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Le lendemain matin, après s’être arrêtées sur une nouvelle aire de repos pour dormir, Nina fut réveillée par son portable qui sonnait. Elle n’ouvrit qu’un œil pour regarder ce que c’était : ses parents, bien évidemment, qui avaient trouvé son mot. Elle se souvint de ce qu’elle y avait écrit : « Je pars quelques jours avec une amie dans le sud. Elle ne va pas très bien et je lui ai proposé de se changer les idées ensemble. Nous rentrons le week-end prochain. Bisous ».
Autant son frère pouvait s’absenter régulièrement de cette façon, prenant les clés du chalet en montagne, ou d’une villa près de la mer, autant de la part de Liz c’était bien la première fois. Et sa mère en était inquiète :
— Allô Nina ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
— Maman, ne t’inquiète pas. Je suis avec une amie. On va juste se dorer au soleil quelques jours histoire de lui changer les idées.
— Nina, lui fit sa mère sur le ton du reproche. Je suis ta mère. Tu crois que je ne sais pas ce que tu es en train de faire ? Ton père croit à cette histoire de copine qui ne va pas bien, mais tu ne me leurreras pas.
Nina souffla fort, regardant Liz qui s’allumait une cigarette, nue devant elle, après avoir rejeté la couette au fond du coffre.
— Écoute, maman. Tu crois ce que tu veux, mais je serai de retour samedi prochain. Je crois que tu me dois bien ça, après la discussion que nous avons eue, non ?
Nina se mordit la lèvre inférieure en voyant Liz se mettre à genoux devant elle, glissant une main entre ses cuisses et faisant rouler son clitoris sous ses doigts, alors qu’elle attendait la réponse de sa mère.
— De toute façon, je ne vais pas te courir après, lui dit-elle finalement avec un ton déçu un brin exagéré. Tu es une grande fille et tu sais que ton père compte sur notre présence à tous et toutes pour samedi prochain. Tu n’as pas oublié qu’il fête les vingt-cinq ans de son entreprise.
Liz s’enfonçait deux doigts en elle, à présent, tout en tirant sur sa clope, sans quitter Nina des yeux. Nina pouvait voir la cyprine reluire sur les doigts fins de sa punk et par réflexe, elle ouvrit ses cuisses, pour offrir à son amante la vue de sa vulve qui s’humidifiait déjà.
— J’y serai, maman, promis. Je te laisse, il y a mon petit déjeuner qui m’attend. Bisous.
Elle raccrocha sans même attendre une réponse, les yeux rivés sur une Liz ondulant sur ses doigts tout en jetant sa cigarette par la fenêtre.
— C’est une aire de repos, lui fit Nina. Tu sais que n’importe qui pourrait te voir ?
— Si ça veut dire montrer au monde entier que t’es à moi et moi à toi, alors je ferais peut-être bien d’ouvrir la porte et d’aller le crier toute nue au milieu du parking.
Liz ouvrit encore plus ses cuisses, enfonçant un troisième doigt en elle et de façon à ce que Nina ne puisse rien rater. Elle lâcha un soupir lascif qui fit ricaner Nina :
— T’es une belle salope, quand tu t’y mets.
— Ouais, mais ta belle salope. Et t’as pas encore tout vu, lui dit-elle en retirant les doigts de son sexe pour les offrir à lécher à son amante.
Nina les suça avec délectation, plongeant son regard dans celui d’une Liz qui semblait bien sûre d’elle. Mais ce qu’elle venait de dire n’était pas sans rappeler à la femme noire les quelques mots échangés la veille.
— Méfie-toi qu’il me prenne l’envie de te corriger, avec une telle attitude, lui lança-t-elle sur le ton de l’humour, même si son cœur fit une embardée.
Le regard qu’elle reçut en retour n’avait pas le même ton du tout. Liz vint poser son visage à quelques centimètres de celui d’une Nina qui ne savait plus sur quel pied danser.
— Nina.
