Chapitre 41
Il ne fallut pas plus de bruit que le silence pour que la nouvelle du réveil tant attendu de Zelda ne traverse le réseau souterrain de long en large et même plusieurs fois. Si Louis fut le premier à l’apprendre, Swan le précéda de quelques instants à la porte de l’infirmerie.
- Zelda !
Sa fille, papillonnant paisiblement les yeux dans les yeux avec son amante, se tourna vers lui et se contenta de lui sourire. Lorsqu’il se jeta dans ses bras, il fallut bien qu’elle étouffe un cri de surprise, mais pas de douleur. Elle lui murmura plusieurs fois que s’il continuait comme ça, il allait finir par la tuer, sans succès. Il la serrait aussi fort qu’il le pouvait, comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, qu’elle était bien là.
Tout à tour, les autres entrèrent une énième fois dans l’infirmerie, mais sans un bruit. Ils avaient assez pleuré, assez crié, la plupart avait les yeux cernés, encore rouges et le nez qui coulait. Ils s’étaient douté qu’elles, parmi tous les autres, saurait trouver les bons mots, les bons gestes. Ils savaient qu’elle était probablement la seule à pouvoir la comprendre complètement, non pas sans se tromper, mais sans la blesser assez profondément pour qu’elle se referme. Tous avaient cru connaître les raisons de sa blessure, sans en discerner la forme ou la profondeur, et tous s’étaient trompés. Ils n’avaient fait que rester en surface. Et ils s’en voulaient terriblement, sans pourtant comprendre ce qu’ils avaient fait de mal, où ils s’étaient trompés.
Assise dans son lit, la jeune femme laissa glisser son regard sur tous ces visages, comme redoutant d’en voir un. De nombreux détails lui échappèrent, des larmes et des sourires les trahirent, mais lorsqu’elle arriva au bout, quelque chose sembla se briser en elle. Son visage s’assombrit, des larmes scintillèrent au coin de ses yeux. Elle n’essaya même pas de les essuyer. Mais ce n’étaient pas des larmes de bonheur, de reconnaissance, ou quoi que ce soit d’autre. Non, c’étaient de véritables pleurs, un mélange de tristesse, de mélancolie, de douleur et d’un peu de solitude, dans un grand bol de ressentiment, de colère, de faiblesse.
- Ce n’est pas de ta faute, Zelda, ce n’est rien… Tu le retrouveras, c’est certain… Tu me l’as dit toi-même, on ne peut pas changer le passé, on ne peut que regretter les choix que l’on a fait et s’assurer de ne jamais les refaire, alors regarde devant toi…
- Il travaille pour toi, Joy, il travaille pour toi ! Tu te rends compte de l’injustice ? Tu l’as toujours auprès de toi, tu peux le voir quand tu veux, il t’admire ! Et moi, je suis là, haïe, dans l’ombre, à souhaiter de tout mon cœur qu’il me pardonne, qu’il comprenne que j’ai fait tout ça dans son intérêt… Il le sait, je le lui ai dit, et il…
- Il verra, lorsque le monde aura changé grâce à toi, que tu avais raison, qu’il avait tort, et il viendra s’excuser d’avoir été aussi idiot. Je sais que tu vas trouver ça difficile à croire, mais il le fera, j’en suis convaincue. Comme le reste du monde, d’ailleurs.
- Il… Non, je… Je sais que non…
- On ne peut pas rêver aussi fort de devenir un héros et ne pas reconnaître ses erreurs, Zelda.
- Si, on peut. On peut rêver de héros et… Et ne pas être dans le bon camp…
- Tu veux dire qu’il serait capable de nier une vérité qu’il a devant les yeux ?
- Il serait capable de nier que je suis sa sœur, que je suis en vie, qu’il veut me voir morte, qu’il…
- Tout va bien, tu es vivante, tu pourras réessayer de le convaincre…
- Alors qu’il se réjouissait d’apprendre que ma vie était en danger ? Alors qu’il n’attendait que ma mort pour se libérer de moi, pour tous nous mettre en danger ? Bien sûr que non ! Je n’arriverai jamais à le convaincre. J’ai fait l’erreur que je redoutais, j’ai fait l’erreur qui me coûtera ma famille, mes seuls liens du sang et qui met en danger ceux que j’aime. Il m’a dit qu’il nous détruirait, et il le fera, j’en suis sûre. Je n’en doute pas. S’il est bien des choses, il ne ment jamais.
