LE PUNI DE SERVICE.
Patron d’une petite société, je savais qu’il finissait toujours tard le soir, largement après ses employés.
Situé juste à un kilomètre de la route principale, on accède dans une clairière ou se trouve l’entrepôt.
Je suis passé plusieurs fois pour repérer l’endroit, mais plus souvent de jour et à bonne distance, pour éviter que l’on me voit, le chemin se termine en impasse.
Je suis préparé ce soir là, quelques bonnes rasades de mon alcool préféré, histoire de me donner du courage.
Un jouet pistolet, plus vrai que nature, des morceaux de bois solides, genre rouleau à pâtisserie, une oreillette et un dictaphone.
Pour faire plus méchant, une cagoule, un gros blouson, des gants et trois ou quatre rouleaux de chatterton à usage multiple non défini.
Un couteau à viande bien pointu compléterait la panoplie.
La plupart du matériel dans un petit sac à dos je me gare à coté d’un complexe de restaurants situé près de la route, et pas trop loin de l’embranchement champêtre.
Je suis meurtri quand j’arrive enfin dans la petite clairière.
Je vois un bureau éclairé, une seule voiture devant, celle de Gabriel sans nul doute.
Je me souviens, des dires de ma copine, qu’il aime les grosses allemandes.
Par contre, je ne sais pas à quoi il ressemble, mais dans ma tranche d’âge à coup sur.
Je ne l’imagine pas fricoter avec quelqu’un de trop jeune ou trop vieux, on a son amour propre quand même.
La lumière s’éteint, je m’avance doucement à coté de la voiture le dos courbé, j’ai saisi une des matraques.
J’entends les bips d’un clavier, celui du bureau sans doute, et le claquement d’une serrure.
Des pas s’avancent vers moi, et d’un seul coup, la voiture s’illumine.
Merde ! Je rampe derrière le coffre, et je m’accroupis.
Être méchant, c’est tout un métier, pas le mien, j’apprends sur le tard, et là j’ai plutôt l’air embarassé, planqué derrière.
La portière claque, le moteur démarre, je n’ai pas bougé, je suis tétanisé.
Je réfléchis à toute vitesse, parce que s’il recule, il m’écrase. Si je me lève, il me voit et m’écrase quand même par peur.
La voiture se met à bouger, je passe tout doucement dessous.
Je glisse mon bâton dans la jante arrière, un début de craquement se fait entendre et la voiture freine enfin.
J’entends le frein à main, la portière s’ouvre et je vois de dessous, des pieds qui s’approchent.
« C’est quoi ça ? »
Je vois le manche bouger, il est en train de tirer dessus pour le dégager.
Je l’entend crier d’un seul coup, ses pieds qui dérapent dans le gravier, je vois un corps qui tombe en arrière et le silence d’un moteur qui ronronne.
Je suis en train de me dégager.
Je m’avance doucement vers lui, je suis en train de fouiller dans mon sac pour sortir mon faux pistolet.
Il ne bouge pas, mais je l’entends respirer fort.
Je fais quoi maintenant ?
Le chatterton, il faut que je l’empêche de bouger.
Je met l’arme factice dans ma poche, je le retourne sur le dos, je lie ses mains et ses jambes.
Je coupe le contact de la voiture, les phares s’éteignent doucement et je le regarde.
Je vois mal, peu d’éclairage, mais on dirait quelqu’un de belle prestance.
Je descend ma cagoule, c’est idiot avec le peu de lumière, mais j’ai prévu un scénario complètement débile pour lui faire peur.
Je dois me faire passer pour un gros bras, tout au moins un enquêteur chargé par le mari de trouver l’amant de sa femme. Pas moi, l'autre, enfin, je me comprends.
Comme dans ces films de série Z, je dois en avoir trop regardé.
Il est en train de gémir, il tente de bouger.
« Qu’est ce qu’il s’est passé ? Pourquoi je ne peux pas bouger ? Qui êtes vous ? »
Je me racle gorge,je tente de prendre une grosse voix. C'est complètement idiot, il ne me connait pas.
« C’est moi qui pose les questions, tu la fermes. »
Je lui met le pistolet sur les lèvres, comme dans les films, je n’ose pas lui enfoncer dans la bouche et lui faire mal.
J’ai encore des choses à apprendre pour faire le vilain de service.
« Je t'explique, tu me réponds et je te laisse partir. Dans le cas contraire, tu risques de perdre des morceaux de toi. On est d’accord ? »
« Si vous voulez de l’argent, le sac dans la voiture, tout y est, prenez tout. »
Je descend le pistolet sur son genoux, comme je l'ai vu faire.
« Je pose des questions et tu réponds, tu ne vas pas bien marcher si tu n’écoutes pas. Tu me dis oui, si tu as compris. »
Je sens sa peur, mais il me dit oui.
« Je vais donc t’expliquer. J’ai été engagé par un certain monsieur, qui veut savoir si tu as baisé sa femme. Il n’est pas très content et veux que tu disparaisses définitivement de son horizon. Tu comprends disparaître ? «
Il acquiesce de la tête.