— Liz ?
— Quand je t’ai dit que j’aimerais partager ça avec toi. Je ne voulais pas dire faire un coup d’essai. Ça fait partie de moi et j’en ai besoin. Au point que je pourrais devenir ta soumise. Vraiment, j’entends. Si le plaisir est au rendez-vous pour toi aussi, il se pourrait bien que j’aille bien plus loin avec toi que je ne l’ai jamais fait avec Jean-Paul. Je veux tout t’offrir de moi, parce que tu es la première personne qui a réussi à me convaincre que j’étais pas... sale ?
Elle resta là, les yeux plantés dans ceux de Nina, attendant sa réponse avec des joues en feu. Nina détourna un instant le regard, voyant du monde passer un peu plus loin et ne trouvant plus, d’un coup, que l’exhibition avait sa place ici. Mais elle revint rapidement sur Liz et en la voyant, la réponse lui vint toute seule :
— Quand je t’ai dit que je le ferai, Liz, je voulais aussi dire que je suis prête à tout prendre de toi. J’ai l’impression d’avoir si peu à t’offrir en retour que je n’arrive pas à croire que cela durera, même si j’en ai envie. Tu es la plus belle personne qu’il m’ait été donné de connaître. Je ne sais pas si j’arriverai à te donner le plaisir que tu avais avec Jean-Paul, mais...
— Je t’arrête tout de suite, bébé. Le jour où t’es venue chez lui, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de plaisir, avec lui. Ce qu’il t’a dit, les conduites à risques que j’avais. Il m’a pas fait changer, il voulait me garder comme ça, torturée, pour pouvoir me défoncer à sa guise. Je faisais avec lui exactement la même chose qu’avant, mais avec un pro qui savait repousser les limites sans les dépasser. Avec toi, je veux te faire don de moi. Tu te rends pas compte de ce que tu m’apportes. Je veux te le montrer, et qu’ensemble, on aille bien plus loin. Je te demande pas de la performance, Nina. Je te demande de l’amour, ton amour pour moi. Tout ce qu’il manquait à ce moins que rien qui n’a fait que se foutre de ma gueule pendant cinq ans.
Nina en fut scotchée. Elle resta muette un bon moment, mais ça n’inquiéta pas Liz qui pouvait lire dans ses yeux la crainte qu’elle ressentait, mais aussi sa fierté. Nina craignait de ne pas être à la hauteur de l’amour de Liz, d’être décevante, mais en même temps, elle commençait à se rendre compte à quel point l’amour qu’elle avait pour la punk était partagé, bien au-delà de ses espérances. Elle sentit ses larmes couler et Liz sourit de plus belle.
— Je t’aime, Liz. Comme je t’aime.
La punk la prit dans ses bras et ce qui avait promis de devenir un petit déjeuner à base de cyprine se termina en sages caresses et baisers sous la couette qui les recouvra à nouveau.
Elles avalèrent un rapide en-cas et s’habillèrent pour reprendre la route. Deux grosses heures de route, et elles pouvaient déjà sentir l’iode envahir l’habitacle. Nina comprit rapidement que Liz semblait connaître l’endroit, lorsqu’elle dirigea la voiture vers des chemins moins empruntés. Et elle comprit rapidement aussi pourquoi : sur la plage qu’elle avait devant elle, aucun maillot n’était nécessaire.
— Bien entendu, plaisanta Nina en regardant le panneau qui prévenait les passants de la présence d’une plage nudiste.
— Tu veux goûter à la liberté, Nina ? lui demanda Liz en posant sa main sur sa cuisse. C’est par là que ça commence.
— En virant mes fringues ? lui demanda-t-elle, un peu moqueuse.
— Ouais. Je sais, pour toi, c’est facile vu comment t’es belle. Mais c’est pas le cas de tout le monde. Allez viens !
