Chapitre 2

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Que dire de cette soirée... Fantasque ? Magique ? Inattendue ? Palpitante !... malgré quelques couacs.

Même si le tapis rouge déployé dans la rue aurait dû me mettre la puce à l'oreille, il ne m'avait pas préparée à ce qui m'attendait une fois à l'intérieur de l'hôtel. Tout n'était que profusion de richesses, où que mes yeux s'attardent, le luxe était présent. Les robes de haute couture portées par les plus éminentes dames de notre société, les costumes trois pièces hors de prix de leurs époux, les somptueuses tentures brodées de fil d'or et l'imposante fontaine à champagne trônant au centre de la salle de réception me firent tourner la tête quelques minutes. Pour autant, un tel étalage ne put occulter à mon regard exercé, l'hypocrisie irradiant dans les faits et gestes de ces prestigieux invités. Je ne me sentais pas du tout à l'aise en ce territoire inconnu. Soudain la main de Saul posée sur mon avant-bras exerça une légère pression qui me fit revenir à moi. J'étais là pour une raison précise, et même si ce faste n'était que chimère j'en profiterai autant que cela durerait.


  • Vous voyez l'homme grisonnant tenant une coupe de champagne ?

  • Sans vouloir vous offenser, il va falloir me donner plus de détails ou alors me le désigner plus explicitement car vous êtes tous les mêmes à mes yeux, lui dis-je le regard légèrement narquois.

Il approuva ma raillerie en esquissant un sourire, faisant chavirer mon cœur un instant, qui disparut aussitôt, remplacé par un masque d'indifférence.

  • Dites tout de suite que je ressemble à un vieil homme ! répliqua-t-il faussement offusqué.

  • Je vous ai blessé ? Pardonnez-moi, ce n'était pas dans mes intentions ».

C'était toujours la même chose, lorsque le contrôle de mes sensations m'échappait, je me protégeais en m'armant d'un humour mordant. En général mon interlocuteur restait coi pour un moment, me permettant de reprendre contenance.

  • Comment vous le dire afin que vous compreniez..., il fit mine de réfléchir intensément, l'homme d'une soixantaine d'années portant un costume bleu marine, situé à gauche du grand escalier. Il porte des chaussures en cuir noir et....

  • C'est bon je l'ai vu ! Vous auriez pu vous contenter de m'indiquer sa position, vous me prenez vraiment pour une blonde ma parole.

  • Oh non je vous ai blessée ? Pardonnez-moi, ce n'était pas dans mes inten...

  • C'est bon, vous vous sentez mieux ? Votre égo a repris de la vigueur ?

  • Oui merci, je suis au sommet de ma forme et il n'y a pas que mon égo d'ailleurs. Rétorqua-t-il avec un sourire entendu.

Je le regardai choquée, mais quel....mufle ! Décidément, c'était le terme qui lui correspondait parfaitement.Tant mieux ! Comme ça je n'aurai aucun mal à fermer mon cœur à double tour. Il s'en était déjà approché de trop près. Je passai donc outre sa remarque toute masculine pour observer l'homme qu'il m'avait tantôt dépeint.

  • Qui est-ce ? demandai-je pointant mon menton dans sa direction.

  • Un important investisseur qu'il me faut à tout prix charmer.

  • Et c'est là que j'entre en scène ! fis-je triomphante.

  • Pas spécialement. Mais pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups » finit-il par déclarer avec un haussement d'épaules manquant cruellement d'élégance.

Décidément je saisissais de moins en moins la raison de ma présence à ses côtés, je semblais ne lui servir absolument à rien et ça devenait très frustrant voire intolérable pour mes nerfs déjà à vif. Et je n'allai pas me gêner pour le lui faire comprendre.

  • Dans ce cas je vous laisse « charmer » cet homme, bien que je ne vous voyais pas de ce bord-là, pendant ce temps je vais me rafraîchir en compagnie de ces dames dans leur lieu d'aisance.

  • Plaît-il ? Je ne vous ai point comprise.Vous n'êtes pas tenue de faire semblant avec moi, ajouta-t-il en ricanant.

  • Je vais aux toilettes ! » murmurai-je un rien déçue.

Un vrai mufle ! Si vous le voulez bien, ça sera son nom de code. Je ne savais pas ce qui m'empêchait de lui faire bouffer le col amidonné de sa chemise. J'enrageais tout simplement, mais l'opportunité de me venger se présenta plus vite que prévu, une véritable aubaine. Je jouais avec le feu, car cela revenait à ne pas respecter les termes de notre accord, mais sur le moment, ce fut trop tentant et j'étais trop énervée.

