Chapitre 12
Des dizaines d’années auparavant
Maman m’a appelé pour manger. Mais je n’ai pas faim. Mon estomac se retourne à chaque fois que je pense aux derniers événements. Je suis triste et en colère contre eux. Adélie n’a rien fait, et pourtant, c’est elle qui souffre le plus. Germaine et maman ne comprennent pas que l’heure est grave. Elles préfèrent fermer les yeux…
J’ai encore mal à ma joue. Maman n’y est pas allée de main morte. Elle était si en colère contre moi… Elle ne s’est calmé que lorsque papa est arrivé. Il n’est pas resté avec nous, il est allé directement à la cave. J’ai peut-être rêvé mais j’ai cru voir des seringues dans son sac. J’espère me tromper. Maman continue de m’appeler. Je fais semblant de dormir pour ne pas y aller.
Ma famille me dégoute, je ne veux pas les voir. Mais je veux quand même les sauver…
*
Un bruit vient de me réveiller en sursaut. Je m’assois dans mon lit, le cœur battant aux bouts des lèvres. Tout est silencieux maintenant. Comme s’il ne s’était rien passé. Je suis sûre que je n’ai pas rêvé, il y a bien quelque chose qui m’a réveillé. Mais quoi ? Alors que je m’apprête à me recoucher, le bruit se reproduit et mon cœur sombre dans ma poitrine. C’est le son que produit la cave lorsqu’on l’ouvre. J’avais espéré qu’Adélie se trompait, qu’elle mentait. Mais maintenant je suis persuadée que ce qu’elle a dit sur papa est véridique. Il va rentrer en action ce soir.
J’ai peur. Mes genoux tremblent lorsque je pose mes pieds sur le sol. Je calme ma respiration avant de sortir silencieusement de mon lit. Je dois prévenir maman. Elle m’écoutera peut-être cette fois, il le faut. La chambre de maman est en face de la mienne. Je m’engage dans la couloir avec prudence. Papa n’est nulle part en vue. Je franchis un quelques pas la faible distance qui me sépare de la pièce où dort ma mère. Une fois à l’intérieur, je secoue maman pour la réveiller. J’ai beau y mettre toute mon énergie, elle n’ouvre pas un œil. Je commence à sangloter. Pourquoi elle ne réagit pas ? Je désespère et vais voir Germaine. Toutes les deux, on pourra peut-être sortir maman de son sommeil…
Je traverse le couloir à grande vitesse. Là, je m’agenouille à côté et la malmène. Malheureusement, rien n’y fait. Je me laisse tomber contre le lit et me mets à pleurer. Pourquoi elles ne se réveillent pas ? Je ne comprends pas tout de suite, puis la lumière se fait dans ma tête.
Il n’y a que moi qui n’ai pas mangé, il n’y a que moi qui n’ai pas goûter le plat préparer par mon père. Papa avait dû mettre un somnifère dans le dîner !
Je retourne dans ma chambre en vitesse. Il faut que je prévienne quelqu’un. Je vais passer par la fenêtre et aller chercher de l’aide. Les voisins ont un téléphone. Je vais aller chez eux. J’espère juste en avoir le temps… Mon cœur cogne dans ma poitrine à m’en faire mal. Mes mains tremblent lorsque j’ouvre la fenêtre. Mais impossible d’ouvrir les volets. On dirait que quelque chose bloque de l’autre côté. J’ai soudain très peur que papa ait fermé toutes les issues. Je me précipite dans le couloir. J’essaye d’ouvrir la porte d’entrée mais elle aussi est bloquée. Je m’effondre sur le sol en retenant mes pleurs. Papa a condamné toutes les issues.
Nous sommes tous coincées.
Je ne sais pas quoi faire. J’ai peur et je suis désespérée. Un sentiment d’impuissance s’empare de moi. C’est comme si on me jetait du haut d’une falaise sans rien pour ralentir ma chute. Dès que je trouve une idée, elle est immédiatement inutile dans cette situation. Que faire sinon retourner dans ma chambre et attendre mon triste sort ? Je ne vois pas d’autres possibilités…
Soudain, j’entends des marches grincer. Quelqu’un remonte les escaliers. Un faible halo de lumière éclaire les marches le plus en haut. Je cours au salon, complétement terrorisée. Je me cache dans un angle, entre le mur et la table. De là, je peux voir l’entrée du salon sans que l’on puisse me voir. Je vois une ombre s’étirer vers moi. C’est alors que je vois papa. La lumière que j’ai vu dans les escaliers est posée quelque part derrière lui. Je ne le reconnais pas.
Il a le visage renfermé, les yeux au fond des orbites. Il a des traces de griffures sur son visage. Je vois même du sang qui tombe sur le sol. Dans ses mains, il tient des chaînes, une scie et une seringues. Les chaînes se balancent périodiquement. Il reste dans le salon et inspecte l’obscurité. J’essaye de contenir mes larmes et mes tremblements. J’ai peur. J’ai peur qu’il me voit. J’ai peur qu’il m’attrape et m’emporte dans la cave.
Il fait enfin demi-tour. Je sors de ma cachette avec précaution. J’ai juste le temps de voir la lumière disparaître dans la chambre de maman. Après ça, je me retrouve plongé dans l’obscurité. Il va sans doute faire les chambres une part une. Ma chambre est la plus au fond du couloir, il ne verra pas tout de suite que je n’y suis pas.
Le désespoir m’inonde à nouveau. Je ne sais pas où aller. Toutes les issues sont fermées. Une idée me frappe soudainement. C’était comme si je recevais une bassine d’eau glacée. Il me reste une issue ! Les souterrains ! Papa n’a pas refermé la porte coulissante. Je commence à descendre sans faire de bruit. Si papa m’entend… Je préfère ne pas y penser.