Lunettes de soleil sur les yeux, serviette sous le bras, les deux femmes marchaient tranquillement en direction du sable. Elles se rendirent bien vite compte que les kilomètres vers le sud leur avaient fait gagner plusieurs agréables degrés. Nina sourit en voyant les gens sur la plage. Ce qui la marqua le plus, ce fut de voir des enfants. Les premières minutes, elle ne dit rien, observant simplement la population. Elles avaient trouvé un coin de sable un peu à l’écart et s’étaient déshabillées.
Nina le fit avec un peu de difficulté, le cœur battant. Mais rapidement elle se sentit à l’aise. Cette plage était loin des stéréotypes qu’elle avait. Les naturistes comme des voyeurs, qui se mettent nus pour pouvoir voir les autres nus. Elle avait toujours assimilé le naturisme au libertinage, mais elle découvrait là autre chose. Et elle ne le comprit vraiment qu’en croisant des personnes du regard.
Ici, on s’appliquait à regarder les gens dans les yeux. Pour ne pas passer pour un pervers, on regardait vraiment les gens, alors que les maillots permettaient de laisser courir son regard. Malgré les formes très différentes des uns et des autres, Nina finit par découvrir qu’il y avait une certaine unité, dans tout ça.
Liz sentit sa belle se détendre un peu, regarder plus aisément autour d’elle, un fin sourire aux lèvres. Elle savait que ça n’aurait pas été un problème pour elle de se mettre nue devant du monde. Leurs soirées des dernières semaines et surtout celle de la veille lui l’avait prouvé largement. Mais se retrouver face à la nudité des autres, réussir à dissocier la nudité de la sexualité, et vivre pleinement dans le plus simple appareil, elle espérait vraiment que Nina comprendrait cela.
Et il semblait que ce soit le cas, même si elle se doutait des images qui pouvaient traverser l’esprit de Nina par moments. Elle-même ne pouvait pas s’empêcher de voir certains hommes ou certaines femmes plutôt attirantes. Mais la simple présence des enfants en train de jouer avec leurs seaux et leurs pelles balayaient rapidement ces pensées.
— C’est bizarre, lui fit Nina au bout d’un moment, à voix basse. Mais pas désagréable.
— Ce qui est bizarre, c’est de porter des fringues pour autre chose que de se protéger du froid, lui répondit Liz avec un sourire en coin.
La belle femme noire aux formes appétissantes, que certains sur la plage n’avaient pas ratée et regardaient régulièrement, regarda un moment la punk en silence, à travers le verre tinté de ses lunettes. Une fraîche rafale de vent lui donna la chair de poule, avant qu’elle ne réponde finalement :
— Vu comme ça. Casser les codes sociaux, tout le monde au même niveau ? C’est ça l’idée ?
— Tu comprends bien vite, lui fit Liz en se penchant vers elle pour goûter à ses lèvres charnues.
Ce baiser, bien que chaste, ne passa pas inaperçu. Entre celles et ceux que cela était à la limite de choquer, et les autres qui sourirent en coin, les deux femmes devinrent rapidement le centre d’intérêt d’une partie de la plage, avant qu’ils n’oublient et passent à autre chose.
Nina se mit à somnoler, maintenant parfaitement détendue. Mais Liz pensait à Cécilia, à cette plage où elles s’étaient endormies l’une près de l’autre, comme deux amies, puis s’étaient réveillées comme deux amantes. Elle se souvenait de chaque geste, chaque baiser et chaque odeur. Elle n’avait oublié aucun son, aucun soupir. Comme gravé en elle, elle avait encore la moiteur de son sexe sur ses doigts.
Et pour la première fois depuis tant d’années, elle repensa à ce moment avec douceur et nostalgie, sans tristesse, sans honte ni regret. Cécilia avait fait un choix qui avait révolté Liz, qu’elle n’arrivait pas, encore aujourd’hui, à comprendre.
