Chapitre 14

7 minutes de lecture

15 août 2020


Mes prières ont été exaucées ! Je ne me suis pas réveillé de toute la nuit. C’est la première fois que j’arrive à dormir correctement depuis un mois. Pas un cauchemar, pas un seul mauvais rêve de toute la nuit. C’est assez spectaculaire pour être souligné. Même si mes terreurs nocturne étaient moins nombreuse qu’au début, il m’arrivait régulièrement d’en faire. On ne se demandera pas à qui la faute.


Pour une fois, je suis de bonne humeur le matin. Julie n’est pas encore debout. Je vais aller la réveiller. J’ai envie de l’embêter et je ne me suis toujours pas vengé de la dernière fois. Quatre heure du matin, c’est un record difficile à battre. Mais bon, il y a un début à tout !


*


Julie avait littéralement sauté hors du lit en hurlant ! J’étais parti dans un fou rire incontrôlable lorsque j’avais vu sa tête. Elle avait jeté toute ses peluches en me criant dessus. Ça ne m’avait pas fait bouger pour autant, bien au contraire. Je m’étais effondré sur le sol, en me tenant les cottes. Julie était sortie de son lit pour venir à côté de moi. Les cris avaient alerté mon père. En rentrant dans la chambre, il avait dû halluciner. Des doudous étaient dispersés dans la chambre et nous étions en plein milieu du champs de bataille. Il m’avait sermonné gentiment en me disant de ne pas rigoler aussi fort. C’était ironique, puisqu’il s’était mis à me chatouiller seulement quelques secondes plus tard !


Après le repas de midi, je me suis enfermé dans ma chambre. Je vais finir de lire. Au moins, je laisserais cette sinistre histoire derrière moi.


Journal,


Je ne sais comment écrire… Mon âme saigne et mes doigts tremblent… Cela fait des années que je n’ai pas ouvert ce carnet. Je l’avais laissé derrière moi, loin de toute ma nouvelle vie. Il me rappelle de mauvais souvenirs. Malheureusement, je vais devoir en écrire un autre…


J’habite dans la maison de mon enfance depuis maintenant cinq ans. J’ai réussi à obtenir une place en tant que secrétaire, dans une banque. C’est là-bas que j’y ai rencontré mon mari. Il effectuait une maintenance dans l’entreprise. Dès que nos regards se sont croisés, nous avons su que nous étions faits l’un pour l’autre.


Il est incroyablement bon avec moi. Il est d’une gentillesse et d’une bonté que peu de personne possède. Le mariage n’a pas tardé. Nous avons eu deux merveilleux enfants. Deux fils en bonne santé et vigoureux. L’un se nomme Frédéric et l’autre Jean-Pascal. Je les aime comme je n’ai jamais aimé personne auparavant.


Ils savent tous pour Adélie. Mon mari ne voulait pas habiter dans cette maison. Il préférait que je laisse tout tomber pour partir avec lui. Mais j’étais enceinte et lui n’avait pas d’économie. Alors nous étions restés ici. Cela a été quelque peu compliqué au début, mais mon époux a finalement accepté l’idée. Il s’y est fait au fur et à mesure du temps. C’était lui qui avait tout expliqué aux enfants. Ils ne comprennent pas tout, mais ils n’ont pas peur, c’est l’essentiel.


Tout allait bien. Nous filions le parfait bonheur dans cette maison particulière. Je savais que cela ne pouvait durer…


Un matin, mon fils ainé a voulu descendre voir sa tante. Nous avions convenu qu’ils devaient nous demander avant d’y aller. J’avais peur pour eux dès qu’ils s’éloignaient un peu de moi. Je les couve trop. Enfin, j’aurais peut-être dû en faire d’avantage…


Je lui avais dit qu’il pouvait y aller. Je m’occupais de son frère, âgée d’à peine un an. J’étais dans sa chambre lorsque j’ai entendu crier. C’était un hurlement horrible, terrible et ne présageant que le malheur. Il provenant d’en bas. Avant même que je me lève de la chaise sur laquelle je me trouvais, il y a eu un claquement de porte.


Mon cœur avait fait une embardé. J’avais laissé mon fils dans son berceau et étais descendue immédiatement à la cave. Mes pieds semblaient pesés une tonne. Ma tête me tournait. J’avais peur de se que j’allais trouver. Les derniers hurlements similaires que j’avais entendu remontés à la nuit de la tuerie. Lorsque mon père était allé chercher Germaine.


Avant d’être parvenu en bas, j’avais vu qu’il y avait quelque chose d’inhabituel. Autour de la porte, il y avait du sang. Une grande flaque qui continuer de s’étirer au fil des secondes. Mon fils était introuvable. Un froid surnaturel planer dans le sous-sol. J’étais seule à la maison. Pourtant j’ai entendu des sons qui ne pouvait venir que d’une personne. C’était une sorte de bruit de mastication. Avec effrois, j’ai compris que cela provenait de derrière la porte.


