Chapitre 48

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Là-haut, au dernier étage d’une tour rivalisant avec la Dame de Fer, en plein cœur de la ville la plus connue au monde, la silhouette de la femme qui le contrôlait se reflétait sur son bureau. Traîtresse, murmurait son esprit tandis qu’elle repassait la discussion qu’elle avait eue avec ses conseillers quelques minutes auparavant. Elle entendrait encore leurs voix, leur surprise face à ses directives et leur incompréhension.

Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

Qu’est-ce qui lui était arrivé, hein ? Elle avait ouvert les yeux sur sa stupidité, voilà ce qui lui était arrivé ! Pourquoi est-ce qu’ils ne l’avaient pas fait avant ? C’était leur job ! Leur job ! Et quelqu’un d’autre avait dû le faire pour eux ! Alors oui, elle prenait enfin des décisions, elle faisait ce qu’elle voulait. Elle était en train de devenir vraiment adulte.

Et pourtant elle n’avait pas pu leur dire. Elle leur avait souri, elle leur avait menti, ils ne l’avaient pas crue, elle le savait, mais ils ne le découvriraient pas d’eux-mêmes et quand bien même ils le diraient au monde entier, ce serait une victoire de plus pour les réfugiés des ondes. Mais s’ils s’étaient réfugiés sous terre, c’était bien parce qu’elle n’avait rien dit lorsqu’on lui avait exposé le problème ? Parce qu’elle ne s’était pas opposée à leur éradication, lorsqu’on lui avait demandé d’envoyer deux éclaireurs vérifier les entrées de leur planque ? Parce qu’elle s’était contentée d’acquiescer lorsqu’on lui avait proposé de garder les informations sur les meurtres confidentielles ? Parce qu’elle avait accepté d’offrir aux familles des victimes des promotions, des dédommagements ? Parce qu’elle avait fermé les yeux sur les traitements des orphelins, sur les morts de l’électricité ? Quelle quantité d’énergie utilisait-elle qui vienne des efforts d’un enfant seul et exploité ?

Elle ne pouvait rien reprocher à Zelda, pas sur ses meurtres. Elles avaient chacune leurs victimes, chacune leurs raisons, toutes aussi mauvaises les unes que les autres. Elles étaient aussi coupables l’une que l’autre. Non, une avait pris ses responsabilités. Une avait reconnu ses torts, l’autre se cachait pour les garder secrets. Voilà ce qui les différenciait. Mais cette fois-ci, elle voyait clairement son devoir. On lui faisait confiance, il suffisait qu’elle accepte une conférence et qu’elle révèle tout ça, qu’elle publie des preuves, son propre témoignage Optique et toute cette harmonie, au dehors… Toute cette harmonie… La paix éclaterait. Les guerres reviendraient. Etait-ce le prix à payer pour retrouver sa tranquillité d’esprit ? Etait-ce le prix à payer pour libérer des milliers de personnes à travers le monde ?

- Qu’est-ce que tu racontes, Joy, enfin… murmura-t-elle à elle-même. Tout a un prix. Celui du mensonge est trop élevé, tu ne peux plus le supporter et franchement, est-ce que ce n’est pas quelque chose qui tu aurais dû faire il y a bien longtemps ? Est-ce que ce n’est pas la seule erreur que tu n’aies pas commise, mais dont tu es obligée d’assumer les conséquences ?

- De quoi vous parlez ? Du fait que vous sortiez avec ma sœur, ou de son implication secrète dans sa conspiration pour vous détruire ?

Elle releva la tête, tétanisée.

Négligemment appuyé sur la vitre blindée qui séparait son bureau de l’extérieur, il avait l’air complètement dans son élément. Un sourire mesquin aux lèvres, un air détaché sur le visage et ses yeux brillants si différents de ceux de sa sœur. Quand dans certains on lisait une grande détermination et l’ombre des larmes, dans d’autres il n’y avait qu’une rage froide, une moquerie enfantine, ridicule. Il lui fut particulièrement difficile d’accepter qu’il partageait le sang de son amante, tant son attitude lui paraissait contre-nature. Et au milieu du silence, elle vit ses lèvres s’étirer en un sourire qu’elle aurait qualifié de machiavélique.