Allongée sur le ventre, elle tourna le visage vers Nina. Les seins écrasés sous elle, elle offrait à la vue de tout le monde les courbes sensuelles de ses fesses rebondies. Elle surprit un groupe de jeunes hommes se retourner avec une légère insistance vers la belle ébène près d’elle. Elle sourit. Il y avait quelque chose qui la rendait fière, d’être là, près d’elle, d’être celle que Nina avait choisie pour l’accompagner dans la vie, pour un temps ou pour toujours, peu importait. L’important, c’était ce moment présent, c’était de se dire que cette bande ressentait un peu de jalousie envers elle.
Et cette pensée finit de la faire s’installer dans le moelleux désir. Elle se roula sur le côté et passa une main dans le dos de Nina, qu’elle fit glisser jusqu’au creux de ses reins, en zieutant les jeunes hommes à travers ses lunettes. Ils imaginaient déjà les deux femmes se donner en spectacle, et Liz n’aurait pas été totalement contre, dans un autre endroit. Elle se pencha jusqu’à l’oreille de Nina, qu’elle savait réveillée par la caresse :
— J’ai envie de toi, susurra-t-elle.
— Qu’est-ce que tu dirais d’aller louer une chambre et de n’en sortir que pour la soirée ? demanda-t-elle à son tour d’une voix encore légèrement endormie.
— Je te suivrais n’importe où, Nina.
Alors Nina attrapa son portable. Elle pianota rapidement et finit par sourire :
— J’ai trouvé ce qu’il nous faut. À moi de te faire découvrir quelques plaisirs bourgeois, même s’ils sont futiles. Je prends le volant !
Liz grimaça, mais après tout, elle ne dit rien. Elles se rhabillèrent et allèrent jusqu’à la voiture. Elle avait jusque-là embarqué Nina dans son monde et il était bien normal qu’elle fasse un pas vers le sien, quand bien même cela irait à l’encontre de tout ce qui faisait que Liz était Liz. Le petit sourire en coin qui ne quittait plus la conductrice la rendait pourtant curieuse.
Et lorsqu’elles arrivèrent en vue de l’hôtel, à quelques 10 minutes de la plage où elles étaient, presque rendu invisible depuis la route par un bois épais, Liz n’en revint pas. Elle s’attendait à quelque chose de “chicos”, mais ce que promettait cette devanture, c’était du somptueux, du luxe. Elle ne put s’empêcher de commencer à se sentir mal à l’aise, pas du tout dans son élément, et en colère que de telles choses puissent exister. Pire encore : que des gens puissent avoir ça comme quotidien. Et Nina semblait de ceux-là.
Mais elle se tut. Nina sentait bien que Liz aurait du mal à sortir de la voiture. Elle n’eut pourtant d’autre choix, lorsque le voiturier vint lui ouvrir la porte, malgré une hésitation certaine en voyant la voiture qui débarquait. Alors que Liz semblait rester scotchée au fauteuil en dévisageant ce type qui lui ouvrait la porte sans lui sourire, Nina sortit toute seule et ouvrit le coffre pour attraper le sac rempli des ustensiles de Jean-Paul.
Le claquement de la porte du coffre sortit Liz de sa torpeur, qui sortit de là pour découvrir une Nina qu’elle ne reconnut pas. Elle se tenait plus droite que d’habitude, presque hautaine. L’homme fit un pas vers elle pour prendre son sac, mais elle le stoppa :
— Celui-là, je le prends moi-même. Montez le reste, fit-elle en lui tendant un billet de 50€. Viens, Liz.
Celle-ci hallucinait, avait l’impression que très bientôt, une équipe de télé allait sortir de derrière les murs en criant « Surprise ! ». On ne pouvait pas filer autant de fric comme si on donnait 20 centimes à un enfant qui a passé un coup de balai après manger.
Le type prit le billet et se mit enfin à sourire. Il fonça vers le côté conducteur et alla garer la voiture pendant que Liz et Nina montaient les marches vers l’accueil.
— C’est quoi ce délire ? lui lança Liz, prête à faire demi-tour.