Je parvins à trouver le petit coin au bout de dix minutes de recherches infructueuses – je n'avais pas osé demander à un groom le chemin, au risque de griller aussitôt ma couverture – quand j'entendis deux jeunes demoiselles pouffer à mon arrivée. La discrétion n'était vraisemblablement pas leur plus grande qualité et je profitai, ainsi que les autres femmes présentes, de leurs commentaires acerbes.

  • Vous la connaissez ? interrogea une rouquine mal fagotée.

  • Non, jamais vue de ma vie, répondit une brune plutôt replète.

  • Elle est arrivée au bras de vous-savez-qui, intervint une troisième comparse.

  • Non impossible ! Il n'a ja-mais été vu avec une autre fille depuis le mannequin suédois là... son nom m'échappe. Un mannequin tiens ! Qui se rassemble s'assemble.

  • Ah oui, ils avaient même failli se fiancer mais personne ne sait ce qu'il s'est passé, tout a été annulé précipitamment.

  • Il paraît qu'elle l'a trompé.

  • Nooooon !

  • Siiiiii !.

C'était encore mieux qu'une pièce de Marivaux ! En plus, j'étais aux premières loges tout en tenant l'un des rôles principaux, renversant !

  • Mais ouiiiii ! siffla la brunette semblant frappée d'une illumination.

  • Quoi ? s'exclamèrent en choeur les deux autres.

  • La suédoise a dû s'enfuir avec Peter! Et la rivalité qu'ils partagent depuis l'enfance n'a fait qu'augmenter !

Intéressant, surtout qu'il me semblait avoir entendu Saul évoquer la présence de membres de sa famille lors de la soirée. C'était l'occasion rêvée de le tourner en ridicule. Et puis de cette façon je ne transgressai aucune règle, sa famille n'ayant pas été citée parmi les personnes devant lesquelles je devais tenir ma langue. Il fallait d'abord que je sorte d'ici et que je puisse repérer ce fameux Peter... Ces vipères pouvaient certainement m'être utiles :


  • Et toi, le sosie de Kylie Minogue avec le style en moins. Aurais-tu l’amabilité de me désigner la personne dont vous parlez si distinctement ? Après tout, il me tarde de rencontrer mon futur beau-frère. Le sourire que j'arborai alors, devait être vicieux au possible : je jubilais.

Saul

Je regardai longuement disparaître la silhouette élancée de ma cavalière, elle était absolument divine dans sa robe rouge dont le dos nu laissait peu de place à l'imagination mais qu'importe, le spectacle restait de toute beauté. Une fois n'est pas coutume, Cameron semblait doté d'un très bon goût en matière de femme. Je secouai la tête, de telles pensées ne devaient en aucun cas interférer avec mes objectifs. En tout cas, pas dans l'immédiat. Je priai juste fervemment que la demoiselle ne me mit pas dans l'embarras une fois seule, hors de mon champ de vision. Avec un soupir teinté d'ennui, je me dirigeai avec l'assurance qui sied à un membre de la grande famille Macclain vers l'homme d'affaires qui m'apporterait un soutien financier non négligeable en acceptant le contrat de partenariat que je lui proposais. Le businessman montrait quelques réticences étant donné la tendance du marché actuel mais je me devais de le persuader du bien-fondé de cet investissement. C'était une question de vie ou de mort, mon sort résidait entre ses mains mais il ne le saurait pas.


Notre entretien se déroulait comme prévu, mon charme opérait et les craintes de mon pigeon... euh de mon interlocuteur disparaissaient comme neige au soleil, quand des rires familiers vinrent chatouiller mes oreilles et que mes yeux captèrent un froissement de tissu rouge carmin près de la fontaine décorative. Une vision cauchemardesque se matérialisait devant moi, j'en fus temporairement paralysé : Colleen badinait avec mon frère aîné le plus naturellement du monde.

Colleen

Quel être charmant ! Si la rumeur était fondée, je pouvais comprendre aisément que la suédoise soit tombée amoureuse de lui. Il avait tout pour plaire. Plus avenant que son frère cadet, sa conversation était intéressante, avec toujours le mot pour rire et son physique était des plus attrayants quoique moins sculptural que mon complice. D'ailleurs j'essayai d'en savoir un peu plus sur Saul, histoire d'obtenir un moyen de pression quelconque, mais Peter déviait habilement le sujet ce qui ne faisait qu'attiser davantage ma curiosité. Je trouvai cependant étrange que lui, cherche à savoir comment se passait notre vie de couple, si les affaires marchaient, et si j'avais une implication même minime dans l'entreprise. Ne pouvait-il pas poser directement ces questions à son frère ? Leur rivalité légendaire en était peut-être la cause...

