Chapitre 46
Les conseillers de la Présidente Kafka ont accepté de répondre à nos questions à propos de la vidéo de propagande diffusée et du piratage supposé de dizaines de milliers d’Optios. Malheureusement, la plupart de nos interrogations n’ont pas reçu de réponse satisfaisante ou suffisamment claire pour que nous puissions répondre clairement aux vôtres sans risquer de faire des erreurs, ce que nous souhaitons éviter à tout prix. Nous attendons donc plus d’informations pour pouvoir…
- Fichue Présidente… grogna Mamoru en levant les yeux au ciel. Même pas capable d’assumer ses responsabilités clairement.
- Laisse Joy tranquille, pour elle non plus ce n’est pas facile, murmura doucement la silhouette maigre qui gisait sous les draps blancs.
- Zelda ! Ne bouge pas, j’appelle le médecin.
- Inutile, je l’ai fait pour vous. Allez plutôt vous reposer, lieutenant.
- Boss… ? Est-ce que tout va…
- Faites ce que je vous ai demandé, s’il-vous-plaît.
- Mais vous veillez depuis des heures !
- Ne me faites pas vous l’ordonner, je ne suis pas là en tant que votre supérieur.
Il n’eut pas besoin de le répéter. Cependant, même s’il sortit de l’infirmerie, il n’alla pas se coucher. D’autres s’inquiétaient et devaient savoir qu’il y avait une amélioration de son état, qu’elle pouvait aller mieux. Il se dirigea donc vers la salle d’entraînement, où Victoria perfectionnait ses tirs en situation réelle contre différents types d’adversaires. Louis et son sabre laser en plastique faisait face, tandis que Kazumi dormait dans un coin de la pièce, son arc serré contre la poitrine.
- Zelda a repris conscience, les informa le jeune homme d’un ton calme.
Personne ne sembla le remarquer. Il eut l’impression de les déranger, avant de comprendre qu’ils l’avaient entendu, mais que leur concentration devait résister à cette nouvelle. C’était l’exercice du jour, sans doute, aisé en temps normal, mais nettement plus compliqué lorsqu’on attendait quelque chose d’aussi important. Il resta immobile, se préparant à patienter de longues minutes, peut-être même une heure. Pourtant, au bout de quelques respirations, ils relâchèrent la tension qu’ils avaient accumulée dans leurs muscles et se laissèrent tomber sur les tapis, le souffle étonnamment court.
Ils restèrent un instant silencieux, les yeux fixés sur un point que personne ne pouvait voir. Et puis, tout doucement, le corps de Louis s’affaissa. Tous les regards se tournèrent vers lui, plus ou moins interrogatifs. Il émettait un drôle de bruit, qu’ils ne parvenaient pas à différencier d’un éclat de rire ou d’une crise de larmes. Lorsqu’il dévoila son visage, à nouveau calme, Victoria se rapprocha de lui et le gifla.
- Pas de ça ici, tonto, lui asséna-t-elle en le prenant par le col. Les fous vont à l’asile, en cure, mais ils piquent pas leurs crises aquí.
- Victoria, qu’est-ce qu’il a ?
- Rien, je crois. Ça devrait aller mieux maintenant. Te estoy observando, si tu craques encore, je me fiche que tu sois nécessaire au plan, tu es mort.
- Qu’est-ce qui a ? Victoria, dis-moi !
- Je t’ai dit, rien qui te concerne, du moins plus maintenant, répliqua-t-elle se détournant. Toi, arriba ! On va la voir.
- Attends ! Le boss y est déjà, il m’a presque viré de l’infirmerie, il veut qu’on aille se coucher.
- Alors tu restes avec lui pendant que je vais la voir, et tu le garde à l’œil. Si tu dors, demande à Aymeric de le coller.
- Pourquoi ? Dis-moi, Victoria, qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que j’ai pas vu ?
- Nada. Nada importante, obéis-moi et tu finiras par comprendre. Ça devrait lui passer, mais au cas où, si tu as l’impression qu’il devient loco, assomme-le et appelle-moi. Ne le laisse surtout pas s’approcher d’elle sans surveillance, seguridad. Bonne nuit.
- Victo… Eh m…
Il avait essayé de la rattraper, mais la fatigue avait ralenti ses réflexes, et elle avant passé la porte avant qu’il ne lui barre le passage. Il soupira longuement et tourna la tête vers Louis, toujours affalé de l’autre côté de la pièce, hagard. Il fut tenté de lui demander ce qu’il avait fait, il ouvrit même la bouche, avant de la refermer. Ses yeux avaient cette candeur, ce brouillard que même les enfants n’ont pas. Qu’avait-il bien pu se passer pour que Victoria se mette en colère comme ça ? Et pourquoi avait-il l’impression que la personne qu’il avait connue jusque-là n’était plus ? Il s’approcha de lui, le poussa du bout du pied. L’autre n’eut pas d’autre réaction que de lever les yeux vers lui, sans comprendre.
- Louis, lève-toi. Je vais te coucher. Ah, attends, je vais prendre Kazumi, on va dormir dans les dortoirs, ce sera plus simple.
Il ne le lâcha pas du regard, se pencha sur l’enfant et le souleva avec peine. Il allait avoir du mal à le transporter jusque-là. Et il ne pouvait pas compter sur celui qui, maintenant qu’il était levé, ressemblait à s’y méprendre à un mort-vivant.
Alors que Mamoru désespérait d’arriver un jour au dortoir et de pouvoir se reposer, l’espagnole fixait intensément les yeux à demi ouverts de son amie, qui semblait incapable de se redresser. Elle était pâle, et c’était rare que ce soit aussi visible. Les larges cernes noirs qui bordaient ses yeux lui donnaient un air cadavérique qui inquiétait absolument le médecin. Il lui avait prescrit un repos absolu, le moins de discussions possibles, et il avait refusé de la quitter pour s’assurer qu’elle ne bougerait pas de son lit. Si quelques visiteurs avaient bien été autorisés, une règle d’or interdisait le moindre bruit, les mouvements brusques et les couleurs trop fortes. Alors ni le boss ni sa lieutenante ne pouvaient laisser s’exprimer leurs émotions.
Pour eux, le simple fait de lui serrer la main et de la voir sourire leur réchauffait le cœur, même si chaque effort qu’elle faisait semblait puiser profondément dans ses réserves. La seule chose qui paraissait améliorer légèrement son état, c’était lorsqu’on lui parlait de Joy. Les rapports journaliers de Scarlet que son père lui racontait lui rendaient des couleurs, faisant briller un peu ses yeux terreux et vides. Victoria s’entretint avec son chef, qui interdit immédiatement après les visites de Louis, interdiction bien inutile puisque personne, mis à part les lieutenants, ne l’avait aperçu depuis quelques semaines. Il se terrait dans une chambre, à l’opposé de l’infirmerie, silencieux et immobile. Les infirmiers venaient deux fois par jour le nourrir, les proches de Zelda l’entraient pour le garder en forme, mais s’il était seul, il restait assis sur le bord de son lit, les bras ballants, les yeux fixant l’obscurité. Ils avaient fait venir un psychologue de l’autre bout de la France, qui n’avait réussi qu’à leur expliquer ce qu’ils savaient déjà. Tant que Zelda ne serait pas rétablie, tant qu’il n’aurait pas compris comment dépasser son traumatisme, il resterait comme ça, comme un poisson dont la bouche s’ouvrirait uniquement pour ne pas mourir.
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