— Je t’ai fait confiance, à toi de me faire confiance. Ce sont juste des codes, c’est comme un rôle, d’accord ? Suis-moi, je suis sûre que tu vas adorer.
La voir avec ce sac à la main, pourtant, ne pouvait que l’attirer vers elle. Quel qu’en soit le prix. Nina venait de lui faire comprendre que dans cette chambre d’hôtel, elle allait la recevoir comme elle désirait tant se donner à elle. Elle hocha donc la tête en guise de réponse mais resta légèrement en retrait, écœurée par ce rôle que prenait Nina.
La femme de l’accueil dévisagea Liz avec un mot dans le regard : « souillon ». Et Liz se sentit sale. Et excitée. Nina prenait un malin plaisir à venir ici, non pas pour montrer à Liz dans quel monde elle avait grandi, mais comme un pied de nez à ses parents. Elle voulait s’afficher devant des personnes du même rang de ses parents avec Liz, leur montrer que oui, elle l’aimait, la désirait et que quoi qu’ils en disent, puisque pour eux la seule valeur c’était l’argent et qu’elle en avait, elle avait très bien le droit d’amener sa chérie punk dans cet hôtel.
— La suite Nuit d’Amour, au nom de de Courcelles Nina, jusqu’à vendredi matin, dit-elle à la réceptionniste sans même la saluer.
Et Liz comprit réellement. Alors que la bonne femme derrière son bureau semblait plutôt prête à les mettre dehors à la première occasion, elle changea du tout au tout dès qu’elle entendit ce nom. Elle avait beau désapprouver totalement le fait de louer cette suite avec ce nom-là en étant accompagnée d’une autre femme, ce nom vous ouvrait les portes d’une amabilité forcée. Liz fut encore plus écœurée, mais en même temps, elle comprit que grâce à ce nom, elles pourraient sûrement passer un séjour inoubliable. Elles allaient faire tourner les têtes bourgeoises en bourriques. Et lorsque Nina se retourna rapidement vers elle pour lui sourire comme une gamine avant de revenir sur la réceptionniste en reprenant son air hautain, Liz sut qu’elles étaient exactement sur la même longueur d’ondes.
Elle se relâcha d’un coup et décida de jouer un rôle, elle aussi, en entendant la réceptionniste :
— Je vais devoir vous demander une carte d’identité, mademoiselle, ainsi que le règlement d’un acompte.
— Bien sûr, bien sûr, répondit Nina en faisant glisser sur le comptoir son permis de conduire.
Liz s’approcha alors de Nina, prenant un air soumis et demanda à la réceptionniste :
— Excusez-moi, Madame aime le champagne, le rhum et les roses rouges. Serait-ce possible de lui préparer cela avant son arrivée ?
— Que tu es attentionnée ! s’exclama joyeusement Nina en lui ébouriffant la crête avant de lancer à la femme face à elles : N’est-elle pas merveilleuse ?
La réceptionniste aurait pu y perdre sa mâchoire inférieure. La question de Nina resta un moment sans réponse, alors qu’elle gardait un regard ahuri sur Liz qui repassait derrière Nina, la tête baissée, les mains croisées devant elle.
— Heu... Oui, bien sûr ! s’exclama la femme en se forçant à sourire. Une bouteille de champagne, une bouteille de rhum, et un bouquet de roses. Ce sera fait, mademoiselle.
Elle pianotait sur son clavier comme une dératée lorsque Liz s’avança à nouveau :
— Il faudrait étaler les pétales de rose sur le lit, s’il vous plaît. Madame aime les choses ainsi.
— L’odeur des pétales, sans les épines, précisa Nina.
— Bien sûr, répondit une réceptionniste au bord de la syncope.
Quelques minutes plus tard, l’acompte payé en liquide et les clés en leur possession, les deux amantes se dirigèrent vers l’ascenseur après les instructions de la femme :
— Vous enfoncez la clé dans le panneau de l’ascenseur et vous la tournez sur la droite. Il vous emmènera directement au dernier étage sans s’arrêter. La porte s’ouvrira directement sur votre chambre. Vos bagages vous suivront de quelques minutes à peine. Bon séjour !