- À ce propos…, l’interrompit Louis, resté en retrait, il m’a dit qu’il avait gardé toutes les données des crimes que vous aviez commis et qu’il les enverrait à la police avec les manières de les camoufler… Vous pensez que c’est dangereux ?
- Dangereux ? Au contraire, c’est exactement ce qu’il nous faut, c’est exactement ce qu’on cherche depuis vingt ans ! Qu’il le fasse, il sera notre héros !
- Vous êtes sérieux ? Il n’est pas là depuis longtemps, mais il pourrait vraiment vous faire couler, aider les autorités à vous trouver, vous empêcher de rentrer dans le périmètre de sécurité, ce n’est pas une information à prendre à la légère ! Il a probablement déjà…
- Il n’a aucune idée de ce qu’on peut faire contre ça. Josh, Joe, en salle de communication, passez le message aux autres poches de passer en mode tortue. Si vous croisez Aymeric, dîtes-lui de rassembler son équipe en salle informatique et de mettre en place le code alpha. Joy, si vous ne sortez pas d’ici, vous allez être extrêmement suspecte. À moins que vous ne vouliez officiellement entrer dans nos rangs ?
La Présidente se tourna vers son amour, qui la poussa et s’assit sur le bord du lit en évitant son regard.
- Tu veux vraiment que… ?
- Va-t’en. Il vaut mieux que tu restes là-haut et que personne ne sache que tu es venue ici. D’ailleurs, n’y remet plus jamais les pieds, reste en communication avec Scarlet, elle te dira quoi faire. Ne reste pas dans le périmètre, le code alpha va… Peu importe, va-t’en vite.
- Mais je…
- Cours !
- Je ne…
- Je ne te donne pas le choix ! Cours ! Cours et sauve ta vie, Joy Kafka !
- Mais Zel…
- Cours, bon sang ! Cours !
Personne ne bougea. Personne ne sembla comprendre. Et puis, au bout d’un moment de silence au cours duquel tous les yeux étaient fixés sur celle qui leur paraissait la plus dérangée, Victoria eut une illumination. Elle prit une grande inspiration, plaqua ses mains sur son dos et la propulsa au travers la pièce en hurlant en espagnol.
- Mais qu’est-ce qui vous prend toutes les deux ? s’offusqua Swan en leur jetant un regard réprobateur.
- Ce qu’il nous prend ? C’est simple, señor. Le code alpha est extrêmement douloureux pour les implantés, et vous le savez.
- C’est sûr, vu le nombre de fois où je me suis évanouie avant que le signal arrive à son apogée… En plus on perd systématiquement un certain nombre de données si on reste connectés pendant. Même complètement hors connexion, même en veille, ce protocole est une vraie torture.
- Vous voulez dire que… ?
- Ah oui, Louis, c’est ta première fois. Prend un lit, allonge-toi, met ta tête sous l’oreiller, mords dans n’importe quoi, dans le drap si tu veux, et attends la délivrance.
- Tu veux dire que… ?
- Ça fait mal.
- Muy mal.
- Bon, les filles, vous avez fini ? Ils doivent bien être dans les salles bunkers, maintenant, alors allongez-vous, vous me direz si ça fait toujours mal.
- Tu prends la peine de faire évacuer les gens avec une sensibilité aux ondes dans des pièces isolées mais ceux qui passent leur temps à les recevoir, c’est souffrez, tombez dans les pommes et…
- Boss !
Josh et Joe firent irruption dans l’infirmerie, la blouse de leur supérieur dans les bras et compte à rebours indiquant trente secondes dans la main.
- Vous savez où il est ?
- Le docteur ? Il est implanté, il a dû fuir en entendant parler du code. Vous pourrez poser la question à ceux qui gardent la porte, ils doivent savoir. Bon, on va vous laisser hurler un peu, on reviendra quand vous serez tombés dans les pommes, d’accord ?
- Vous ne restez même pas ?
- J’ai assez souffert pour aujourd’hui, ma fille. J’ai du travail…
Il sortit sans bruit et emmena avec lui les deux assistants. À peine la porte s’était-elle refermée que la douleur s’empara d’eux, les faisant un à un hurler puis perdre connaissance.
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