Un homme autiste
Il est difficile de distinguer son corps, ses traits et expressions quand il est dans cet état. Tournant à vive allure, je ne vois qu'un tourbillon de cheveux, de bleu et de membres. J'entends son rire, cristallin, c'est un moment heureux, il est dans son monde où tout à l'air plus coloré, plus beau et poétique. Il s'arrête et me regarde, le sourire aux lèvres, les yeux plissés, il rit encore. Je sens mes joues s'étirer pour l'imiter. Puis il se détourne de moi et part dans la cuisine, là où quelque chose l'intéresse plus, notre mère qui prépare à manger.
Je me lève du canapé et les rejoints. Il est penché sur la table, il dépasse ma mère d'au moins une tête et demie, du haut de son mètre soixante-dix. Enfin il triche un peu puisqu'il est en permanence sur la pointe des pieds. Un défaut, une qualité je ne saurais le dire, mais surtout une conséquence de sa pathologie. Aujourd'hui si l'on souhaite qu'il pose les pieds à terre, il écarte ses grandes jambes, ses pieds regardent chacun de leurs côtés et il se penche en avant, le tout dans un équilibre précaire et désagréable. Ses pieds sont déformés, leurs courbes jalouseraient les danseurs artistiques et ses mollets musclés feraient rougir les cyclistes.
Le voilà reparti, il saute maintenant et se rattrape sur la porte, euphorique de voir la tarte enfournée. Je lui propose un petit massage devant la télé pour le faire patienter. Il me suit et prend la couverture. Il se couche et soulève cette dernière pour que je m'installe à ses côtés. Il veut un câlin, de l'attention. Je lui en donne alors et lui fais des bisous, le mordille les doigts. Il aime bien cela. Il rigole encore plus fort qu'avant, il aime que l'on joue avec lui. Même à 22 ans, il a gardé son âme d'enfant. Je commence à lui chatouiller le ventre et monte petit à petit vers ses aisselles. Son regard est rieur, il est heureux en cet instant, son rire apporte de la joie dans chaque pièce de la maison.
Ce temps de jeu, je l'utilise comme un apprentissage, mes doigts se posent sur son visage et je lui présente chaque partie et il les répète. Je trace son grand front, descend vers ses yeux bleus profonds, glisse sur son nez en trompette, joue avec sa courte moustache, puis pince ses lèvres charnues. Je pose ma main sur ses joues, chaudes et rougies et l'embrasse sur chacune d'elles. Il m'ébloui de toutes ses dents blanches et droites. Je passe ma main dans ses cheveux châtains et m'amuse avec certaines de ses boucles.
N'étant pas dans une position confortable, je me redresse, il en profite pour lui aussi se lever avec beaucoup plus d'énergie que moi, et court ouvrir le four et vérifier que son repas n'était pas une illusion. Je profite de sa présence dans la cuisine pour lui demander de me prendre un verre qui se trouve en hauteur. Il s'étire puis me le donne. Ce geste a soulevé son t-shirt froissé par tous ses précédents mouvements. Son ventre bronzé et très légèrement bombé est apparu. Ses poils s'hérissent, je lui tends un pull qu'il met sans hésiter, ses bras musclés sont alors couverts. Cet habit est saillant et accentue ses épaules carrées. Il est beau, sportif, sans son handicap, il aurait brisé des cœurs.
Il commence à s'impatienter, ses poings sont serrés, sa mâchoire tendue. D'un coup, sa main droite vient taper son menton, puis avec sa paume il frappe fort son front. Je me précipite et retiens ses poignées pour qu'il arrête ses mutilations. Ses cris ont alerté mes parents qui viennent autour de nous. Il se débat encore et crit avec de plus en plus de puissance. Après quelques minutes à essayer de comprendre la cause de sa colère, ma mère ouvre le placard, et lui donne des gressins. Il se calme, prend le paquet et se pose sur le canapé. Cette crise terminée, nous nous permettons de souffler à l'unisson.
La tarte est prête, on l'appelle et il vient récupérer son assiette, j'insiste pour qu'il nous dise "merci". Une fois le mot sorti il repart avec précipitation. Je vais m'assurer que tout va bien, sa serviette est posée sur ses genoux, il tient ses couverts et entame son repas tout en regardant la télévision. Il est apaisé, nous aussi, nous espérons juste qu'il ne va pas recommencer et que nous pourrons passer une bonne soirée.
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