À peine les portes de l’ascenseur refermées qu’elles explosèrent de rire ensemble. Liz sauta au cou de Nina et l’embrassa avec passion, excitée par le fait que ce jeu puisse ne pas en devenir toujours un, même si elle savait bien qu’en tant que soumise, elle ne serait jamais ce genre-là. Nina, elle, s’était clairement mise à mouiller. Elle n’aurait pas su dire, à cet instant, si c’était le fait de voir Liz jouer ce rôle ou le simple fait de le faire pour agacer la réceptionniste.
Arrivé au sixième étage, l’ascenseur ouvrit ses portes et leurs lèvres se quittèrent brutalement.
— Putain de merde ! s’exclama Liz en voyant l’endroit.
Rien que le revêtement doux et moelleux du sol devait valoir le prix de tout l’immeuble où elle vivait. Face à elles, un salon avec écran géant fixé au mur. Sur la table basse, un seau à glace avec une bouteille de champagne et une de rhum, ainsi que les verres qui allaient avec et de quoi éponger un peu. Un peu sur le côté gauche, une barre de danse, qui fit ricaner Liz. Du même côté, plus loin, un lit rond, où étaient éparpillées de nombreuses pétales de roses rouge. Sur la droite du lit, la douche, qui n’était séparée de la pièce que par une vitre transparente. On pouvait certainement s’y tenir à dix ! À droite du salon, le bar, avec tout ce qu’il fallait pour accueillir à peu près la moitié du squat où traînait Liz.
— C’est complètement dingue, lança Liz à une Nina amusée tout en ouvrant une porte qu’elle pensait être la salle de bain.
Elle se trouva nez-à-nez avec une pièce encore plus grande, où régnait une ambiance de forêt tropicale. Une piscine de bien 15m de long s’étalait devant elle. À l’autre bout, elle pouvait voir un jacuzzi assez grand pour au moins six personnes. Et juste à sa gauche... Elle se tourna vers Nina, totalement incrédule :
— Y a même un hammam ?
— La meilleure chambre pour la plus belle des punks, non ? lui répondit Nina en la regardant avec des yeux brillants.
Liz rit fort en commençant à faire voler ses vêtements. Nina se mit à rire aussi, voyant que la punk avait fait le choix de profiter en faisant fi de ce que tout ce luxe cachait de nocif pour toutes les valeurs que prônait Liz. Une fois totalement nue, elle se mit à courir et plongea dans la piscine. Nina ne se fit pas prier pour la rejoindre rapidement, venant se déshabiller aussi près du bassin en admirant la grâce avec laquelle la punk évoluait dans l’eau.
Il ne fallut pas longtemps pour que les deux femmes se retrouvent collées l’une à l’autre, leurs bouches se picorant avec envie, leurs seins écrasés. Elle furent toutefois interrompues par une sonnerie, et Nina se décolla d’elle avec regret :
— Sûrement nos bagages, ne bouge pas.
Liz ricana depuis le milieu de la piscine, en voyant que Nina ne prenait même pas le temps de passer quoi que ce soit sur sa peau dégoulinante avant d’aller accueillir la personne qui leur apportait leurs bagages.
C’est depuis une lourde porte près du bar qu’apparut l’homme chargé des sacs des deux femmes. La quarantaine, cinglé dans un costume légèrement trop ample pour lui, il marqua un temps d’arrêt en voyant la jeune femme noire nue devant lui.
— Bon... Bonjour, balbutia-t-il en s’avançant jusqu’au salon pour y déposer les sacs en regardant partout sauf sur Nina.
