Chapitre 7 — La vérité en face des yeux

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Les minis s’étaient échappés. Disparus en un clin d’œil, soit aussi vite qu’ils avaient fait irruption dans mon existence. Ils me laissaient sur le carreau avec mes doutes. Je ressassais chaque événement de ces dernières minutes, chaque parole, et regrettais tout. Je les avais brusqués, faisant fi de l’urgence de leur situation. Je n’avais pas pris leur quête au sérieux, malgré son importance capitale. Deux vies étaient en jeu et, sans mon aide, Ghislain devait se faire un sang d’encre.

Quelle erreur de ma part… Quel égoïste je faisais !

Après plusieurs minutes sans eux, sans leur vacarme ou leurs facéties interminables, je ressentais un véritable malaise. Leur présence me manquait. Ils m’avaient communiqué une telle joie de vivre durant ces derniers jours que j’avais eu l’impression de perdre un morceau de moi, de revenir en arrière. Un retour vers ma vie ordinaire et inintéressante de retraité, séparé de sa femme. Malheureux. Et seul.

Oui, c’était ça, mon problème, finalement… la solitude !

Satanée solitude ! Me retrouver entouré de ces sales bêtes m’avait aidé à l’oublier, mais elle revenait en force. Plus déterminée que jamais à s’installer dans ma vie.

Depuis le départ de Lydie, je fulminais contre vents et marées, trouvant un bon prétexte pour la pointer du doigt, au moindre problème. En réalité, je retournais ma frustration contre la mauvaise personne. Ce que je redoutais de plus en plus, sans m’en rendre compte, c’était bien cette solitude. Grâce aux minis et leur encombrante présence, je m’en étais éloigné. Je comprenais enfin la douleur dans laquelle je vivais, avant leur rencontre.

Tous les vieux fous finissent seuls, répétais-je souvent. Allons donc, voilà que je devenais le vieux fou de mon propre adage !

Après tout, j’étais le seul à les voir, ces extraterrestres miniatures. Je pouvais tout aussi bien avoir perdu la tête. Maintenant qu’ils s’étaient volatilisés, je commençais à douter de leur existence. De moi. De tout. Je craignais même de les oublier. Une peur panique m’envahissait.

Si j’étais le seul à les voir, et si je les oubliais, alors, ce serait comme s’ils n‘avaient jamais existé ?

Je croyais aux minis… Je ne les cherchais pas, inlassablement, pour rien… Surtout en pleine nuit ! J’avais besoin de me rappeler d’eux. L'oubli me faisait aussi peur que la solitude.

De quoi revoir mon proverbe : tous les vieux fous finissent seuls, et ensuite, ils oublient tout.

J’avais l’impression que mes nombreuses pensées devenaient la cause de mon essoufflement. Je marchais à grandes enjambées depuis quelques minutes, mais quand même… Peut-etre commençai-je à oublier de penser ?

José avait raison, comme mon psy avant lui, j’avais besoin de repos. Lydie me l’avait maintes fois répété, par le passé. Pour quelle raison, déjà ? Ça, je l’ignorais. Lydie et moi avions vécu ensemble si longtemps que je ne me rappelais pas de l’existence que je menais avant de la rencontrer. Nous étions si jeunes, à l’époque. Rien ne nous prédestinait à cette longue vie commune. En y repensant, je retrouvais le sourire.

Je me rappelai son visage amusé, lorsque je m’aventurais dans des farces parfois très mauvaises, mais aussi ces moments marqués à tout jamais en nous : notre mariage ; la naissance de Paul ; celle de nos petits-enfants ; nos voyages innombrables ; et les jours paisibles de notre quotidien.

J’avais atteint le centre-ville, près de l’église où Lydie et moi nous étions mariés. Nous avions juré de nous aimer, et ce, au moins jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Doucement envahi par les images marquantes de ma mémoire, je me rappelai de ce jour et je pleurais.

Je me rappelai de Paul, bébé, gémissant, lové dans nos bras et je pleurais.

Je me rappelai de notre famille, unie et heureuse, et je pleurais.

Les minis disparus, je pleurais encore et encore.

Je priais pour les retrouver, convaincu qu’ils avaient rendu mes jours meilleurs. Convaincu que je pouvais leur rendre la pareille.

Et je pleurais...

Une averse tomba, précédée d’un grondement violent. Je restais assis sur les marches, devant l’église. D'humeur changeante, j'esquissai un sourire dont le sens m’échappait.

« Mon Dieu, pensai-je, il se met à pleuvoir et tu as oublié tes parapluies, Ghislain… comment vas-tu t’en sortir ? »

De par leur petite taille, les minis avaient toujours redouté la pluie. À leur échelle, la moindre goutte représentait une menace mortelle. Ni plus, ni moins.

Je me relevai et me dirigeai, instinctivement, vers le cimetière, de l’autre côté de la rue.

« Mais bien sûr ! Il y aura certainement des fleurs dans ce cimetière… bien joué Ghislain ! »

J’espérai qu’il avait réussi à s’abriter quelque part à l'intérieur.

« C’est toi qui as raison, hurlai-je à tout hasard. On n’a pas le temps de gamberger avec mes petites histoires. Une naissance est en jeu ! Tu vas devenir papa, Ghislain ! Et ça, c’est la plus belle chose qu'il puisse t’arriver ! C’est ce qu’il m’est arrivé de mieux, tu m’entends ! Alors, s’il te plaît, laisse-moi t’aider ! »

L’espoir revenu, je ne pleurais plus.

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