- II -
La chasseresse hésita à s'en aller tout de suite, Finn étant en mauvaise posture face à son aînée. Sans pitié, celle-ci fit mine de lui taper le front avec un maillet, et le garçon se crispa sous ses féroces vociférations.
Ses cris surpassaient le brouhaha environnant, et ils ne décroissaient pas ; le pauvre Fiin se décomposait à mesure que le ton montait.
Elle devait intervenir, non ?
Avant qu'elle ne puisse s'exécuter, une puissante tape s'abattit sur son épaule, la faisant tressaillir. Quand elle se retourna, un colosse barbu lui souriait avec bienveillance.
- Nydia ne lui fera rien, promit-il. Elle veut seulement que son petit frère ne traîne pas là alors que c'est dangereux.
- Oooh... Je vois.
Même avec les circonstances de l'altercation éclaircies, Irya décida de limiter les dégâts avant de partir. Après tout, Fiin l'avait aidée ; elle lui devait bien d'arranger les choses.
La voyageuse prit congé du grand ouvrier, puis avança vers la fratrie. Par chance, le chemin n'était pas trop encombré ; elle n'eut aucun mal à les rejoindre. La Dryun remontée finit par remarquer son approche et oublia temporairement sa victime.
- Si vous le réprimandez sur sa présence ici, apprenez qu'il s'agit en partie de ma faute, lui avoua posément Irya. Fiin est venu car il me conduisait auprès de patchas Zyr. Alors, s'il vous plaît, ne soyez pas trop dure.
L'aînée haussa un sourcil, puis dévisagea le garnement. Ce dernier fit une moue suppliante, la plus mignonne et attendrissante qu'il puisse composer. Sa ruse fit effet ; l'expression de Nydia s'adoucit légèrement. Elle grommela quelques mots et, pour faire bonne mesure, infligea une pichenette au chenapan. Il couina sous le coup et frotta son front endolori, puis décampa sans demander son reste. Non sans s'attarder près d'Irya et la remercier tout bas pour son soutien.
Sa sœur le regarda remonter avec une pointe d'amusement, toute sévérité envolée, avant de se reporter sur leur hôte.
- Donc vous voulez voir patchas Zyr ?
- Oui. Fiin m'a dit qu'il était dans un cabanon. Mais...
Irya étudia les alentours ; la foule de gens, plus dense que jamais, entraverait sa marche. Il y eut un vide l'espace d'une seconde ; cela fut bien assez pour lui permettre d'apercevoir sa destination... et d'écarquiller les yeux de stupeur.
Dans la paroi qui se dressait face à elle, l'adolescente comptait bien six entrées qui s'enfonçaient loin sous terre. Ce n'était pas tout : une rangée surplombait la première, et plusieurs autres creusaient la roche. Ses yeux verts s'égarèrent dans une contemplation vertigineuse, et elle mordilla une de ses mèches errantes en les comptant.
Si seulement sa blessure ne l'avait pas retenue au lit ; elle aurait pu repérer un minimum les lieux. En s'aventurant au hasard, l'adolescente risquait de s'égarer.
Maintenant, elle regrettait tellement de s'être brouillée avec Sünghya ! Lui l'aurait conduite en un éclair à son rendez-vous.
Un soupir dépassa ses lèvres à la réalisation qu'elle n'arriverait à rien sans requérir l'aide d'un local pour l'accompagner, ou du moins pour lui indiquer la bonne direction. Quitte à déranger...
Irya fronça les sourcils face à cette perspective, mais elle devait s'y résoudre. Un dernier soupir, et la chasseresse se tourna vers Nydia occupée à ranger ses outils. Elle ouvrit la bouche, prête à présenter ses excuses pour l'inévitable ennui causé, mais sa langue n'eut guère l'occasion de formuler une syllabe que l'ouvrière la devança :
- Inutile de demander ; je vais vous emmener à notre patchas.
- Ah... Mer... merci, mais... Vous avez encore du travail, non ?
La Dryun ferma le coffret puis retira ses gants épais. Elle les fourra dans les poches de son tablier avant de répondre :
- Il y a des embranchements qui précèdent le cabanon, souligna-t-elle en quittant l'habit. La plupart sont des raccourcis. En sachant lesquels emprunter, on peut l'atteindre sous peu. Et en ce qui me concerne, je peux bien m'absenter : de toute façon, ma pause ne va pas tarder.
Irya ne trouva rien à redire et suivit Nydia qui partait du chantier, plaçant ses pas dans les siens pour prévenir tout accident. Elles contournèrent la zone de travaux pour un passage plus sûr et dégagé. Les ouvriers qui les virent saluèrent leur camarade ; ils lui posaient parfois des questions quant à son départ ou un autre sujet, auquel Nydia s'expliquait de manière brève.