Accoudée au bord de la piscine, Liz se délectait de la scène. Elle vit Nina tourner le dos à l’homme et se pencher sur son sac à main en offrant une vue imprenable sur sa croupe au porteur. Il ne put rater cela et sembla aussi offusqué qu’excité. Nina revint vers lui, un sourire en coin pour l’homme aux joues devenues écarlates et lui tendant un billet qu’il prit en tremblant. De là où elle était, Liz ne pouvait pas rater la bosse qui se formait dans son pantalon alors que Nina lui parlait :
— Merci. Pourriez-vous nous faire monter deux repas végétariens ? Disons d’ici dix minutes ? Nous allons avoir besoin de calories, rajouta-t-elle sur un ton entendu.
— Je... Oui, bien sûr, mademoiselle. Je... m’occupe de ça personnellement. Si vous avez besoin de quoi que ce soit d’autre, vous n’avez qu’à taper le 2 sur le téléphone qui se trouve près de la télévision. Je m’occupe uniquement de vous pendant votre séjour. Je m’appelle Charles, pour votre service.
— Bien, Charles. Occupez-vous donc des repas, déjà. Nous verrons pour la suite, lui lança-t-elle en retournant vers la piscine en roulant du cul.
Elle attendit quelques secondes d’entendre la porte se refermer, debout au-dessus d’une Liz au bord de la crise de fou rire. Et pourtant, Nina ne semblait pas perdre son sérieux. Elle la regardait avec des yeux brûlants d’envie, une envie si communicative que Liz en oublia de rire, lorsqu’elle vit la main de son amante se tendre vers elle :
— J’en ai envie. Maintenant.
Liz se mordit la lèvre inférieure en tendant sa main à son tour pour que Nina l’aide à sortir de l’eau. Sans un mot de plus, elles se dirigèrent vers le salon. Nina attrapa le sac plein d’ustensiles et le posa sur la table basse avant de s’asseoir sur le canapé, invitant Liz à la rejoindre.
L’une comme l’autre sentait la pression monter, autant que l’excitation. La fébrilité de l’une nourrissant l’excitation de l’autre. Elles se regardèrent, Nina eut un sourire un peu pincé, mais se lança la première :
— Qu’attends-tu de moi, Liz, avec ce sac ?
Liz ne s’attendait pas vraiment à une question aussi directe, mais une fois la surprise passée, vint le plaisir. C’était ainsi qu’elle voyait les relations : directes, sans détours, et sans tabous. Elle prit une grosse inspiration et sourit tendrement à Nina en posant sa main sur sa cuisse, braquant son regard dans le sien :
— Rien d’autre que de te faire sentir dans ta chair à quel point j’ai besoin de toi, Nina. Je dois t’avouer une chose, avant ça. Quand je suis allée revoir Jean-Paul. Il a pété un plomb. Il a voulu me forcer. Il m’a fessée et j’ai aimé ça. Je te rassure tout de suite, rien à voir avec ce que tu as vécu. Quand je suis partie, il avait le nez explosé et les couilles qui avait sûrement doublé de volume.
Nina lâcha un rire nerveux, les yeux arrondis par la surprise. Mais Liz pouvait y voir de l’excitation, aussi. Ça l’excitait de savoir qu’elle l’avait défoncé. Sûrement parce qu’elle aurait aimé savoir faire la même chose, dans ce parc. Mais Liz continua :
— Si je suis allée chercher ce sac dans sa cave avant de me barrer, c’est parce que j’ai compris que la douleur ne m’aide pas qu’à supporter un traumatisme. J’en ai besoin, pour me sentir vivante. Et ça m’excite. Je me sens femme, vraiment femme, quand le désir se transforme en rage, tellement il est puissant, incontrôlable.
Nina se mordait violemment la lèvre inférieure en l’écoutant. Elle sentait son bas-ventre la brûler, son corps irradiait sûrement de cette chaleur qui l’envahissait. Et lorsque Liz s’arrêta soudain de parler pour ouvrir le sac, elle ne dit rien. Elle ne pouvait pas parler, sentant le rouge lui monter aux joues, n’entendant presque uniquement son cœur battre dans sa poitrine tendue. Elle vit Liz en sortir la cravache, la même qu’elle avait vu strier la peau de la punk dans la cave de Jean-Paul. Elle posa chaque extrémité dans une paume de ses mains et se retourna vers Nina.