Que pouvais-je lui dire ? J'enchaînais mensonge sur mensonge ! Et je me trouvais plutôt douée finalement. Je n'avais qu'à imaginer des situations plausibles, prenant référence sur des expériences personnelles et surtout sur celles de mes amis.

Question 1 : Comment nous-sommes nous rencontrés ?

En voyage d'affaires, j'assistais à une conférence médicale sur la chirurgie gynéco-obstétrique – hé oui ! Mon classement avait été suffisamment bon pour que je choisisse le domaine de mon internat – et lui avait un rendez-vous professionnel dans les mêmes locaux. On a flashé l'un sur l'autre à la cafétéria, échangeant rapidement nos numéros. J'évitai de donner la localisation et la date pour garder une marge de manœuvre. Il ne chercha pas à le savoir non plus.

Question 2 : Vivions-nous ensemble ?

Non... On se voit souvent mais je vis dans mon studio d'étudiante pour m'éviter la fatigue liée à un rythme de travail important. Mais cette situation risque de changer rapidement (après tout, il a bien dit que nous étions « fiancés », ça me semblait logique).


Question 3 : Arriverai-je à supporter le défaut notoire de son frérot ?

Première colle ! Je veux dire, je le connais à peine alors je suppose qu'on avait pas du tout la même analyse de cet être qui est certainement plus complexe que le personnage qu'il m'a été donné d'observer... Oui, car je l'aime, pour le meilleur... et le pire ! C'est une bonne réponse non ? Vague, surfaite mais correcte... je crois.


Question 4 : ça ne me dérangeait-pas que l'entreprise familiale finance des actions plus ou moins douteuses ?

Que, quoi ?! Je ne suis pas au courant ! Mais de quoi parle-t-il ? Grrrr j'aurais dû me renseigner au préalable, c'était la moindre des choses pourtant. Là j'avais besoin d'aide... Que faisait Saul? Peter attendait patiemment ma réponse et je sentais que notre supercherie était sur le point de voler en éclats. Vite, il fallait que je dise quelques chose !

  • J'avoue que l'entreprise ne m'intéresse pas, seul votre frère compte et si je...

  • Affirmer cela signifie que vous ne le connaissez pas, que vous ne l'aimez pas. Vous êtes comme les autres, un vautour guettant deux fauves dans le combat de leur vie, prêt à arracher le moindre morceau de viande qu'il restera sur la carcasse du perdant ».

Je ne comprenais pas ? Il le défendait ? Pourtant n'étaient-ils pas censés se haïr cordialement ? Note personnelle : ne plus se fier aux racontars de pimbêches cloîtrées dans des toilettes.

  • Tiens frangin, tu daignes enfin me saluer. s'exclama Peter à l'arrivée de mon sauveur. Je n'avais jamais pensé éprouver du soulagement en sa présence. Il ne répondit rien et m'agrippa vivement le bras m'éloignant du regard inquisiteur de mon bourreau.

Saul

  • Vous me faites mal ! se plaignit Colleen.

  • Avez-vous une idée de qui est la personne avec laquelle vous discutiez ?.

Je savais que je lui faisais peur mais elle devait comprendre la gravité de son acte. La voyant prête à répondre innocemment à une question somme toute rhétorique, je poursuivis :

  • Ne dites surtout pas un mot. Vous venez certainement de foutre en l'air des années de sacrifices !.

Je ne m'attardai pas longtemps sur son visage car ses yeux reflétaient de l'incompréhension et de la nervosité. Très bien ! C'était l'effet recherché. Mais je n'appréciais pas pour autant voir ses traits réguliers déformés par une peur et une douleur que je lui infligeais.

  • Attendez-moi dans ma chambre, je vous rejoins au plus vite. Ne discutez pas, je ne suis pas d'humeur. Je vais voir s'il est encore possible de rattraper votre incommensurable bourde.

Je lui remis dans la main la carte magnétique donnant accès à la plus belle suite de cet hôtel et me retourna derechef vers l'être qui ne semblait doué que pour faire de ma vie un enfer.