Je m’étais précipitée sur celle-ci. Je voulais l’ouvrir et découvrir ce qu’il s’était passé. Mais elle était verrouillée. J’avais beau y mettre toutes mes forces, la porte était restée close. En désespoir de cause, j’avais essayé de parler à ma sœur :


« Adélie ! Ouvre-moi ! Adélie ? »


De longues minutes se sont écoulées. L’attente était interminable. Le silence est peu à peu revenu. Mon cœur battait la chamade. J’avais peur. Tout cela faisait remonter des moments de mon passé. Des moments dont je n’avais aucune envie de me souvenir. Il y avait eu un bruit de cliquetis. La porte était enfin déverrouillée. Pourtant, je ne pouvais me résoudre à l’ouvrir. La peur me paralysait sur place.


« Adélie ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Réponds-moi !


- Qui… Qui es-tu ?


- C’est Charlotte, c’est ta sœur !


- Ma sœur…


- Où est Frédéric ? Il est avec toi ? D’où vient ce sang ?! Réponds-moi ma sœur !


- Il… il est avec moi… »


Sa voix était lointaine. Comme si ce n’était pas vraiment elle. Il est vrai qu’elle avait des problèmes de mémoires, mais là, c’était différent. Jamais elle ne m’avait demandé qui j’étais. C’était la première fois qu’elle m’oubliait. Je ne reconnaissais pas ma sœur. Et cela n’a fait qu’amplifier ma peur.


« Qu’est-ce qu’il s’est passé ?


- Il… il… il n’a pas sonné… il m’a vu… il n’a pas sonné avant d’entrer… il n’avait pas le droit.


- Je ne comprends pas, il est avec toi ?


- Oui… enfin… plus ou moins… »


Ces dernières paroles m’avaient rempli d’effroi. Il était arrivé quelque chose. Mes mains tremblent à l’idée d’écrire la suite… Je veux m’ôter cette image de la vue, je veux effacer la moindre trace de ce souvenir. Pourtant, je ne peux que continuer à vivre avec…


C’était épouvantable…


La flaque de sang que je voyais à mes pied continuait de grandir. Le sang provenait de l’intérieur de la porte. Adélie n’avait plus de corps. Tout ce sang ne pouvait venir que de mon fils. Lorsque je m’en suis rendu compte, un éclair de colère m’a traversé de part en part :


« Qu’as-tu fait à mon fils ?!


- Il m’a vu… il n’aurait pas dû… »


C’en était trop pour moi ? J’avais ouvert la porte et avais donné un coup sur la sonnette. Au moment où j’avais posé ma main sur l’interrupteur, à l’instant où j’allais allumer, Adélie avait terminé sa phrase :


« … je l’ai puni… j’avais faim… je lui ai mangé le cœur… »


Je ne suis pas capable d’écrire la peine et l’horreur du spectacle qui se trouvait devant moi. Mon fils gisait sur le sol, un trou béant dans la poitrine. Le sang s’écoulait par à-coup de la plaie. Il avait du sang qui dégoulinait sur le coin de ses lèvres. Le pire, le plus affreux, c’étaient ses yeux… Il avait les yeux figés dans un mélange d’horreur et de douleur. Cette image me hantera jusqu’à la fin de mes jours…


J’avais accouru pour le prendre dans mes bras. Je me suis assise dans le sang de mon enfant. Les larmes coulaient abondamment sur mes joues. J’avais l’impression que mon cœur était brisé en un million de particules. Des lames de glace me transperçaient tout le corps. Jamais ne n’avait eu aussi mal… Je tenais mon fils dans mes bras, en le berçant tendrement. Je savais au fond de moi qu’il ne pouvait plus m’écouter. Mais je m’étais mis à pseudonner la comptine que je lui chantais lorsqu’il faisait des cauchemars :


« Dors, dors mon petit gars

Les moutons sont dans les prés

Et les agneaux sont rentrés

Dors petit ange adoré

Dors, dors mon petit gars

Dors, dors mon petit gars


Les étoiles ont brillé

Ce sont des agneaux dorés

Et la lune est leur berger

Dors dors mon petit gars

Dors dors mon petit gars


Petit chien sauve toi donc

Va-t’en garder les moutons

Sans réveiller mon garçon

Dors, dors mon petit gars… »


Il n’a jamais pu m’entendre… Oh… Mon fils… Adélie l’a tué…


Depuis ce jour, les funérailles ont eu lieu. Mon mari voulait partir, il voulait laisser cette maison maudite derrière lui. Je l’en avais empêché. Je ne peux pas laisser cette maison à d’autres :


« Pourquoi doit-on rester ? Je ne laisserai pas un fantôme tuer mon autre fils !


- Je ne le veux pas moi aussi. Mais nous ne pouvons pas partir. Pas dans ces conditions. »


Je le comprends. Moi aussi je voulais partir. Au fond de moi, je savais que c’était la meilleure chose à faire pour protéger ma famille. Mais je ne le peux pas. Il faut que je reste. Cette maison doit rester dans la famille. La confier à d’autres serait une erreur.


Je n’ai jamais pu tenir la promesse faite à ma sœur. Je n’ai pas pu la délivrer. Je suis responsable d’elle, du moindre de ses actes. Il est donc de mon devoir de prévenir les prochaines générations. La maison restera dans la famille. Donné au premier né, l’héritier aura comme devoir de faire passer la règle.


Le devoir de ne pas laisser d’autre mourir.


Le devoir de se souvenir.


Le devoir se rappeler qu’il faut toujours sonner avant d’allumer.

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