Elle lui décocha un sourire et se glissa doucement à genoux, jambes écartées, tête baissée, la cravache présentée à celle qu’elle désirait plus que tout :
— Je veux être à toi, Nina, prononça-t-elle avec clarté. Je veux t’offrir mon corps et mon âme, t’apporter tout ce que tu m’as déjà apporté. Je veux faire naître le désir en toi à chaque instant, et aimer souffrir pour toi. Je te demande de me prendre, telle que je suis.
Nina n’en revenait pas. Elles étaient là, dans cette chambre d’hôtel complètement improbable, et Liz se tenait à genoux devant elle, comme une parfaite soumise. Elle ne comprit qu’à cet instant ce que tout cela impliquait. Il ne s’agissait pas uniquement de plaisir charnel. Mais de plaisir total. Liz lui demandait, par cette cravache, par cette position, de prendre en main son plaisir, autant physique que spirituel.
Elle sentit une vague de crainte la submerger. Comment pouvait-elle décemment accepter une telle demande, alors qu’elle se sentait incapable d’en être à la hauteur ? Ce silence, Liz savait ce qu’il voulait dire. Et tant que Nina n’avait pas pris la cravache, elle s’autorisa de parler, rajoutant :
— C’est une demande d’amour, bien plus que technique, Nina. Y a pas de perfection à atteindre, si ce n’est celle de la sincérité.
Et elle lâcha un soupir de satisfaction, presque un gémissement de plaisir, lorsqu’elle sentit la cravache quitter les paumes de ses mains. Elle sourit aux pieds de Nina qu’elle regardait depuis qu’elle s’était agenouillée, et plaça aussitôt ses mains sur ses cuisses, paumes relevées vers le haut, en signe d’offrande.
Les doigts de Nina relevèrent son menton et leurs regards se fixèrent l’un à l’autre. Une larme de joie coulait sur la joue noire de Nina et Liz se sentit fière. Elle n’aurait jamais cru avoir l’occasion de se donner de cette façon. Il avait été facile de laisser Jean-Paul la torturer à sa guise, étant persuadée qu’elle méritait son sort et qu’elle était soulagée que cela arrive, comme si les séances avec Jean-Paul n’étaient qu’une sanction. Aujourd’hui, c’était un don qu’elle faisait. Peut-être que Nina ne prendrait aucun plaisir à user de la cravache sur elle, mais peu importait. C’était l’offrande, l’important, plus que la manière dont Nina la recevrait.
Pour le moment, c’est avec tendresse que Nina répondit. Elle posa ses lèvres sur les siennes, un ricanement nerveux qui lui secouaient les épaules.
— Je t’aime, lui dit-elle sans laisser l’occasion à Liz de lui répondre. Je t’aime dans ta totalité, Liz. Je doute clairement de ma capacité à t’offrir le même résultat que Jean-Paul, mais il y a une chose dont je suis sûre : je t’aime et te désire telle que tu es.
— Madame se sous-estime, lui lança Liz, un sourire en coin. Madame m’a apporté bien plus en quelques semaines que ce pseudo-maître en cinq ans.
Nina ne put s’empêcher de se mordre la lèvre inférieure en entendant Liz l’appeler ainsi. Dans le jeu à la réception, cela avait été excitant. Maintenant que c’était avec sérieux, c’était d’autant plus délicieux. Elle doutait encore de sa capacité à donner des coups sans les regretter. Mais elle commençait déjà à apprécier ce statut que Liz venait de lui donner.
Ses pensées furent stoppées net par la sonnerie de la porte de service.
— Relève-toi, ma belle. Pour l’instant, il faut manger.
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