Soudain, les cris de maman retentissent. Elle hurle et crie d’arrêter. Mes larmes coulent, mon corps tremble et je me retiens de crier moi aussi. Une boule dans ma gorge se forme et me fait souffrir. Papa fait du mal à maman… J’arrive en bas des marches. Il fait totalement noir, à l’exception de la lumière de la Lune. Elle provient des pièces sur le côté. Je parviens à comprendre que la porte de la cave est ouverte.
« Adélie ? murmurais-je.
- Charlotte ? Tu ne leur as pas dit de partir ? C’est trop tard maintenant…
- Elles n’ont pas voulu m’écouter. Mais je vais e détacher, ensemble on passera par les souterrains. Papa ne nous rattrapera pas. On va aller chercher de l’aide.
- C’est bien trop tard pour moi.
- Mais non, ne dis pas de bêtise… »
Mais larmes coulent abondamment. Je lui avais promis que je la sortirais de là, qu’elle pourrait à nouveau marcher sur l’herbe. Je ne veux pas la laisser ici… Pas comme maman et Germaine…
« Si, c’est trop tard. Je suis défigurée, difforme, sans plus aucun cheveux. Les expériences de papa m’ont tuées à petit feu. Il ne reste plus de mon que mon esprit. Mon corps ne m’appartient plus depuis longtemps… Papa m’a injecté un produit pour me tuer. Je vais mourir, ce n’est plus qu’une question d’heure. Je suis condamné à rester ici pour l’éternité, prisonnière de la cave… Mais toi, toi tu peux vivre ! Tu peux peut-être encore sauver notre sœur et notre mère. Pars. Pars et sors de cet enfer.
- Mais j’avais promis de te délivrer…
- Pars Charlotte. Et vis pour moi. »
Je me suis retournée pour partir. Je ne voulais pas les laisser, mais Adélie a raison : je peux encore sauver le reste de ma famille. À l’idée de perdre ma mère et mes sœurs, une larme de glace transperce mon cœur. Mes larmes coulent et je me retiens une nouvelle fois de pousser une plainte. Je suis dévastée par mon choix.
D’un seul coup, les escaliers s’allument. Je me cache dans un coin. J’entends les cris de maman. Papa la traîne dans les escaliers. Il la tient fermement par les cheveux. Il la jette et l’attache devant la porte de la cave. Mon père lui sert les poignets avec les chaînes jusqu’à ce que le sang apparaisse. Maman gémit péniblement. Elle ne peut plus bouger. Elle pleure elle aussi et un filet de sang coule sur sa tempe. Papa remonte après lui avoir donné un dernier coup de pied. Il laisse la lumière allumée, se qui rend le scène encore pire que tout.
Dans l’obscurité, je n’avais pas vu tout le sang provenant de la cave. Maintenant, je vois des traînées pourpres et des morceaux de dieu- seul- sait quoi sur le sol. J’en envie de vomir mais rien ne sort. Je fais un pas en avant pour aider maman. Comme je sors de ma cachette, elle me voit. Son regard s’arrête sur moi, sur mes larmes. Elle voit que je suis saine et sauve pour le moment. Tandis que je refais un pas dans sa direction, elle me fait un signe de tête négatif. Elle me fait comprendre que je dois partir d’ici, que je dois la laisser. Elle a le regard sévère, comme lorsqu’elle me gronde.
Adélie pleure dans la cave. Maman entend le bruit et regarde dans la direction. Elle écarquille les yeux en comprenant que sa petite fille est là, bien vivante depuis tout ce temps. Je fini par sangloter et tourner les talons. J’ai juste le temps de voir sa main serrer celle d’Adélie, comme pour lui donner du courage. J’ai ouvert la trappe des souterrain. Pendant que je rampe dans la boue, j’ai l’impression d’entendre de nouveaux cris. J’espère me tromper.
Une fois dehors, je cours. Je cours comme jamais je n’ai couru. Je laisse derrière moi ma maison, ma famille et l’horrible scène qui se joue. Les cris de Germaine percent le silence apaisant de la nuit. Ils finissent par s’atténuer à cause de la distance. Je cours encore et encore jusqu’à la fin de notre domaine. Je ne sais pas trop où se situe la maison de nos voisins. Mes pieds nus sont couverts de sang et j’ai mal. Mais je ne saurais dire si la douleur provient de mes pieds en sang ou de l’intérieur de mon corps.
Finalement, je retrouve la route qui mène aux voisins. Après des minutes et des minutes interminables de course, j’arrive devant leur maison. Mme Delay est dehors. Lorsqu’elle me voit, elle me prend dans ses bras. Je lui dis d’appeler la police. Tandis qu’elle m’amène à l’intérieur, je lui explique tout. Elle semble choquée et horrifiée par mon discours. Son mari appelle les policiers dès que sa femme lui demande. Il ne pose pas de question. Mon état en dit long sur la situation.
La police est arrivée dix minutes plus tard. Mais ça n’avait pas été assez rapide. Ils sont d’abord allé dans ma maison. Une heure plus tard, les ambulances sont arrivées. Lorsque le commissaire est venu dans la maison des Delay, il avait le regard vide. Toute émotion semblant l’avoir quittées. Il apportait de mauvaise nouvelle. Maman, Germaine et Adélie étaient mortes. L’expert était sans appel. Et papa s’est ensuite suicidé dans une des chambres.
Je n’avais plus de famille.
J’étais seule.
Pour toujours.
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