« Donne moi le nom de cette personne, pour voir si on tombe d’accord . »
« Catherine, Marie, Julie, Sylvie, une autre Marie. Je crois que j’en ai oublié, je suis désolé, je cherche. "
Je ne m’attendais pas à ça, je lui demande quoi maintenant ?
Mince, il est plus pourri que je le croyais, je ne pourrais jamais raconter ça.
J’ai oublié de sortir mon dictaphone, ça ne fait pas professionnel.
Je fais semblant de le mettre en marche, et le met à coté de sa bouche.
« Recommence lentement, j’ai besoin de faire mon rapport. »
Il me réitère sa phrase et je continue.
« Cites moi les noms de famille. »
Il me décline certains nom que je ne connais pas d’ailleurs, mais je reconnais celui de ma copine.
« C’est bon, j’appelle mon employeur, c’est lui qui va décider ce qu’il faut faire de toi. »
Je m’éloigne de quelques pas, je fais mine d’activer l’oreillette de mon téléphone, que j’ai laissé chez moi d’ailleurs.
Je fais semblant de parler doucement, pour qu’il m’entende, et je le regarde.
« Bonsoir monsieur, oui, je l’ai trouvé, il est en face de moi.
« Quand ? Je lui demande tout de suite.
Marie Portefeux, c’était quand ? »
« Il y a trois mois, j’ai appris par une amie commune qu’elle travaillait toujours. J’y suis allé, juste pour la voir, par curiosité, et ça c’est enchaîné, je ne peux pas m’en empêcher. Je suis désolé, dites lui que je suis désolé. De toute façon, elle ne veux plus me voir. Elle m’a dit que c’était juste pour remuer et effacer un souvenir qui l'empêchait d'avancer.»
« Oui monsieur, il vient de le dire. Ça s’est passé comme vous dites.
« Que je lui coupe ? Je vais voir, mais ce n’était pas prévu.
« D’accord, je fais au mieux. Merci pour la prime. Bonsoir monsieur. »
Je fais semblant de raccrocher.
« Il veut que je te coupe quelque chose, il n’est pas content. Tu comprends ce que je dis ? »
« Je vous en prie, je vous donne de l’argent, je vais me débrouiller, prenez tout, mais ne me
faites pas mal. »
Il commençait à geindre, je ne voulais plus le regarder.
J’avoue avoir pitié. Je n’en aurais pas fait plus, mais je me force à rester dans ce rôle de composition qui me décompose.
« On va passer un accord. Je ne te dois rien, mais un homme à besoin de tout son matériel. Tu m’écoutes ? »
« Oui, oui, je suis d’accord sur tout, je vous écoute. »
« J’ai un mouchard sur le téléphone de la dame. Si je sais que tu tentes de la contacter, je finis le boulot. Si je sais qu’elle tente de t’appeler, je finis le boulot. Si je sais qu’une amie parle de toi, je finis le boulot. Si j’entends encore parler de toi, je finis le boulot. Comprends tu ? »
« J’ai tout compris, je suis d’accord, je suis d’accord. Je ne toucherais plus jamais une femme mariée, je vous le jure. »
Il se remet à geindre, je l’entend dire « Merci, merci. » entre deux reniflements.
Là, j’ai un problème, si je le détache, il va appeler les flics, ou me sauter dessus.
Il faut que j’improvise, je n’ai pas pensé a tout.
« Je te laisse un couteau, tu pourras te détacher. Je prends ta voiture et je la laisse sur le parking des restaurants que tu dois connaître. Les clefs seront derrière le pare soleil. Si j’entends parler de flics, monsieur le saura sûrement, je reviens te voir dans une semaine ou un mois. J’ai un contrat et j’ai du temps, c’est mon boulot. Ou se trouve ton téléphone ? »
« Tout est dans la voiture, dans la sacoche. Merci, je vous remercie. »
Je lui jette le couteau à ses pieds, après l’avoir soigneusement essuyé, ça se fait dans les films.
Je tire d’un coup sec le bâton de la roue, mais je fais attention, un accident est si vite arrivé.
Je ramasse les morceaux que je met dans mon sac.
Dés que je démarre, j’enlève ma cagoule et je reviens au parking.
Personne alentour, ils sont tous en train de manger.
Il est près de vingt et une heure, je reprends la mienne et je rentre chez moi, content et en sueur.
Je suis devenu un méchant de romans.
Il faudra que j’achète les journaux locaux pendant quelques temps, juste pour lire les faits divers.
j’apellerais ma copine demain, juste comme ça, pour savoir, si jamais.
Remuer et effacer un souvenir pour avancer, vers quoi ou vers qui, j'ai bien retenu.
Je me demande si elle va pouvoir lire dans mon regard, ce que je suis devenu, et je ne pourrais rien lui dire.
J’ai toujours mal au cœur, mais je suis devenu méchant, je suis parti rendre mon dîner dans la cuvette des WC.
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