- Vous ne dîtes plus rien ? Oh, elle ne vous l’avait peut-être pas dit, de peur de vous faire fuir ? C’est sûr qu’avec le sang d’une trentaine de personnes sur les mains, il est plus difficile de forces les autres à vous aimer…

Elle força ses mains à se détendre en les appuyant sur la table et contrôla le plus qu’elle le put sa chute dans sa chaise. Il fallait qu’elle appelle la sécurité. Si elle réagissait, il avait gagné et… Et sa victoire serait la sienne. Oui, tout ce qu’il fallait, c’était que la vérité sorte ! Et il allait le faire pour elle ! Pourquoi faire compliqué ?

Parce que tout est déjà prévu, imbécile.

Elle sursauta lorsque la phrase résonna dans sa tête, mais ça n’était pas un effet de son imagination. Elle avait reconnu la voix et il n’y avait mille façons d’entrer dans sa tête et de pouvoir comprendre ce qu’il s’y passait.

Bien. Maintenant, tu ne bouges plus, la sécurité arrive. J’ai envoyé anonymement les données de ton rythme cardiaque aux colosses les plus proches, tout ce que tu as à faire, c’est ne pas bouger, ne penser à rien de compromettant et ne pas engager la conversation. S’il fait quoi que ce soit de dangereux, ne bouge surtout pas. Compris ?

Il fallut que Joy déploie d’incroyables ressources énergétiques pour parvenir à suivre ses indications à la lettre. Rester immobile. Respirer, calmement. Ne pas croiser son regard. Elle savait qu’elle ne pourrait pas le supporter. Garder les deux mains appuyées sur la table. Inspirer. Expirer. Doucement.

- Vous attendez la sécurité ? Vous espérez qu’ils arrivent avant que vous ayez craqué ? Vous savez quel est le problème ? Tout votre immeuble est contrôlé par ma bonne à rien de sœur et sans elle je ne serais pas ici, parce que vos gorilles ne m’auraient pas laissés entrer. Mais vous les aviez écartés, un instant, pour pouvoir être seule. Pour réfléchir à des choses stupides. Je me trompe ? Dîtes-moi, parce que sinon, il se pourrait que je révèle à tout le monde que vous employez des rebelles, que vous les soutenez, pire encore, que vous les dissimulez !

Respirer. Faire entrer l’air dans ses poumons. Le faire ressortir, pour qu’il soit recyclé par les arbres qui entouraient le bâtiment.

- Je le savais, vous êtes tétanisée. Comment cette abrutie de Zelda aurait pu choisir une personne courageuse ? Bien sûr que non, il lui fallait quelqu’un de malléable, de doux, de soumis. Elle a vraiment bien trouvé, c’est rare qu’elle fasse les choses aussi bien !

Inspirer. Relâcher sa mâchoire, ne rien dire, ne rien lui cracher à la face. Et ne pas penser à elle. Ne pas penser à son sourire, à sa froideur, à sa silhouette dans l’obscurité, au sang qui s’écoulait de ses blessures… N’y pense pas ! Pense à autre chose, au soleil, à la ville, aux gens… À tous ces imbéciles… Non !

- Est-ce que tout va bien, madame ? grinça l’horrible sourire de celui qui se tenait en face d’elle. Est-ce que vous avez besoin d’aide ? Ne prenez surtout pas la peine de me répondre, vous savez que ce n’est qu’une question de temps avant que vous fassiez une erreur. Peu importe, après tout, vos pensées doivent bien vous trahir, n’est-ce pas ? Allez, ouvrez vos jolis yeux et montrez-moi que vous êtes terrorisée par un gamin de seize ans !

- Madame !

Un gorille fit irruption dans la pièce et se jeta sur l’intrus. Derrière lui, une dizaine d’autres se regardaient, hésitant à franchir le pas de la porte. Ils firent barrage, bien qu’involontairement, à une foule d’employés désarçonnés, incapables de véritablement comprendre ce qu’il se passait, et aux conseillers qui voulaient rejoindre leur cheffe. Ceux-là n’auraient pas pu plus mal tomber, mais étonnamment, ce qui leur parut le plus inhabituel dans la scène qu’ils avaient sous les yeux, ce n’était pas le fait qu’un colosse de la sécurité soit en train de menotter - sans véritable preuve d’un quelconque délit - un jeune homme parfaitement conscient et sain d’esprit. Non, c’était l’apparente assurance de cette femme, qu’ils croyaient connaître depuis sa naissance et qui, malgré ce dont ils étaient persuadés, était restée calme en surface, les mains tranquillement posées sur son bureau, les yeux fermés.

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