Enfin, elles arrivèrent à hauteur des entrées : la Dryun en dépassa trois et s'engagea dans la suivante, Irya sur ses talons. Au moment de s'engouffrer à son tour, une vague d'hésitation la submergea et bloqua son pied avant qu'il ne se pose.
L'adolescente se secoua ; avant qu'il ne devienne trop puissant, elle écrasa ce sentiment et glissa à son tour dans la galerie.
Ses yeux s'habituèrent à l'obscurité ; elle constata bientôt que jaillissaient ci et là des recoins sombres quelques écarlites aussi grosses que son pouce. Leur nombre, comme autant de petites étoiles dans la nuit, compensait largement cet attribut et, ainsi, les cristaux luminescents capturés par la roche fournissaient un éclairage suffisant qui permettait d'éviter les obstacles et les personnes. Car oui, l'ouvrière et la voyageuse n'étaient pas seules à emprunter ces tunnels dignes des ouvrages nains ; ici, la largeur suffisait tout juste pour deux personnes côte à côte, et par endroit, le plafond frôlait les têtes. Les plus grands s'abaissaient pour ne pas se cogner, et ceux chargés de caisses remplies de marchandises prenaient garde aux autres usagers.
On entendait souvent les plaintes d'un homme ou d'une femme dont on écrasait les pieds ou à moitié assommés.
Contrairement aux occupants, Irya évoluait mal dans cet espace si restreint, oppressant et étouffant, qui la séparait de l'air libre. Son imagination indomptable s'imposait à elle ; la jeune fille craignait d'être avalée vivante par la terre. Par réflexe, sa main glissait contre la pierre poreuse afin de conserver une prise, même minime. Mais pour ne pas se laisser distancer, l'adolescente se forçait à adapter son rythme à celui de la Dryun, assurée dans sa démarche.
À trop se focaliser sur elle, l'adolescente n'accordait plus assez d'importance à ses propres pieds.
Irya sentit la catastrophe, lors sous sa semelle droite un caillou vagabond se déroba. Elle glapit et, grâce à ses réflexes entraînés, se retint de justesse à Nydia, le cœur emballé.
La chute avait été proche...
- Tout va bien ? s'enquit sa guide en la redressant.
Ses joues brûlèrent de honte face à cette humiliation ; elle marmonna une parole reconnaissante, puis repartit d'un pas vif, rancunière de ces maudits souterrains tout caillouteux qui la tournaient en ridicule.
La chasseresse avait grand hâte de sortir, et plus tôt elle rejoindrait Zyr, plus tôt ce serait fait !
Pareillement aux affirmations de l'ouvrière, cette dernière et Irya durent emprunter des couloirs et dévier à plus d'une reprise. Il arrivait que le sol s'affaisse en pente douce ; il pouvait mener à des corridors plus spacieux et éclairés qui débouchaient sur des cavités. En passant près de ceux-ci, la jeune fille devinait qu'il s'agissait d'axes principaux menant au cœur du village. Leur route les en éloignait ; elles tournèrent dans une nouvelle branche et, petit à petit, finirent par ne plus croiser personne.
Arriveraient-elles au centre du monde si elles continuaient ? Les minutes s'accumulaient, et ce dédale ne connaissait aucune fin. Elles bifurquaient, descendaient ; les allées se ressemblaient toutes et se confondaient au regard d'Irya.
Elle commençait à croire de ne jamais atteindre le cabanon, avant que la Dryun ne les arrête devant une embrasure. Là brillait une lampe, accrochée juste au-dessus d'une porte ronde. La chasseresse devina qu'elles étaient arrivées, avant que sa guide ne le confirme :
- Voilà, patchas Zyr vous attend de l'autre côté. Lorsque vous aurez terminé, n'hésitez pas pour demander à une personne de passage de vous conduire à la sortie.
- Merci encore, til Nydia.
Sa phrase fit rire la Dryun qui lui offrit un clin d'œil amical. Irya ne put s'empêcher de penser que la chaleur qui se dégageait d'elle ressemblait beaucoup à son cadet.
- Disons que c'est de la part de Fiin. Sur ce, je vous souhaite bonne chance.
Elle laissa la voyageuse, et rebroussa chemin pour rejoindre le grand air. Irya attendit que sa bienfaitrice quitte son champ de vision avant de s'avancer vers l'entrée. Elle toqua trois fois sur le bois lustré ; le bruit creux résonna dans ses oreilles. La chasseresse n'eut pas à attendre bien longtemps : la porte bascula d'un côté, révélant l'intérieur d'une pièce vide où se réunissaient autour d'une table des membres du conseil qu'Irya reconnut.
La jeune fille aperçut aussitôt Zyr, assis sur son siège au milieu du petit comité ; ses yeux ridés scintillèrent alors que son invitée les rejoignait et il l'accueillit à bras ouverts :
- Nous n'attendions plus que vous, til Irya ! Installez-vous à nos côtés, je vous prie : en cette heure, nous avons à parler de choses capitales.
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