encore, jusqu’à ce que quelqu’un l’arrête, pose une main sur son épaule et lui caresse les cheveux, comme une enfant. Les assistants du docteur allaient et venaient, se passaient une seringue de morphine, que leur chef leur refusait systématiquement d’un signe de la main. Ne la touchez pas, leur avait-il répété chaque fois qu’elle était arrivée dans un sale état. Ne la touchez pas, je m’en occupe. Il avait toujours tenu parole.

- Je ne comprends pas, Joy, elle va bien ! Son implant n’est pas mal placé, et tu me dis qu’il fonctionne parfaitement, alors quel est le problème ?

- Je n’en sais pas plus, toutes ses constantes sont normales, mais on dirait une réaction de rejet, quelque chose qui arrive habituellement juste après l’implantation, pas dix-neuf ans après… Il ne devrait même pas être accessible ou activé, ça n’a aucun sens ! Déconnectez-la, parlez-lui, faîtes en sorte qu’elle l’accepte, même si c’est complètement absurde… Pourquoi est-ce qu’elle le rejetterait ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Quelqu’un peut me dire ?

- Elle s’est disputée avec son frère, c’est tout ce que je sais ! Et avant, les docteurs disent qu’elle était toute seule, qu’elle faisait ce que faisaient la plupart des patients, qu’elle pensait, toute seule, dans son coin…

- Je veux bien voir s’il me reste des données sur le sujet de ses pensées, mais je ne vous promets rien, vous savez. La connaissant, elle avait dû éteindre son Optio…

- Vérifiez quand-même. Josh, vous la ramenez en salle de communication, Fred, vous vous débrouillez, vous la déconnectez complètement avant qu’elle perdre conscience ou qu’elle se mette à taper partout, les autres, dehors ! DEHORS !

Et en un instant, la scène de joie fut balayée par les pas d’une foule préoccupée qui battait en retraite, laissant seul le médecin, son adjoint et sa patiente.

Le silence qui tomba sur la scène n’en fut pas un. Constamment perturbé par des bruits métalliques, d’outils qui tombaient, de coups frappés contre les murs, comme si la folie s’était emparée de l’homme dans la pièce, tout était subitement inquiétant. Le silence des hommes, la voix des objets. Leurs cris. Terrifiants. Glaçants. Et rien de plus que cette porte fermée, ce corps redevenu immobile. Comme mort. Dont seule la poitrine se soulève régulièrement, mais dont les yeux sont clos, cernés, la peau pâle, les mains négligemment posées de chaque côté de son corps. Pas d’arme à ses côtés. Juste une mer de cheveux bruns sur un oreiller, un de ces pyjamas en plastiques d’hôpital, un drap blanc, et un médecin à bout de nerfs.

Il avait fini, après plusieurs minutes passées à arpenter l’infirmerie en murmurant, par s’avouer vaincu. Il s’était affalé sur un tabouret et fixait la jeune femme avec deux grands yeux vides, désespérément vides d’inspiration. Joy voulait qu’elle accepte son Optio, qu’elle arrête de le rejeter. Pour lui, ça n’avait aucun sens. Ce qui la rendait spécial, c’était ce lien qui la reliait à l’extérieur, qui faisait d’elle l’un des personnages les plus mystérieux, les plus attirants de cette réalité, cet implant qui faisait qu’elle pouvait aider tous ces gens, leur rapporter de la nourriture, des vêtements… Sans elle, ils allaient avoir du mal à s’en sortir, ils replongeraient dans leur anciens travers, dans le vol et les assassinats sur commande. Alors comment comprendre ce refus de toutes ces taches, de tous ces honneurs ? La peur ? Sûrement pas. La lassitude ? Bien sûr que non. Un choc, un traumatisme ?

Il ne voyait que ça. Et pour lui, rien de pire que l’amour pour bouleverser une vie. Rien de pire que ça pour envoyer paître les mauvaises habitudes et vouloir tout changer, du sol au plafond. Rien de pire pour une meurtrière que de se rendre compte de la valeur des vies qu’elle a fauchées. Mais elle n’y pouvait plus rien, c’était évident. Elle ne pouvait pas continuer comme ça. C’était…

Il soupira et laissa tomber sa tête en arrière. Tout ça, elle le savait très bien. Trop bien. Elle ne pouvait pas vouloir se déconnecter de son monde pour ces seules raisons stupides, auxquelles elle ne pouvait plus rien. Il pouvait toujours essayer de lui en parler, mais pourquoi est-ce que ça changerait quoi que ce soit ? Elle ne l’entendra pas. Elle ne lui parlera pas. Elle se contentera de dormir, sans cesse, de refuser d’ouvrir les yeux, de réveiller sa conscience. Son job, c’était de soigner les corps, pas les cœurs, ni les têtes, il n’y pouvait rien ! Il n’y pouvait plus rien, alors pourquoi est-ce qu’on attendait de lui qu’il y parvienne ? Ce n’était pas à lui de le faire… Non, ce n’était pas à lui. Il la connaissait peut-être depuis des années, mais pas aussi bien que Victoria, il n’avait pas autant de liens avec elle que Louis, il n’avait pas l’autorité d’un père comme Swan, pas la compassion ou la naïveté d’un enfant comme Kazumi, pas l’amitié de tout le monde, pas l’amour de Joy. Il était juste un médecin, certes un peu amoureux, mais pas plus que nécessaire. C’était raisonnable. Il le comprenait, il l’acceptait, mais il n’en deviendrait pas l’esclave, et il finirait par l’oublier. Comme d’autres avant lui.

Mais se lamenter ne faisait pas changer les choses, loin de là. Au dehors, tous avaient déserté. Sans un mot, sans un regard, ils étaient retournés à leurs travaux. Cours et entraînements servaient à extérioriser une douleur qu’on ne parvenait plus à garder enfermée, discussions et bavardages en tous genres à l’exprimer de manière à ce qu’elle soit compréhensible. Joy retournait chaque moment, chaque souvenir, tout en sachant pertinemment qu’elle n’en tirerait rien de concluant. Les moments les plus importants de sa vie n’avaient pas eu lieu sous ses yeux, mais à des kilomètres sous terres, ou simplement hors de la ville et des banlieues qu’ils surveillaient.

Tous savaient pertinemment que malgré les grands airs qu’ils se donnaient, les efforts qu’ils faisaient, il y avait toujours ce sentiment, cette impression d’inutilité, de faiblesse, cette idée qu’ils dérangeaient, que c’était de leur faute, finalement. Qu’ils n’auraient pas dû. Qu’ils n’auraient pas dû lui parler, ce jour-là. Qu’ils n’auraient pas dû l’aimer, cette fois-là. Qu’ils n’auraient pas dû la regarder, s’arrêter, lui sourire, la saluer. Qu’ils n’auraient jamais dû la rencontrer. Qu’elle n’aurait pas autant souffert, si ce n’était pas à cause d’eux. Que finalement, c’était eux, le problème, puisqu’il n’y en avait pas d’autres.

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