Un champ de tournesols
Elle est ici, et pour rien au monde elle ne voudrait être ailleurs.
L'herbe lui chatouille les cuisses et sculpte un coussin confortable qui lui réchauffe le ventre. Dans son vieux t-shirt d'une couleur indéfinissable et son short tout-terrain, elle est allongée dans ce pré si chaleureux qu'elle connaît depuis sa plus tendre enfance. La tête posée sur ses mains et soutenue par ses coudes, elle admire la vue. Elle pourrait la décrire les yeux fermés, et pourtant, elle ne s'en lasse pas.
Du haut de sa falaise, la ville où elle est née lui paraît si lointaine, et pourtant elle n'est qu'à une centaine de mètres de dénivelé. Au milieu de son petit jardin, alors que les premiers rayons du Soleil pointent le bout de leur nez, elle se sent libre. Si elle était pourvue d'ailes, ou si elle était aussi légère qu'un pétale de fleur, elle chuterait et se laisserait guider par le vent où il voudrait bien la mener.
Seulement, elle ne veut pas d'une fuite éternelle. Toutes les belles choses ont une fin.
Même son livre qu'elle a tenté, tant bien que mal, de ne pas dévorer. Il ne lui reste que quelques pages à lire, et elle veut les savourer. Le dénouement de l'histoire ne l'intéresse pas vraiment, mais la fin d'un conte signifie qu'il lui faudrait en chercher un autre ensuite. Son mari lui reproche parfois d'être un peu trop absorbée par sa lecture, et de ne pas faire attention au monde qui l'entoure.
Mais voilà, elle ne s'évade pas. En fait, elle cherche un mot précis dans ces livres, un terme capable de décrire la vue par laquelle elle est envahie chaque matin. Un seul mot.
A la faible lueur du matin et dans la fraîcheur restante de la nuit, elle tourne une page. Une deuxième. Une troisième. Et finalement, le livre se referme, laissant un sentiment de vide au fond de son cœur. Le mot qu'elle cherche n'est pas apparu.
Comme pour changer d'idée, elle change de position, et s'assoit. Le Soleil sera bientôt visible. Elle se lève, se déplace de quelques pas aussi légers que gracieux, puis se laisse glisser au pied d'un cerisier dans lequel elle avait l'habitude de grimper. Celui-ci, dans toute sa grandeur, fait face à un immense champ de tournesols. Il tient de multiples rôles, mais le plus important est celui de gardien.
Il garde un jardin secret.
Confortablement installée, elle admire cette nouvelle vue. Celle-ci, elle ne la connaît pas, et la découvre de nouveau chaque matinée ensoleillée. Comme un élégant fleuve à la couleur du miel, les rais de lumière viennent se déposer délicatement sur chaque corolle blonde, illuminant les gouttes de rosée qui brillent de mille feux. Un à un, les tournesols s'éveillent. Telle une danse synchronisée, ils se tournent vers le Soleil, s'élevant au loin. Les abeilles se mettent au travail, et virevoltent parmi les tiges, jusqu'à trouver le nectar idéal. Certaines d'entre elles sont déjà recouvertes de pollen qui se disperse sous forme de paillettes dorées. Leurs ailes bourdonnent une mélodie apaisante tandis que chacune débute sa course de la journée.
Au beau milieu de cette harmonie, un enfant court. C'est un petit garçon.
Il écarte vigoureusement les tournesols en travers de son chemin. Ses genoux sont écorchés, et ses lacets défaits. Lorsqu'enfin, il parvient à traverser le champ, un large sourire se dessine sur son visage taché de chocolat.
Il est venu chercher sa mère, encore éblouie par le spectacle auquel elle vient d'assister.
Celle-ci, en apercevant ce petit bout d'être humain entouré par son jardin favori, parvient finalement à trouver le mot qu'elle cherchait depuis tout ce temps. Elle est sûre de l'avoir lu dans ce livre-là. Elle tend la main, tourne quelques pages, puis relève les yeux sur la scène.
Enivrant.
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