Colleen

Je m'étais précipitée dans ladite chambre pour camoufler les larmes qui dévalaient désormais mes joues sans pouvoir les retenir. Je l'avais bien cherché en même temps. Je voulais me venger et déstabiliser l'homme qui m'avait embarquée dans cette histoire à dormir debout. Mais justement, je ne connaissais absolument rien de cette histoire et j'avais du mal à admettre qu'il y avait sûrement plus qu'une simple rivalité entre ces deux-là. L'enjeu était apparemment de taille et je ne l'ai pas pris au sérieux. Pourquoi en étais-je autant affectée ? Parce que j'avais failli à ma parole ? Parce que Cameron avait raison et que Saul n'avait pas fait appel à moi juste pour rompre son quotidien d'homme fortuné mais blasé ? Je me devais de faire quelque chose ! La jeune femme effondrée que j’aperçus dans le miroir de la salle de bain ne me ressemblait pas. Je suis une femme forte, intelligente, belle, téméraire aussi. Je m'étais toujours targuée d'être disponible pour mes amis, de tout faire pour les aider et même si Saul était loin d'en être un, j'avais accepté de participer à un plan qui semblait bien plus grand que moi et que mes égoïstes pensées. Nous étions sur le même bateau et devions tout faire pour qu'il ne sombre pas. Ma décision était prise :Saul ,prépare-toi à rencontrer la vraie Colleen! Un nouveau coup d'oeil à mon reflet, confirma que je devais d'abord effacer les traces de mon trouble passager.



Durant ce laps de temps, Saul entretenait une conversation des plus électriques avec son frère.

  • Où l'as-tu pêchée celle-ci ? Sur internet ?

  • Je t'interdis de parler d'elle en ces termes !

Cette phrase était sortie trop naturellement pour qu'elle n'ébranle pas ma conscience pendant quelques secondes et un regard sur le visage d'habitude avenant de mon aîné, m'indiqua que lui aussi était surpris.

  • Tu as presque réussi à me faire avaler que tu tenais vraiment à cette nana. Elle a de quoi occuper un homme je n'en doute pas mais de là à projeter de t'unir à elle, comment dire... Je n'y crois pas une seconde.

  • Elle est bien plus que ça pour moi, elle te surprendra.

  • Elle ne te connaît pas ! Ne partage rien avec toi ! Mon pauvre Saul, ne me dis pas que l'histoire va se répéter ? Tu es bien plus naïf que je ne le pensais ou alors toute rationalité a finalement quitté ton esprit. Une chose est sûre : ce n'est pas comme ça que tu vas gagner contre moi, petit frère.

  • Je ne parierais pas là-dessus si j'étais toi, Peter.

  • Alors c'est ça ! Tu as un plan. Tu n'as jamais été très bon au poker, pourquoi en serait-il autrement dans la vie. Je connais tes cartes avant même que tu ne fasses la première mise. Ne me sous-estime pas, tu sais de quoi je suis capable.

  • Hé Peter ! interpela une voix ferme vers laquelle nous nous retournâmes, je n'ai pas vraiment eu la chance de répondre à ta question.

  • Colleen , tu devais m'attendre dans la chambre.

  • Non ! tu m'as dit de me taire pour ton bien, et tu m'as caché bien des choses apparemment. Ce que je peux comprendre ! Vraiment ! On ne se connaît que depuis peu mais mes sentiments sont sincères alors... .

Elle planta son regard hypnotique dans celui incrédule de mon frère et poursuivit :

  • Je ne sais pas ce que tu cherches à faire, mais je t'empêcherai de faire de nouveau du mal à Saul. On ne vient pas du même monde, mais là d'où je viens, on se bat pour ceux qu'on aime. Je n'ai peut-être pas les bons mots, ce qui t'as fait douter de la véracité de notre relation. Alors je vais laisser parler les actes.

La minute qui suivit me parut irréelle. Colleen m'embrassait. Une main sur ma cravate, elle avait tiré dessus pour que nos bouches se rencontrent en un baiser bien trop passionné et fougueux pour ma santé mentale. Je perdis bientôt tout contrôle et passa une main dans sa nuque et l'autre dans le creux de ses reins. La rugosité de ma paume entra en contact avec le douceur de sa peau, parcourant d'électricité mon corps tout entier. La pression de ses lèvres s'était atténuée, la folie de l'instant ayant fait place à la délectation puis... le vide. Elle avait mis fin au baiser qu'elle avait initié, me ramenant brutalement à la réalité.

  • Hum. La scène était plutôt convaincante je le reconnais, mais il va falloir faire mieux que ça, commenta Peter , disons que je vous laisse le bénéfice du doute. Au moindre faux pas, je ne vous raterai pas. Bien ! Je vous souhaite une bonne soirée les tourtereaux... Que le meilleur gagne.

Ce fut sur cette parole empreinte de menace qu'il nous quitta mais l’atmosphère garda encore longtemps trace de sa toxique présence.

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